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Argumentaire contre les fonds de pension

Cet argumentaire est destiné à démonter un projet mortifère, qui avance en catimini derrière la (contre)-réforme des retraites du gouvernement. Projet mortifère qui en est même, in fine, le véritable objectif : remplacer la retraite par répartition par la retraite par capitalisation, généraliser et imposer les fonds de pension.

La droite sénatoriale a d’ailleurs montré le bout de l’oreille, le 5 mars, en adoptant un amendement qui vise à étudier "les modalités d’instauration d’un régime social applicable à des cotisations versées à un régime d’assurance-vieillesse par capitalisation". Avec toutes ses précautions procédurières (il n’est question que d’un "amendement", d’une "étude"), avec ses périphrases, ses circonlocutions, la droite LR rappelle l’employé de l’abattoir qui, jadis, caressait le chanfrein de l’animal avant de lui asséner un grand coup de merlin...

Ce projet mortifère a bien été décelé par tous ceux qui luttent contre la réforme Macron, puisque c’est l’objet (entre beaucoup d’autres articles) de l’article du Monde diplomatique de mars 2023, intitulé "Capitalisation, l’autre nom de la réforme des retraites", écrit par par Grégory Rzepski.

C’est aussi l’objet de l’article de Jean-Marie Harribey (économiste, professeur agrégé, ancien co-président d’Attac), paru dans Alternatives économiques, le 25 février 2023, et intitulé : "Dupont et Dupond : vive la capitalisation ! Je dirais même mieux : vive la capitalisation !". Je me suis beaucoup servi de cet article pour rédiger mon argumentaire, notamment pour lister la totalité des points numérotés, que j’ai repris dans la plupart des cas in extenso : je l’ai simplement remanié pour le mettre en regard des arguments (ou plutôt, des arguties) le plus souvent avancés. [Les métaphores qui ponctuent ça et là le texte sont de moi-même, Ph. Arnaud.]

Comme à l’accoutumée, je vais présenter cet argumentaire sous forme d’allégations et de répliques, de façon à répondre du tac au tac à un frère, à un beau-frère, à un beau-père, à un oncle, à un cousin, à un neveu, à un voisin, à un collègue ou ex-collègue, à un client dans le salon de coiffure, à un patient dans la salle d’attente du médecin, à un vis-à-vis dans un repas de mariage (je ne recule pas devant les disputes familiales...).

Commençons par les prétextes invoqués :

1. Le déficit des caisses de retraite est énorme. Faux ! Le déficit est faible au début de la décennie 2030 rapporté au montant global des pensions. Il augmente ensuite selon certaines hypothèses du COR (Conseil d’Orientation des Retraites).

2. Le déficit des caisses de retraites est dû à la forte augmentation du nombre de retraités dans les années à venir. Faux !

Faux d’abord parce que le déficit n’est pas imputable à un excédent de dépenses mais à une pénurie de recettes. Cette pénurie de recettes est due aux exonérations de cotisations patronales, en partie - mais en partie seulement compensées par le budget de l’Etat. Ce qui aggrave le déficit de celui-ci en l’absence de hausse des impôts (surtout sur le revenu et sur les entreprises), est l’absence de hausse du taux de cotisation ou le refus d’en élargir l’assiette. Le gouvernement, depuis des années, organise sciemment le déficit des caisses de retraite (et, plus largement, de la Sécu) pour justifier le retard progressif du départ à la retraite puis l’introduction, aussi sournoise que subreptice, des fonds de pension. Qui veut noyer son chien l’accuse de la rage...

Faux ensuite parce que la mise en avant de ce déficit futur vise à masquer l’objectif de réduction des dépenses publiques et sociales alors que, dans le même temps, les aides aux entreprises sont abondantes et que la fiscalité sur elles et sur les classes riches est allégée,

Faux enfin, parce que les hypothèses du COR sont pour certaines fragiles (productivité, démographie, emploi et chômage), pour d’autres contestables (moindre taux d’emploi persistant pour les femmes, immuabilité du partage salaires-profits, immuabilité de la durée individuelle du travail...)

Poursuivons par les bobards sur les fonds de pension (ou la capitalisation).

3. Tout le monde pourra souscrire à des fonds de pension. Faux ! Archifaux ! La capacité d’épargne n’est pas proportionnelle au revenu, car les pauvres et les moins favorisées des classes moyennes ne peuvent presque pas épargner, tout leur revenu passant dans les dépenses de première nécessité. La retraite par capitalisation n’est favorable et ne peut être souscrite que par la tranche supérieure des classes moyennes (et les classes au-dessus, bien entendu). En outre l’intérêt des fonds de pension, lorsqu’ils sont placés dans une entreprise, est que cette entreprise ait le moins possible de salariés, qui travaillent le plus grand nombre d’heures possibles pour le plus petit salaire. Car comment expliquer autrement que le rendement des fonds de pension soit supérieur au taux de croissance de l’économie ? C’est ce qu’avoue l’économiste Patrick Artus lorsqu’il écrit : "L’expérience du passé montre que le rendement de l’argent investi en actions est supérieur à la croissance nominale moyenne de l’économie : la rentabilité totale des actions, sur la période 1995-2022, malgré les crises financières répétées, a été en France de 9,5 %, la croissance nominale moyenne de seulement 3 %". [La retraite par capitalisation est un hold up des riches sur les pauvres et les classes moyennes].

4. La retraite par répartition est fragile car elle dépend de la démographie. Faux ! Les retraites par capitalisation sont confrontées aux mêmes problèmes de démographie et de productivité que les retraites par répartition. Lorsque la compagnie d’assurance vend les titres financiers achetés au nom des souscripteurs (pour permettre à ceux-ci de bénéficier de leur retraite), elle les vend... à des actifs. Comme dans la répartition, ce sont les actifs - et ce ne peuvent être que les actifs - qui financent les retraites. Il n’y a pas d’argent magique : les escrocs qui nous vendent des fonds de pension en nous faisant croire qu’ils s’alimentent à une source différente de celle de la répartition - et à une source censément inépuisable - nous vendent en fait... de l’eau en poudre.

5. La retraite par capitalisation est sûre. Faux ! Archifaux ! Plusieurs pays dans lesquels la retraite par capitalisation occupe une place importante ont connu maints déboires lors des différentes crises financières (Etats-Unis après l’effondrement des systèmes à cotisations définies, Suède lors de la crise financière de 2007-2008, Royaume-Uni lorsque, à l’automne 2022, la Banque d’Angleterre s’est portée au secours des fonds de pension en mauvaise posture après avoir pris trop de risques sur les obligations publiques britanniques. Rappelons la ruine des salariés de Maxwell, des salariés d’Enron... [Voyez l’article du Monde diplomatique de mai 2003, écrit par Martine Bulard, et intitulé "Les retraités trahis par les fonds de pension".]

6. La retraite par capitalisation sera un complément du système par répartition. Faux ! Archifaux ! La capitalisation non seulement ne peut compléter la répartition mais, au contraire, elle a vocation à la cannibaliser. Les hauts rendements des placements financiers s’obtiennent au détriment de l’emploi et des salaires. Les revenus tirés de l’un et de l’autre système (répartition et capitalisation) ne s’additionnent pas sans que l’un (la répartition, évidemment) n’y perde quelque chose. Les contributions au régime par répartition s’amenuiseront au fur et à mesure qu’augmentera la montée de la capitalisation. L’OCDE ne s’embarrasse pas de nuances quand elle préconise une diminution brutale des retraites par répartition pour instaurer la capitalisation à grande échelle jusqu’au sein même des systèmes collectifs, ni quand elle affirme : "les données les plus récentes montrent qu’on peut être actif au sein de la société au-delà de 70 ans [c’est moi, Ph. Arnaud, qui souligne] et que les incapacités sévères interviennent surtout dans les deux à quatre dernières années de la vie", ou quand elle suggère que, "avant 75 ans, la santé n’est pas déterminante au point de vue de l’activité". [Je souligne à nouveau].

6 bis. Mais il n’y a pas que l’OCDE à pousser dans cette direction (en 1988). En 1994, la Banque Mondiale préconise l’installation de systèmes de retraites fondés sur trois piliers : le premier, collectif, garantissant une couverture minimale ; le deuxième, complémentaire et obligatoire, mais géré par des groupes financiers privés ; et le troisième, facultatif et individuel, également géré par de tels groupes. Le FMI déclare sans ambages : "Un système par répartition peut déprimer l’épargne nationale parce qu’il crée de la sécurité dans le corps social". On se saurait mieux dire. [J’ai - moi, Ph. Arnaud - souligné ce dernier passage, qui précède le jugement de Jean-Marie Harribey].

7. La retraite par capitalisation nécessitera des cotisations moins élevées que celles de la retraite par répartition. Faux ! Et même grossièrement faux au début. A supposer, en effet, qu’un régime par capitalisation en grandeur soit instauré, il y aurait nécessairement une longue phase de transition pendant laquelle les générations astreintes au nouveau régime devraient verser des cotisations pour payer les pensions des générations précédentes encore couvertes par le système par répartition et des primes d’assurance pour la constitution de leur propre capital. De cette double charge résulteront, d’une part, une hausse de l’épargne peu favorable à l’économie, et, d’autre part, une recherche de rendement peu propice à l’engagement dans des investissements de transition écologique de long terme et dont l’objectif n’est pas la rentabilité maximale.

8. Pour finir. Les bonimenteurs des fonds de pension [qu’on pourrait, pour le coup, appeler des "boni-menteurs"], pour nous vendre leur brouet, présentent le mélange de la répartition et de la capitalisation comme un pâtissier qui vanterait son gâteau au chocolat et à l’abricot (comme la tarte Sacher) ou au chocolat, à la cerise et à la crème chantilly (comme la forêt-noire). Mais dirait-on que le panachage de répartition et de capitalisation s’apparente à ces douceurs ? Que nenni ! Le mélange de répartition et de capitalisation, c’est comme un gâteau qui serait à la fois au chocolat et au cyanure. En ce cas, la présence de chocolat serait anecdotique : le seul ingrédient qui produirait un effet serait le cyanure...

Philippe ARNAUD

Philippe Arnaud, Amis du Diplo de Tours

COMMENTAIRES  

10/03/2023 17:28 par irae

Autre question peu vue de cette contre réforme, l’injonction sousjascente à terminer rapidement ses études pour entrer vite dans l’activité professionnelle au risque d’avoir un taux plein à 70 ans.
C’est si bon une population sous éduquée pour en faire des ânes à nouna et autres chtis qui voteront rn comme un seul homme.

10/03/2023 17:30 par Patrizio Marie-Ange

attention il y a une faute dans la phrase :

"Ce qui aggrave le déficit de celui-ci en l’absence de hausse des impôts (surtout sur le revenu et sur les entreprises), et -non : est- l’absence de hausse du taux de cotisation ou le refus d’en élargir l’assiette".

10/03/2023 18:33 par Lou lou la pétroleuse

Arrêtons d’ergoter et reprenons possession de la sécu ! Elle est à nous, c’est nous qu’on l’a gagnée, financée etc. Et si ce n’est pas nous personnellement parce qu’on est né(e)s après, c’est donc nos sœurs, ainsi que nos frères.
Ni fonds de pensions, ni caisses complémentaires, une seule sécu, gérée par nos représentants et la retraite à 60 ans. De toute façon à cet âge là on n’a déjà plus besoin de nous.

11/03/2023 08:44 par CAZA

Comment dérèglementer pour rendre au capitalisme sauvage américain ce que nos parents et grands parents communistes avaient mis hors de leur portée en le combattant : Education .Santé . Retraite

Facile : Transformer les médias en propagande .
Et faire croire aux citoyens que c’est dans leur intérêt .
https://www.dailymotion.com/video/x2lfdvr
https://www.youtube.com/watch?v=WanUsa3v6SY

12/03/2023 09:00 par irae

https://youtu.be/TMFB4k4dRd8
Pourvu qu’il remplace ce jaunard de martinez.

12/03/2023 13:41 par chb

Lou : "elle est à nous". Ouais, elle a eu été à nous, jusqu’en 63 du siècle dernier. Puis de moins en moins.
Comme dit Bellon, "la réforme des retraites résume crument l’inversion des légitimités qui mine notre démocratie."
Ainsi, c’est sans légitimité démocratique que la Sécu a été phagocytée par les gouvernements successifs depuis sa mise en place. Les budgets santé, vieillesse ou chômage ont été indépendants des aléas politiques lorsque Croizat a inventé la protection sociale gérée par les salariés ; cela, dans un pays exsangue.
Cette protection sociale est maintenant une variable d’ajustement soumise aux besoins de l’état - et aux appétits du capital.
C’est clair pour le rabotage des retraites, cela l’est aussi pour l’étranglement de l’hôpital public et de la santé en général.

Parlant de démocratie, quelle légitimité Macron a-t-il pour faire la guerre aux russes à la remorque de l’Otan, risquant l’escalade nucléaire et sacrifiant les économies de l’UE, soi-disant en soutien à la démocratie (version Zélinski : ultra-libérale, parjure et corrompue, russophobe jusqu’au génocide...) ?

13/03/2023 11:09 par michel PAPON

Dans ce domaine l’ignorance est dangereuse ; la retraite par capitalisation revient à remettre sa vie entre les griffes des fonds de pension US qui les fera disparaître sans aucun recours, les salariés US s’en mordent les doigts, eux qui sont obligés de reprendre le travail apres 70 ans !

13/03/2023 13:49 par Josy

Depuis que les banquiers ,ou leurs scribes trouvent des places de décision dans les classes dominantes et gouvernantes ,ouvertement ou subrepticement , les services publics accessibles à tous deviennent semi- privilèges alors même que cotisations et impôts ne faiblissent pas pour les revenus de la majorité des citoyens, revenus qui par ailleurs n’évoluent pas selon l’inflation.
Tout doit être privatisé pour nos serviteurs zélés de la finance sans limitation et hors contrôle de la société .
Pour cela tout ce qui est bien commun ,doit être éliminé , car s’il est utile à tous , il n’enrichit pas celui qui s’en emparerait pour en garder les fruits pour lui seul.
On démolit peu à peu chaque service public pour arguer des déficiences provoquées afin de le supprimer. On le maltraite pour le dévaloriser et remplacer par la propriété privée qui sera rentabilisée pour quelques uns en la favorisant par la loi et en allégeant les "charges " .
Ainsi nomme- t -on cotisations et redevances à la société à laquelle on appartient et dont on bénéficie en commun , mais ,qu’en privatisant ,on réserve à ceux qui nous ressemblent et qui vont ainsi tenir le rôle du parasite qui capte et s’empare des biens de tous pour lui même .
Pillage et détournement , vol et corruption ; on retient , prive et confisque la richesse produite collectivement au profit de quelques profiteurs sans foi ni loi autres que la force et l’appétit égoïste dans l’ amour de l’accumulation infinie des richesses . .
Pourtant la richesse dépend toujours de ceux qui la produisent et de ceux qui ont d’autres valeurs que celles d’une accumulation stérile.
la "déforme" des retraites vise à remplacer, une répartition des cotisations ,selon les revenus et les avantages profitable à tous par une accumulation pour ceux qui peuvent économiser et capitaliser pour faire grossir la palote des assurances vie, dividendes et fonds de pension qui , Hélas , comme avant le front populaire et les réformes d’après guerre , font faillite au moment où vous devez en bénéficier ! comme l’Histoire nous l’a montré et le présent de même , avec les faillites des mutuelles et fonds de pension.
On s’interroge sur la décision récente de ne plus rembourser les cathéters alors qu’on va rembourser les protections périodiques .
Peut être faut il y voir , outre le goût vulgaire des gouvernants qui se vautrent dans l’arbitraire , le choix d’une suppression si vitale qu’on paiera de sa poche plus cher et qu’on s’en privera si l’on n’a pas de complémentaire :’on restreint l’avantage et "en même temps "on fait plaisir à un grand nombre de citoyennes et d’entreprises proches du pouvoir.
L’absurdité des décisions permet de désorienter et détourner l’attention sur la forme, au détriment du fond qui nous concerne vraiment.

13/03/2023 19:42 par françois gerard

@ JOSY le terme déforme des retraites est le bon mot pour désigner cette "réforme". Oui, on déforme la France et son pacte social issu de la libération. A BAS LA DEFORME DES RETRAITES

13/03/2023 21:08 par sylvain

Le milieu qui gère aujourd’hui nos caisses de retraite, notre sécu et a peu près tous les conquis sociaux a juré leur perte. Ils en sont les ennemis fondamentaux, exactement les mêmes a qui il a fallu les arracher de haute lutte pendant plus d’un siècle : l’oligarchie capitaliste. Ils ne s’en cachent même pas vraiment, tant ils répètent depuis 50 ans que ce sont des anachronisme, inefficaces, trop chers...

Tant qu’ils auront la main, ça évoluera de la même manière

17/03/2023 21:44 par Delahaye

Et la retraite par points ? Elle a les avantages de la justice pour chacun : tu cotises,tu touches selon les points obtenus (à l’instar du système AGIRC-ARCCO). Tu connais à tout moment ton nombre de points et en le multipliant par la valeur du point,tu connais le montant de ta retraite. Autre avantage :un nombre supplémentaire de points peut être attribué pour les métiers pénibles. Tu choisis l’âge de ton départ à la retraite ,celà fait aussi partie des avantages du système .
Pour info,le système AGIRC-ARCCO est bénéficiaire car bien géré.

19/04/2023 21:13 par de Pauw

J’ajoute un point sur le soi disant "péril"du régime par répartition qu’ils veulent soi disant "sauver" : la pyramide des âges. C’est comme pour le covid, les boomers sont des plus en plus nombreux et font donc de plus en plus de retraités.( de décès en ce qui concerne le covid et la grippe). Mais cela ne va pas durer et le ratio entre actifs et retraités va se ré-équilibrer lorsque tous les boomers des trente glorieuses seront décédés.

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