Vingt et un États européens sur vingt-sept ont vu leur endettement grimper en 2012

Insoluble dilemme

Un tournant ? Quelques phrases tirées d’un discours prononcé le 22 avril par le président de la Commission européenne ne sont pas passées inaperçues dans le landerneau bruxellois. José Manuel Barroso a bien sûr rappelé que les politiques d’austérité conduites jusqu’à présent étaient « justes », mais il a estimé qu’elles trouvaient désormais « leurs limites ».

Il ne faut certes pas imaginer que ces propos annoncent un changement de cap. La pression visant à réduire les dépenses publiques nationales reste, hélas, d’actualité. Pour des raisons juridiques, d’abord : les mécanismes de la « gouvernance européenne » sont bien en place, en particulier le traité dit TSCG, qui n’a rien de facultatif. Pour des raisons politiques, ensuite : les dirigeants allemands, qui en furent à l’origine, entendent bien en surveiller la stricte application. Dans la pratique, enfin, aucun gouvernement n’a annoncé quelque intention d’abandonner ou même d’alléger les coupes budgétaires en cours.

Cela vaut particulièrement pour la France. Le patron de Bercy, Pierre Moscovici, a précisé qu’on n’irait pas au-delà, cette année, des 30 milliards d’« économies » annoncés, manière de confirmer que les restrictions supplémentaires décidées au premier trimestre ne sont nullement remises en question. Et pour cause : Paris met en avant cette « bonne volonté » dans les délicates négociations avec Bruxelles en vue de repousser d’un an l’épée de Damoclès des sanctions pour déficit excessif. A cet égard, ceux qui se disent déçus, voire trahis, par l’hôte de l’Elysée sont injustes : le candidat Hollande ne s’est jamais engagé à sortir le pays du carcan européen. Le principe et même l’ampleur de l’austérité – même si le mot est évité – étaient donc inscrits dans les textes bruxellois. Seuls ceux qui aiment s’aveugler peuvent être surpris.

Cependant, on aurait tort de sous-estimer les propos de M. Barroso. Car ils témoignent d’une double réalité : une spectaculaire impasse économique, et une redoutable colère populaire aux quatre coins de l’UE. La catastrophe économique s’illustre en particulier par la montée continue et massive du chômage et de la récession, de même que des dettes publiques… que les cures austéritaires étaient précisément censées endiguer. Vingt et un États sur vingt-sept ont vu leur endettement grimper en 2012, pour un total de 576 milliards de nouvelles dettes. Ce que même les économistes naguère partisans des économies budgétaires drastiques constatent depuis quelques mois se confirme : comprimer les dépenses publiques plombe lourdement la croissance et l’emploi, et aggrave les « déséquilibres budgétaires » qu’on disait vouloir réduire. En outre, les dirigeants européens ne peuvent être insensibles aux avertissements de plus en plus impérieux qui viennent de Washington, du FMI, voire du G20 : l’UE, homme malade de l’économie mondiale, pourrait bien entrainer l’ensemble de celle-ci dans le gouffre.

Quant à la colère populaire, elle hante désormais les eurocrates de tous poils. L’hypothèse de révoltes sociales violentes est un « risque » pris très au sérieux à Bruxelles. Ainsi, il n’ pas pu échapper à José Manuel Barroso que des centaines de milliers de ses compatriotes portugais ont récemment défilé en chantant l’air qui donna le signal de la « révolution des œillets » de 1974. Et quand ce n’est pas la rue, ce sont les urnes. La gifle infligée il y a deux mois à Mario Monti par les électeurs italiens s’adressait largement à Bruxelles : les dirigeants européens n’ont aucun doute à cet égard.

D’où l’avertissement lancé par le chef de l’exécutif européen : « pour fonctionner, une politique ne doit pas seulement être bien conçue, elle doit recueillir un minimum de soutien politique et social ». Quel aveu ! Sauf que les dirigeants de l’UE font face à un dilemme insoluble : s’ils persévèrent dans l’austérité, les mêmes causes aggraveront les mêmes effets ; mais s’ils relâchaient quelque peu la pression, l’euro serait condamné à voler en éclats à bref délai.

Bon courage, José Manuel.

PIERRE LÉVY

Éditorial paru dans l’édition du 30/04/13 du mensuel Bastille-République-Nations
Information et abonnements : www.brn-presse.fr

Pierre Lévy est par ailleurs l’auteur d’un roman politique d’anticipation dont une deuxième édition vient de paraître, avec une préface de Jacques Sapir : L’Insurrection

 http://www.brn-presse.fr/#Cinq_01a.L

COMMENTAIRES  

03/05/2013 17:53 par Cunégonde Godot

Pierre Lévy : " A cet égard, ceux qui se disent déçus, voire trahis, par l’hôte de l’Elysée sont injustes : le candidat Hollande ne s’est jamais engagé à sortir le pays du carcan européen. Le principe et même l’ampleur de l’austérité – même si le mot est évité – étaient donc inscrits dans les textes bruxellois. Seuls ceux qui aiment s’aveugler peuvent être surpris."
Ces trois phrases résument bien la naïveté ou l’hypocrisie (au choix) des inconsolables pleureuses "aveuglées" il y a un an...
Aujourd’hui, Bruxelles a daigné allonger la laisse de nos élites, leur accordant deux ans pour revenir à la niche des 3% de déficit budgétaire... Ces gens sont trop bons...

03/05/2013 19:33 par Quidam

Dommage que nos éminents €urocrates & leurs valets nationaux n’aient pas écouté les conseils avisés d’un Paul Krugman qui presse désespérément le système d’alarme depuis au moins 2008...

03/05/2013 23:30 par Dwaabala

Très intéressant, l’article ; parce que pour le reste, la vie que le pouvoir nous prépare, c’est une autre affaire.

04/05/2013 07:41 par Spartacus

"Bon courage, José Manuel." c’est votre ami ou c’est ironique ?
Un article à la limite de la compassion pour les bandits qui nous asservissent.
Maintenant, il leur reste à nous servir des pingouins qui apparaîtront comme "bons" parce qu’ils conduiront une austérité modérée.
Ils ne s’aperçoivent que maintenant que leur politique d’austérité coule l’économie et accentue la dette ??!!!
Tiens donc que de naïveté !
Vous les faites passer pour ce qu’ils ne sont pas. Ce sont avant tout des cupides qui n’ont rien mais strictement rien à cirer des gens. Votre article les fait passer pour des gens responsables qui s’inquiéteraient de la réussite de leurs mesures et puis quoi encore ?
Vous collaborez à leur maintien en tentant de les humaniser eux qui font les suicides des désespérés et les sans avenir pour que eux et leurs amis se remplissent les poches en omettant volontairement que d’autres vont souffrir leur vie.
Victor Hugo a dit : "Il vient une heure où protester ne suffit plus ; après la philosophie, il faut l’action ; la vive force achève ce que l’idée a ébauché". On en est là Pierre Levy, ne vous en déplaise même si cela remue votre confortable condition.
Vous croyez que si ils lâchent la bride on pourra avoir confiance pour continuer ainsi avec une organisation de mafiacratie ?
C’est bel et bien fini, tout doit et tout volera en éclat, et c’est tant mieux.

05/05/2013 23:23 par gérard

Analyse nette claire et implacable du "piège", car effectivement c’est un piège redoutable :
« s’ils persévèrent dans l’austérité, les mêmes causes aggraveront les mêmes effets ; mais s’ils relâchaient quelque peu la pression, l’euro serait condamné à voler en éclats à bref délai ».
Le piège politique s’est refermé sur les Partis "traditionnels".
Ils ont bien trop longtemps laissé se pérenniser les mythes de l’Euro et de l’Union Européenne sans réelle union économique, fiscale et sociale ; ils ont ainsi laissé le champ libre aux partis d’extrême droite et à leur "scepticisme" électoraliste ; que l’Euro s’effondre et cela équivaudrait à leur donner raison, avec des conséquences politiques faciles à imaginer et assez catastrophiques...

Dilemme insoluble ?...et pas qu’un peu !
En favorisant ainsi à outrance les délocalisations cela a permis de gonfler artificiellement le pouvoir d’achat des travailleurs...et le chômage ; la liste des biens d’équipement à "deux vitesses" est impressionnante :
- les "bon marché" souvent de piètre qualité,... délocalisés dans les pays à bas coûts de main d’œuvre.
- Les autres eux bien "locaux" mais délocalisés dans les boutiques de luxe.
Dans tous les domaines (électroménager, automobile, habillement, alimentation, etc...) ; on vit dans une société de Castes qui n’a strictement rien à envier à l’Inde par exemple...Suivant son niveau social on achète pas les mêmes produits, on ne fréquente pas les mêmes magasins (ou alors on le fait à crédit avec les conséquences que l’on connaît). Le logement, évidemment non dé-localisable, prend une part de plus en plus importante dans le budget, c’est l’exemple type de l’aberration d’un tel système économique

"L’oligarchie" pensait ainsi se mitonner une paix sociale pour régner en paix ; elle n’a réussi qu’à saboter les industries locales (sauf celles de luxe) et ainsi faire exploser le chômage. Et on retombe dans ce piège politique tendu par l’extrême droite : il est formellement impossible de redonner du travail à ces millions de chômeurs & assimilés sans une certaine forme de protectionnisme, c’est ma-thé-ma-ti-que-ment impossible !
Mais il se prépare peut-être quelque chose, voir l’article de Jacques Sapir
http://www.comite-valmy.org/spip.php?article3467
Et dans le même esprit :
http://www.horizons-et-debats.ch/index.php?id=3899

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