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Abel Prieto : "Le concept politique de privatisation est absolument exclu à Cuba" (CubaDebate)

« Obama est, sans doute, une personne avec plus de capacités. Mais tout est une trame de pouvoir » avertit Abel Prieto, une voix de poids dans le processus révolutionnaire. « Les changements à Cuba n’impliquent pas le retour au capitalisme » insiste-t-il. Prieto, actuellement député et ex-ministre de la culture de Cuba est venu à Buenos Aires en Juillet dernier pour participer à des activités académiques.

Atilio Boron : Je voudrais pour commencer, te demander une réflexion sur la place importante que la révolution Cubaine à toujours accordé à la culture, ce qui est souvent éclipsé par l’accent presque exclusif qui est mis sur les transformations économiques et politiques mises en œuvre depuis le début de la révolution.

Abel Prieto : Atilio, souviens toi de cette phrase de Fidel , quand il a dit qu’une révolution ne peut être que fille de la culture et des idées .Un concept très Martien et très Gramscien à la fois et qui a beaucoup à voir aussi avec les idées du Che, au sujet de la création d’un homme nouveau, et c’est ce qui définit réellement la transformation socialiste de l’être humain et son environnement .Ce que la révolution cubaine a réellement apporté (d’une façon ou d’une autre, avec des zigzags, des reculs, des difficultés, des obstacles qui paraissaient parfois insurmontables) c’est l’hégémonie des idées du socialisme en termes culturels. Qu’est-ce qui a permis au peuple de Cuba de résister pendant ces terribles années 90 sinon les convictions très fortes et une conscience très claire que nous devions défendre l’espace conquis pour les idées de justice, pour les idées de démocratie authentique ? Il me semble que cela a tenu à la campagne d’alphabétisation mise en route immédiatement, à la création de l’Imprimerie Nationale, la Maison des Amériques, l’Institut de Cinéma (ICAIC), c’est-à-dire, tout l’appareil de protection du patrimoine culturel de la nation depuis ces premières années, et la démocratisation de l’accès à la culture. En mettant l’accent sur différents points et en différentes étapes, la culture a toujours été une priorité pour Fidel, comme ça l’est maintenant pour Raul. Et nous pouvons dire que cela est une des conquêtes qui définissent notre socialisme.

A B : Nous pouvons dire que c’est une conquête fondamentale, plus irréversible qu’aucune autre. Le fait que la Maison des Amériques ou le ICAIC aient été des institutions créées par la Révolution cubaine, avant même d’autres qui avaient à voir avec la vie économique, ou avant même la législation agraire, m’a toujours impressionné.

A P : L’Institut National de Réforme Agraire, l’INRA, a été créé au début de la révolution, mais la première loi de l’Assemblée Nationale dès que la révolution a été institutionnalisée, a été celle du Patrimoine Culturel.

A B : L’impact de la culture Nord- Américaine dans les Caraïbes a toujours été traditionnellement très fort et immédiat et on a l’impression qu’à Cuba, il est de plus en plus difficile de résister à cette influence. Jusqu’à quel point cela est-il vrai, et si ça l’est, comment peut-on contrecarrer ce processus ?

A P : A Rosario, quand j’ai parlé du « Socialisme et l’homme à Cuba » du Che, je me souvenais qu’il disait qu’il fallait combattre les tares du passé. Le problème c’est qu’aujourd’hui les tares du passé font partie de la bataille quotidienne et effectivement le message consommateur, frivole, le message, disons, pro-yanqui, avec une certaine idéalisation de ce monde Nord Américain, a infusé dans certains segments de notre population et je pense que cela contamine l’atmosphère spirituelle de Cuba. Mais j’ai une foi très grande que même dans les pires conditions, l’identité culturelle cubaine aura la capacité de résister. Evidemment nous ne pouvons pas laisser cela livré à un processus spontané. Il faut aider ces processus, il faut aider à créer de nouveaux paradigmes.

A B : Il y en a qui disent qu’avec l’actualisation du modèle socialiste, Cuba revient au capitalisme. C’est une chose que l’on nous demande en permanence. Qu’en penses-tu ?

A P : Tout d’abord il faut savoir que les documents du récent Congrès du Parti ont été discutés par toute la population et enrichis par les gens au cours des discussions Et dans ce document, on parle de formes de gestion non gouvernementales, on ne parle pas de privatisation ou de propriétés non gouvernementales ; on parle de formes de gestion non gouvernementales. Nous louons des terres à des coopératives ou des familles, des paysans qui ont l’obligation de rendre la terre productive, mais la propriété c’est l’état cubain qui la conserve au nom de tout le peuple. C’est tout le contraire de la privatisation, et le principe de base est qu’aucune personne ou entité qui s’occupe de la production ou aucun des services de formes non gouvernementales n’acquière de la propriété. De toutes façons, c’est cette entreprise gouvernementale socialiste, avec à présent d’avantage d’attributions, plus de liberté d’action et une plus grande efficacité sans les entraves administratives qui lui liait les mains, qui va nous sortir de la crise. Nous ne toucherons pas, par exemple au concept de la santé universelle gratuite pour tous les cubains, qui nous a apporté les taux de mortalité infantile équivalents à ceux du monde développé. Nous ne toucherons pas à l’accès à l’éducation universelle et gratuite que nous avons aujourd’hui, c’est-à-dire que chaque cubain peut selon son effort, son talent et ses capacités passer de l’école primaire jusqu’à l’université sans payer un centavo . Rien de tout cela n’est négociable, aucune de ces choses ne sera privatisée et nous ne privatisons rien. Il est important que cela soit clair. Le concept politique de privatisation est absolument exclu.

A B : La presse de droite a donné une énorme diffusion à la version selon laquelle un million de personnes, d’employés du public, seraient renvoyés et on a parlé d’ajustement sauvage.

A P : Cela n’est pas vrai. Ce que nous avons fait, c’est identifier avec beaucoup de sérieux et de rigueur, les personnes qui sont réellement nécessaires dans l’appareil administratif. C’est vrai qu’on a dit que beaucoup de gens étaient en trop dans l’appareil, mais de là à mettre ces gens à la rue c’est quelque chose qui n’a rien à voir avec nos idées ni avec l’idée sur laquelle Raul insiste tant et qui est anticapitaliste par définition : nous ne délaisserons , nous ne délaisserons pas une seule famille .

A B : Que se passe t-il aujourd’hui avec la jeunesse à Cuba ? Y a-t-il eu un processus de dépolitisation dans de vastes secteurs de la jeunesse cubaine ? Pas en tous, parce qu’il y a un secteur très fortement politisé. Comment vois-tu cela ?

A P : Tu sais que Raul aborde ce sujet sans détours. Le fait est que la génération qui attaqua la Moncada, qui lutta dans la montagne, va bientôt disparaitre pour des raisons biologiques. Il a parlé de ça à l’Assemblée Nationale, quand Miguel Diaz-Canel a été élu vice-président du conseil d’état et des ministres. Raul a mené un processus de promotion de jeunes à des postes essentiels. Aujourd’hui, beaucoup de nos ministres sont très jeunes. Actuellement dans notre Conseil d’état, il y a aussi Bruno Rodriguez, notre ministre des relations extérieures, qui est aussi un homme très jeune, avec une grande expérience en tant que cadre de la jeunesse. Et dans le Comité central et à L’Assemblée Nationale il y a plein de jeunes avec des valeurs extraordinaires. Je crois qu’il y a une avant-garde de jeunes très politisés et très déterminés à mener à bien le processus révolutionnaire. Je vois qu’il y a beaucoup de jeunes qui veulent discuter, qui veulent participer ; je crois que ces espaces là se consolident et que ce défi est un des plus grands que doit affronter aujourd’hui le Cuba révolutionnaire. Maintenant va avoir lieu le congrès de l’Union des Journalistes de Cuba*, parce que notre presse ne remplit pas bien son rôle. Il y a longtemps déjà, on avait souligné dans une résolution du bureau politique le besoin que l’on a, d’une presse critique qui aide à combattre les problèmes, la bureaucratie, les erreurs. Quelques pas ont été faits ; tu sais que maintenant à Granma le vendredi, il y a une rubrique de courrier des lecteurs ou des accusations importantes sont faites, et un journalisme d’investigation se met en place pour affronter le sujet de la corruption et aussi celui du comportement et de la mentalité bureaucratique, réfractaire à tous changement. Raul mène une très dure bataille avec la bureaucratie.

A B : Cette jeunesse veut pouvoir voyager à l’étranger, voir d’autres pays.

A P : Depuis le début de la révolution, on a pu voir à Cuba tout le cinéma capitaliste, le grand cinéma européen, italien, français, le cinéma nord américain, celui de grande qualité mais aussi celui de moins bonne qualité. A l’inverse de l’Union Soviétique par exemple nous pensons qu’empêcher de connaitre l’extérieur ne mène nulle part. C’est une grave erreur qui conduit seulement à ce que les gens idéalisent ce monde qui leur est interdit.

A B : Qu’a signifié pour vous l’arrivée d’Obama à la Maison Blanche ?

A P : Le blocus se maintient intact. Et une chose qui ne se divulgue pas dans le monde c’est que l’administration d’Obama est beaucoup plus efficace que celle de Bush pour poursuivre les banques et les entreprises qui violent le blocus établi par les lois Helms-Burton et Toricelli. Certaines entreprises ont du payer des amendes de plusieurs millions. Et l’administration d’Obama est très efficace pour cela, pour le harcèlement envers Cuba, surtout dans le domaine financier. Qu’a apporté de nouveau Obama ? Je te dirai quelques visas pour les artistes et les universitaires bien que les artistes qui voyagent aux Etats-Unis font seulement des voyages promotionnels. C’est à dire qu’aucune agence cubaine qui représente un artiste ne peut tirer un bénéfice de cette tournée. Evidemment ça intéresse les artistes parce que c’est un marché important sur le plan artistique mais eux non plus ne peuvent pas toucher de dividendes comme n’importe quel artiste qui fait une tournée aux Etats-Unis. Ils leur imposent une espèce de diète du porte-monnaie. Ils ne peuvent pas recevoir de dividendes, et ils ne peuvent pas non plus toucher de droits d’auteur pour leurs œuvres quand elles sont interprétées par d’autres artistes.

A B : Mais s’ils donnent un concert et que les entrées se vendent…..

A P : Ils ne peuvent pas toucher un centavo sur les entrées. C’est interdit par la loi du blocus.

A B : Et ça continue…

A P : Ca continue de façon stricte et cruelle…Obama a permis à des groupes d’étudiants et d’universitaires Nord-américains, avec des licences déterminées, de venir ici. Cela a été le grand changement dont on a parlé. Ce n’est pas un grand changement, c’est sûr. Par contre la loi d’ajustement cubaine se maintient strictement. Même le lobby le plus véreux et radical est inquiet et dit qu’avec sa réforme migratoire Cuba pourrait préparer un nouveau Mariel et « remplir Miami de communistes ».

A B : Explique ce qu’est la loi d’ajustement, pour ceux qui ne la connaissent pas.

A P : C’est une loi incroyable qui permet aux cubains par le simple fait de mettre un pied aux Etats-Unis de recevoir un permis de séjour d’un an tout d’abord, et ensuite la résidence définitive . C’est un cas unique. Les Etats-Unis ont deux politiques migratoires : une pour le reste du monde et une autre seulement pour Cuba. Imagine toi : les Mexicains ou les Centraméricains peuvent être tués s’ils passent la frontière mais le Cubain a cette possibilité ; ce qui permet au gouvernement Nord-américain d’en tirer un parti propagandiste. Mais maintenant ils ont un argument en moins. Avant, les Cubains pouvaient sortir, il y avait ce qui s’appelait le permis de sortie, qui vient de l’époque où les Batistiens, les criminels, les tortionnaires, ceux qui avaient fait des malversations au trésor public, ont commencé à quitter le pays, dans les années 59,60. Ensuite, les gens pouvaient sortir de Cuba mais sous certaines conditions : une lettre d’invitation de l’étranger et le fameux permis de sortie. Ces conditions ont été supprimées. Aujourd’hui pour sortir de l’île il suffit au Cubain d’avoir un passeport valide et le visa correspondant. Et il n’y a pas eu d’exode après cette réforme, loin de là. Fidel a dit un jour que le « socialisme doit être l’œuvre d’hommes et de femmes libres », c’est-à-dire que ça ne peut pas se construire si on a le sentiment d’être captif.

A B : Et au sujet des cinq ? René est rentré à Cuba….

A P : René est rentré, J’ai eu la chance de le voir et d’observer comment les gens réagissent. Alicia Alonso a organisé un spectacle de danse pour les cinq au théâtre Mella et René y était. Et j’ai été impressionné par le nombre de gens qui venaient le voir, pour l’embrasser, se photographier avec lui. Mais Obama n’a pas fait ce qu’il aurait dû.

A B : Oui, parce que s’il le veut, il peut gracier les cinq.

A P : Non, il ne l’a pas fait alors qu’il peut le faire. Evidemment, souviens toi de ce qu’avait dit Fidel : « Clinton a rendu Elian à Cuba parce que les sondages montraient que plus de 60% des étatsuniens pensaient qu’il fallait rendre cet enfant à son père. Et Fidel a dit aussi que « quand nous parviendrons à ce que l’opinion publique étatsunienne soit favorable à la grâce, ils seront graciés ». Parce que les présidents des Etats-Unis fonctionnent ainsi : non pas en fonction de principes éthiques mais par rapport aux sondages. Nous sommes face à quelqu’un, Obama, qui, comparé à Bush, est un homme intelligent, qui s’exprime bien. Bush est un monstre d’ignorance et de méchanceté. Obama c’est sûr, a plus de capacités. Mais c’est une structure de pouvoir. Si on est à la tète de l’empire, c’est pour appliquer une politique impériale au pied de la lettre.

A B : Obama a ratifié la qualification de Cuba comme pays qui appuie le terrorisme.

A P : C’est une honte ! Cuba est la grande victime du terrorisme qui est généré par les Etats-Unis ; guerre biologique, attentats dans des hôtels, bombes, sabotages. Cuba a tout subi. Et eux, ils ont là-bas un terroriste avéré et condamné, Posada Carriles, libre à Miami ; et Orlando Bosch qui est mort dans son lit alors qu’il était un grand criminel.

A B : Un grand criminel. Il y a peu de temps, on a inauguré la bibliothèque Bush à l’Université Méthodiste de Sud (à Dallas, Texas) et il y avait là tous les ex présidents encore vivants des Etats-Unis : Bush père, Bush fils, Carter, Clinton, et évidemment Obama. Quelqu’un a demandé à Chomsky ce qu’il pensait de ce spectacle et il a dit : « Bon, vous avez là plein de criminels de guerre ! ».Tous ensembles, souriants, ils ont l’air de gens bien mais ce sont des criminels de guerre.

A P : C’est ça. Ce sont des criminels de guerre.

Note : * L’expression correspond à un moment préalable au congrès.

Traduit de l’espagnol par irisinda

»» http://www.cubadebate.cu/opinion/20...
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