OTAN, suspend ton vol (de nos euros)

Louable lucidité et réjouissantes angoisses

Emmanuel Macron a fait de bien étranges et bien lucides constats à l'occasion d’un entretien fleuve publié par l’hebdomadaire britannique libéral The Economist. Quelle mouche l’a donc piqué ?

L’économie de marché fonctionnant pour le bien de tout le monde ? Ce n’est plus vrai. L’ouverture infinie du commerce mondial ? Sûrement pas un élément de pacification. L’obligation de réduire à moins de 3% les déficits budgétaires ? Une contrainte d’un autre siècle. Le principe de souveraineté des peuples ? Hélas oublié, ce qui a poussé à vouloir imposer nos valeurs et changer des régimes – une erreur funeste issue du mariage fatal entre droit d’ingérence et néo-conservatisme. La Russie ? Toujours considérée implicitement comme un ennemi, alors qu’il conviendrait de réfléchir avec elle à une architecture de confiance et de sécurité. L’OTAN ? Une organisation en état de mort cérébrale.

Signé ? Le président de la République française à l’occasion d’un entretien fleuve publié le 7 novembre par l’hebdomadaire britannique libéral The Economist. Quelle mouche l’a donc piqué ? Probablement la lucidité et l’inquiétude d’un Emmanuel Macron comprenant que l’époque bascule, et capable de dépasser l’atlantisme compulsif dans lequel barbotaient ses (au moins) deux prédécesseurs.

L’angoisse n’est pas feinte : pour le géostratège de l’Elysée, l’Occident – au sens de l’Europe de l’Ouest – est en passe de perdre sa prééminence historique, et avec lui, les « valeurs humanistes universelles » qu’il aurait inventées. En fait de valeurs, c’est plutôt celles du CAC 40 qui sont à terme menacées – mais cela, le président ne le dit évidemment pas. Encore que. Au détour d’une analyse critique de l’Alliance atlantique, il rappelle que celle-ci a été mise en place avec les Etats-Unis en vue d’installer « une forme d’ombrelle géopolitique, mais en contrepartie, il faut (...) acheter américain ». Or « la France n’a pas signé pour ça », s’insurge le président.

Il poursuit, en substance : l’Union européenne était un projet de communauté, elle se réduit de plus en plus à un marché ; les dirigeants américains s’intéressent de plus en plus à l’Asie, et de moins en moins au Vieux Continent, plus encore sous Donald Trump qui ne se sent nullement lié par un projet européen que Washington avait pourtant à l’origine sponsorisé ; et, troisième élément, la Chine émerge au point que s’ébauche un duopole Washington-Pékin.

Et nous, et nous ? M. Macron, tente d’alerter ses pairs en les avertissant : si l’on continue ainsi – une UE qui ne s’intéresse qu’au commerce, à la libre concurrence, et à la baisse des dépenses publiques au moment où Etats-Unis et Chine investissent massivement dans l’innovation – nous allons disparaître de la scène mondiale. En outre, de nombreux pays de l’UE se débattent dans des crises politiques, dont l’avatar en France est le séisme social des Gilets jaunes, précise le président.

Face au danger de devenir le « partenaire junior » d’un Oncle Sam dont les intérêts stratégiques les plus cruciaux ne sont plus en Europe ; et face à l’absurde illusion selon laquelle le « doux commerce » mène forcément à la pacifique et libérale « fin de l’Histoire » pronostiquée après l’effacement de l’URSS, le président français brandit son double credo : primo, un rapprochement « sans naïveté » avec Moscou, puisque l’Europe doit maîtriser elle-même son voisinage sans être déterminée par le grand frère américain. Secundo, une « souveraineté européenne » qui doit commencer par la puissance militaire, puisque le « garant » de l’OTAN ne garantit plus les règles de l’Alliance atlantique. Cette dernière se trouve de ce fait en « mort cérébrale », comme l’a montré le feu vert donné par Donald Trump à la Turquie contre les Kurdes et la Syrie.

La pensée macronienne est issue du croisement de deux déterminants contradictoires. D’un côté, la négation de la pertinence et de la viabilité politique des nations – un axiome qui ne conçoit l’avenir mondial qu’en termes de grands ensembles voués à confronter leurs influences respectives – bref, une logique d’empires. De l’autre, la prégnance de l’Histoire longue qui ne prédispose pas la France à une posture de vassalité alignée, à l’exception des périodes où elle est dirigée par des caniches de la taille politique de MM. Sarkozy ou Hollande.

Si l’on estime que l’avenir est à la coopération entre Etats indépendants et souverains, on ne choisira pas entre la pure Europe américaine des précédents hôtes de l’Elysée, et l’empire européen autonome rêvé par l’actuel. Pour l’heure, et faute d’un sursaut stratégique, ce dernier estime que l’Union européenne est « au bord du précipice ».

On attend donc avec impatience le prochain pas en avant.

Pierre Lévy

Éditorial paru dans l’édition du 27/11/19 du mensuel Ruptures
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COMMENTAIRES  

05/12/2019 13:12 par François de Marseille

C’est peut être tout simplement le "et en même temps" macronique qui lui permet de dire tout et son contraire et de toujours choisir le pire lorsqu’il s’agit de prendre des décision.
Toutes ces déclarations se traduisent en pratique par des actes à l’opposé des parole.
Tout de suite après ces déclarations, tel hollande en campagne, il est sans doute allé à wallstreet pour rassurer les banquiers et leur expliquer que c’était juste de l’attrape mouche.

05/12/2019 13:21 par Yannis

On n’attend plus rien de cet ectoplasme. Il a eu deux ans pour nous confirmer qu’il n’est qu’un vendu. Ses paroles sont du vent, et son unique objectif, protéger la classe de parvenus et grands bourgeois qui l’ont placé au pouvoir, pour sa plus grande jouissance narcissique. Détruire les derniers acquis sociaux, tout le secteur public et l’idée même de nation, la France étant promise à se dissoudre dans un ensemble européen dont elle a de moins en moins le contrôle, du fait de la nullité de nos politiciens (et malheureusement également de nos diplomates). Un menteur patenté sur les pas de Hollande, Sarko et Chirac, qui serait juste naif et mal informé ? Cela semble plus une stratégie pour gagner du temps, faire douter la contestation sociale (attendez les gars, Macron va retourner sa veste et venir danser avec les Gilets jaunes, le roi aime finalement ses sujets)...

Et vous accordez encore quelque crédit à sa parole ?? Dans un quotidien soooo chic, chantre du néolibéralisme "l’hebdomadaire britannique libéral The Economist". Attendons donc les actes, en toute logique : s’éloigner de l’OTAN et de ses guerres néocoloniales, se rapprocher de la Russie pour le commerce, éventuellement se pencher un peu sur le peuple en France, non pas physiquement avec un ou deux bains de foule sensuels, mais en pensée et selon un programme politique adéquat, une vraie attention à la démocratie... et on en reparlera !

05/12/2019 15:34 par Sam

Voici encore un bel exemple du fossoyeur qui veut se faire passer pour un médecin. "Make our planet great again !"
Ce type est un illusionniste qui veut encore parfaire son image depuis l’étranger (c’est tout ce qui lui reste comme stratégie), en continuant à nous hypnotiser en nous balançant par média interposé, ses dissonances cognitives (je dis un truc, je fais son contraire). Il apparaît clair ici qu’il est en campagne et qu’il drague dans ses camps adverses, pour les municipales certainement, et à fortiori pour 2022.
Vents, inepties, et mensonges :
"une forme d’ombrelle géopolitique...", Comment dire..Une ombrelle...? Vraiment...?
"l’Union européenne était un projet de communauté, elle se réduit de plus en plus à un marché..." Communauté de marchés conviendrait mieux peut-être ?
"projet européen que Washington avait pourtant à l’origine sponsorisé..." Ah ! Enfin un aveu.
"de nombreux pays de l’UE se débattent dans des crises politiques, dont l’avatar en France est le séisme social des Gilets jaunes." Et dont les causes profondes sont...?
"Face au danger de devenir le « partenaire junior » d’un Oncle Sam..." Certainement par exemple en vendant Alsthom à GE.
"l’Europe doit maîtriser elle-même son voisinage sans être déterminée par le grand frère américain." Là on croit rêver, comme si il existait encore quelque part en Europe, une force armée technologiquement autonome.
Cerise sur le gâteau avec : "une « souveraineté européenne »..." Alors là, c’est à ce moment là qu’il nous la glisse en secundo, mélanger souveraineté et Europe, comme si les deux mots s’accolaient par enchantement. "C’est la magie... ", parole de Garcimore !
J’imagine le personnage, dire tout cela avec la mimique "sarkozienne" du dodelinement de la tête, récitant dans un verbiage creux, tout et son contraire, et je trouve pathétique d’avoir un président français qui ne représente toujours pas la France.
Alors oui, on attend donc avec impatience le prochain pas en avant.

06/12/2019 13:05 par gicquel

je m’étonne quand même du fait que soit passé sous silence l’appartenance de pratiquement tout le personnel politique français(et pas que) a la catégorie des "young leaders" c’est à dire formés par une fondation américaine ayant pignon sur rue sur le sol français...
en termes de droit,n’y a-t-il pas là comme une trahison envers l’état et le peuple ?

06/12/2019 17:04 par szwed

Merci Pierre Lévy, pour cet éclairant article et à Sam pour son commentaire qui l’est tout autant.
Macron qui nous vend son simulacre de bras de fer avec les américains, m’apparaît aussi fourbe que Hollande qui nous vendait son " mon ennemi, c’est la finance". Flatter l’esprit révolutionnaire, pour mieux sidérer l’électeur ?
Fourbe oui, car "en même temps " en effet, qui était hier aux manettes dans l’affaire Alsthom vendue aux américains et aujourd’hui Latécoère cédè aux mêmes ? Deux entreprises situées dans des secteurs stratégiques essentiels et dont ont cède au concurrent premier, tout le savoir-faire de haute technologie et les brevets qui l’accompagnent ? Sans parler des emplois perdus sur ces sites et chez leurs sous-traitant.
Le métier de banquier et les fonctions de Président de la République sont incompatibles de mon point de vue, à moins de s’essuyer les pieds sur les conflits d’intérêts. L’avenir nous instruira.
Eborgner, mutiler, matraquer les manifestants et en même temps tromper les français resteront les caractéristiques de ce régime voué aux riches d’ici et des Etats-Unis.

07/12/2019 09:29 par Assimbonanga

Oh et puis, démerdez-vous les gens ! Il y a le téléthon, la banque alimentaire, les restau du cœur, des tas de quêtes à l’entrée du supermarché pour bien vous culpabiliser. On se débrouillera toujours pour que les pauvres donnent pour venir en secours aux pauvres ! Et il y a les fondations. C’est génial, les fondations, ça fait le bien. Et ça défiscalise les riches.
Non, vraiment, c’est bien fichu ce monde américanisé appelé de Sarko à Macron. Macron étant le sommet, le nec plus ultra de l’uniformisation américaine.
En Amérique, les salaires sont mirobolants (mais il n’y a pas le salaire socialisé, les cotisations qui vous empêchent de sombrer dans la misère à la première embûche) !

07/12/2019 18:03 par RV

Lire et relire le discours de Toulon de Sarkozy ! ! ! Comme un air de famille . . .
https://www.lemonde.fr/politique/article/2008/09/25/le-discours-de-nicolas-sarkozy-a-toulon_1099795_823448.html
EXTRAITS
…/…
L’idée de la toute puissance du marché qui ne devait être contrarié par aucune règle, par aucune intervention politique, était une idée folle.
…/…
Pendant plusieurs décennies on a créé les conditions dans lesquelles l’industrie se trouvait soumise à la logique de la rentabilité financière à court terme. On a caché les risques toujours plus grands qu’on était obligé de prendre pour obtenir des rendements de plus en plus exorbitants. On a mis en place des systèmes de rémunération qui poussaient les opérateurs à prendre de plus en plus de risques inconsidérés. On a fait semblant de croire qu’en mutualisant les risques on les faisait disparaître. On a laissé les banques spéculer sur les marchés au lieu de faire leur métier qui est de mobiliser l’épargne au profit du développement économique et d’analyser le risque du crédit. On a financé le spéculateur plutôt que l’entrepreneur. On a laissé sans aucun contrôle les agences de notation et les fonds spéculatifs. On a obligé les entreprises, les banques, les compagnies d’assurance à inscrire leurs actifs dans leurs comptes aux prix du marché qui montent et qui descendent au gré de la spéculation. On a soumis les banques à des règles comptables qui ne fournissent aucune garantie sur la bonne gestion des risques mais qui, en cas de crise, contribuent à aggraver la situation au lieu d’amortir le choc


Ayant dit tout cela, il poursuit en exonérant le capitalisme !
Nul n’est parfait . . .

11/12/2019 20:28 par Renard

Étonnant oui, un peu moins si on considère que le rapprochement entre l’Allemagne (donc l’UE) et la Russie est inéluctable, du fait de la construction du North Stream et du rapprochement d’intérêts (gaziers) entre ces deux pays. J’ai l’impression que les allemands ont envoyé Macron tenir ce discours parce qu’ils n’osent pas l’assumer eux-mêmes (il y aussi une part de plus en plus importante de la bourgeoisie française qui souhaite un rapprochement avec la Russie (De Margerie, Védrine, Fillon, ...))

Allié russe ou américain, ça changera pas grand chose à nos pauvres vies rassurez vous..

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