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Tout le monde s’en fiche (TruthDig)

Cela fera bientôt dix ans que nous sommes en guerre en Afghanistan et bientôt huit en Irak. Des centaines de milliers d’Irakiens et des milliers de civils Afghans et Pakistanais ont été tués. Des millions ont été poussés vers des camps de réfugiés. Des milliers de nos propres soldats et marines sont morts ou sont estropiés physiquement ou psychologiquement. Nous finançons ces guerres, qui n’ont pas de véritable soutien populaire, en empruntant des milliers de milliards de dollars qui ne pourront jamais être remboursés, tandis que les écoles ferment, les états tombent en faillite, les services sociaux sont rognés, nos infrastructures tombent en ruines, des dizaines de millions d’Américains sont réduits à la misère, et le véritable taux de chômage approche les 17 %. Une inertie collective, suicidaire nous entraîne vers une insolvabilité nationale et l’effondrement de l’empire. Et personne ne proteste. Le mouvement pacifiste est mort, malgré les efforts héroïques d’une poignée de groupes tels les Vétérans d’Irak Contre la Guerre, le Parti des Verts et Code Pink. Tout le monde s’en fiche.

Cette apathie de masse a pour origine la profonde division entre les libéraux, qui sont majoritairement blancs et bien éduqués, et notre classe ouvrière déshéritée, dont les enfants qui n’ont guère de possibilités de trouver un emploi décent, n’ont souvent pas d’autre choix que l’armée. Les libéraux, dont les enfants fréquent plus souvent une université d’élite qu’un corps de marines, n’ont pas combattu le NAFTA (Accord de libre échange de l’Amérique du Nord) en 1994 et le démantèlement de notre industrie. Ils n’ont rien fait lorsque deux ans plus tard les Démocrates ont saccagé les aides sociales et ils sont restés impassibles lorsque nos banques ont été offertes aux spéculateurs de Wall Street. Ils ont ratifié, en soutenant les Démocrates Clinton et Obama, le pillage mené par les entreprises privées au nom de la globalisation et d’une guerre sans fin, et ils ont ignoré le sort réservé aux pauvres. Pour toutes ces raisons, les pauvres n’accordent que peu d’intérêt aux protestations morales des libéraux. Nous avons perdu toute crédibilité. Nous sommes détestés, et à juste titre, pour notre complicité tacite dans l’assaut mené contre les travailleurs et leurs familles.

Cependant, notre passivité à engendré quelque chose de plus qu’un aventurisme impérial et un sous-prolétariat structurel. Un coup d’état en douce effectué par un gouvernement contrôlé par des intérêts privés s’est transformé en une néo-feodalité où il n’y a plus que des maîtres et des serfs. Et ce processus ne peut pas être renversé par le biais des mécanismes traditionnels de la politique électorale.

Jeudi dernier je me suis rendu à Washington pour rejoindre le Représentant Dennis Kucinich pour une conférence sur les guerres en cours. Kucinich a profité de cet événement organisé dans l’enceinte du Congrès pour dénoncer une nouvelle demande de Barack Obama pour une rallonge supplémentaire de 33 milliards de dollars pour la guerre en Afghanistan. Le Démocrate du Ohio a présenté une proposition de loi, soutenue par 16 élus, qui exige un débat à la Chambre des Représentants sur la poursuite de la guerre en Afghanistan. Kucinich est le seul membre du Congrès à condamner publiquement l’autorisation accordée par l’administration Obama pour l’assassinat d’Anwar al-Awlaki, un religieux américain qui vit au Yémen et qui est accusé d’entretenir des liens avec le kamikaze du vol de Détroit à Noël. Kucinich avait aussi invité le journaliste d’investigation Jeremy Scahill, l’écrivain/militant David Swanson, et le Colonel de l’armée à la retraite Ann Wright ainsi que le vétéran de la guerre en Irak Josh Steiber.

La réunion, qui s’est tenue dans la bâtiment Rayburn, nous a brutalement rappelé notre insignifiance. Il n’y avait que quelques jeunes assistants parlementaires. Aucun autre membre du Congrès n’était présent. La majorité du public était composée d’environ 70 militants pacifistes qui, comme d’habitude dans ce genre d’événement, avaient été rejoints par un groupe hétéroclite de théoriciens du complot qui pensent que le 11/9 est l’oeuvre du gouvernement et que le feu Sénateur Paul Wellston, mort dans un accident d’avion, a été assassiné. Scahill et Swanson ont donné une litanie de statistiques troublantes qui montrent comment les entreprises privées ont pris le contrôle des différents pouvoirs. Les entreprises privées ont réussi à prendre le contrôle de notre sécurité intérieure et de nos agences de renseignement. Elles dirigent notre économie et gèrent nos systèmes de communication. Elles possèdent les deux partis politiques principaux. Elles ont construit un appareil militaire privé. Elles pillent les caisses de l’état selon leur bon vouloir. Et elles sont devenues inattaquables. Ceux qui dénoncent le coup d’état sont tenus à l’écart du débat public et sont marginalisés, comme Kucinich.

« Nous n’avons aucun système de communication dans ce pays, » a dit Swanson, qui est le co-fondateur d’une coalition pacifiste (AfterDowningStreet.org) et qui a mené sans succès une campagne pour la destitution de George W. Bush et Dick Cheney. « Nous avons un cartel médiatique privé qui se confond avec l’industrie de l’armement. La démocratie ne les intéresse pas. Le Congrès est à leur solde. Il est totalement corrompu par l’argent. Nous nous battons la coulpe à cause de notre inertie et de notre incapacité à imposer notre volonté, mais pour nous la barre est placée très haut. Il nous faudra travailler très très dur et faire de très gros sacrifices pour pouvoir exercer une influence sur ce Congrès si nous espérons le faire sans mettre la main à la poche et nous offrir des médias dignes de ce nom. Les parlementaires hypocrites du Congrès parlent toujours d’argent, de comment il faut faire attention à ne pas le dépenser n’importe comment, sauf lorsqu’il s’agit de financer des guerres. C’est de l’hypocrisie, mais qui ira les dénoncer ? Pas leurs collègues, pas leurs financiers, pas les médias, personne à part nous. Nous devrions le faire, mais en général nous ne le faisons pas parce que de temps à autre ils changent le parti au pouvoir et que nous sommes toujours partie prenant dans l’un ou l’autre. »

Scahill - qui a effectué un remarquable travail d’enquête sur la sous-traitance y compris la société Blackwater, rebaptisée Xe - a expliqué comment la gestion des guerres en Irak et Afghanistan a été méthodiquement transférée par le Pentagone à des sous-traitants privés qui n’ont pas de comptes à rendre. Il a regretté le manque de soutien à un projet de loi présenté par le Représentant Jan Schakowsky, projet connu sous le nom de Stop Outsourcing Security (SOS) Act, H.R. 4102 (Interdiction de la sous-traitance en matière de sécurité - NdT), qui aurait « écarté les entreprises privées des fonctions qui devraient être réservées aux forces armées et aux fonctionnaires du gouvernement des Etats-Unis. »

« Il s’agit là d’une des dures réalités de notre temps, où on peut proposer une loi qui énonce quelque chose d’aussi simple que « nous ne devons pas sous-traiter à des entreprises privées les questions de sécurité nationale » et ne trouver que 20 membres du Congrès pour le soutenir, » a dit Scahill. « La triste réalité est que le Représentant Schakowsky sait que l’industrie de l’armement est bipartisane. Elle finance les deux camps. Pendant un moment on a cru que le sous-traitant était devenu une sorte de nouveau Israël. On ne pouvait pas trouver un seul membre du Congrès pour les critiquer parce qu’il y en a tellement qui sont dépendants de financements privés pour garder leur siège à la Chambre des Représentants ou au Sénat. Je crois aussi que l’élection d’Obama, comme pour de nombreux autres sujets, a éliminé cette possibilité et que la Maison Blanche enverrait ses émissaires pour intimider les membres du Congrès qui ne suivraient pas la ligne du parti. »

« La totalité du gouvernement a été privatisée », a poursuivi Scahill. « En fait, la totalité des ceux qui gagnent 100.000 dollars ou moins dans ce pays pourraient aussi bien donner tous leurs biens directement aux sous-traitants plutôt que de payer le gouvernement. C’est pour vous dire à quel point la société a été privatisée, à quel point le gouvernement a été sous-traitée dans ce pays. Il y a 18 agences de renseignement, militaires et civiles, et 70% de leur budget est consacré à des sous-traitants privés qui travaillent à la fois pour le gouvernement des Etats-Unis et des entreprises privées et des gouvernements étrangers. Nous avons massivement sous-traité les opérations de renseignement dans ce pays tout simplement parce que nous avons massivement tout sous-traité. 69% de toute la main d’oeuvre du Pentagone, et je ne parle pas uniquement des théâtres d’opération, est désormais privatisée. En Afghanistan, les statistiques sont époustouflantes. L’administration Obama est infiniment pire en Afghanistan en matière de mercenariat et autres sous-traitants privés que l’administration Bush. En ce moment, en Afghanistan, il y a 104.000 sous-traitants privés du Ministère de la Défense aux côtés des 68.000 soldats américains. Le rapport est pratiquement du simple au double entre le nombre de soldats salariés du gouvernement américain et les employés de sociétés privées. Sans compter les 14.000 sous-traitants du Département d’Etat présents en Afghanistan. »

« Dans quelques mois, en très certainement avant un an, les Etats-Unis auront jusqu’à 220.000 ou 250.000 personnes financées par l’état en train d’occuper l’Afghanistan. Nous sommes loin des 70.000 soldats que ceux qui prêtent un peu d’attention pensent que les Etats-Unis ont en Afghanistan. » a dit Scahill. « Nous parlons d’un pays où, selon le conseiller à la sécurité nationale du président, le général James Jones, se trouvent moins de 100 membres d’Al Qaeda incapables de frapper les Etats-Unis. C’était pourtant la raison invoquée de notre présence en Afghanistan. C’était pour poursuivre les auteurs des attentats du 11/9. »

Josh Stieber a pris la parole en dernier. Stieber a été déployée avec l’armée en Irak entre février 2007 et avril 2008. Il était membre de la compagnie Bravo 2-16, celle impliquée dans l’attaque par des hélicoptères Apache en juillet 2007 contre des civils irakiens, montrée dans une vidéo récente publiée par Wikileaks. Stieber, qui a quitté l’armée comme objecteur de conscience, a publiquement demandé pardon au peuple irakien.

« En aucun cas il ne s’agit d’un cas exceptionnel, » a-t-il dit en parlant de la vidéo, qui montre des pilotes d’hélicoptère en train de mitrailler avec nonchalance des civils, dont un photographe de l’agence de presse Reuters et des enfants, dans une rue de Bagdad. « C’était inévitable étant donné les conditions. Nous livrions de nombreux combats à l’époque. Une bombe pouvait exploser au bord d’une route ou un sniper pouvait tirer de n’importe où. La paranoïa était constante, nous étions constamment sous pression. Lorsqu’on place des gens dans une telle situation au milieu de civils, c’est le genre de choses qui arrivera et qui est arrivé et continuera d’arriver tant que notre pays ne s’en préoccupe pas. Maintenant que cette vidéo a été rendue publique, il est de notre responsabilité de reconnaître que c’est à cela que ressemble cette guerre au quotidien. »

Je me sentais déprimé en sortant du bâtiment Rayburn pour aller prendre le train et rentrer chez moi. Les voix de la raison, les voix du bon sens, celles qui ont un contenu moral, comme celles de Kucinich ou Scahill ou Wright ou Swanson ou Stieber, n’ont que peu de chances d’être entendues. Les libéraux, qui n’ont pas compris les objectifs inavouables du gouvernement privé et ceux de ses maléfiques serviteurs du Parti Démocrate, ont leur part de responsabilité. Mais même une classe libérale éclairée aurait eu du mal à combattre les grotesques numéros de carnaval et de théâtre politique qui ont provoqué cet aveuglément collectif. Nous avons tous été subjugués. Et avec les milliers d’innocents en Irak, en Afghanistan, au Pakistan et ailleurs, nous serons tous dévorés.

Chris Hedges

http://www.truthdig.com/report/item/no_one_cares_20100503/

Traduction "non Chris, t’es pas tout seul, enfin presque" par VD pour le Grand Soir

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Viktor Dedaj

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