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Voilà pourquoi tout ce que vous avez lu sur les guerres d’Irak et de Syrie pourrait être faux. (The Independent)

Des secouristes et des habitants du quartier tentent d’extraire un homme des décombres d’un immeuble à la suite d’un bombardement aérien observé dans le quartier de Salhin, tenu par les rebelles, dans le secteur nord d’Alep. (AFP)

Il est trop dangereux pour les journalistes d’opérer dans les zones tenues par les rebelles à Alep et Mossoul. Pourtant il y a une attente énorme d’informations en provenance du Moyen Orient, et la tentation est grande pour les médias, d’accorder du crédit à des informations de seconde main.

L’armée iraquienne, soutenue par des frappes aériennes américaines, essaie de s’emparer de l’Est de Mossoul au même moment que l’armée syrienne et ses unités paramilitaires chiites alliées progressent de leur côté dans Alep Est. Environ 300 civils ont trouvé la mort à Alep au cours des 15 derniers jours, suite à des tirs d’artillerie et des bombardements gouvernementaux, tandis qu’à Mossoul 600 civils auraient été tués sur une période d’un mois.

Malgré ces similarités, les reportages publiés dans la presse internationale sur ces deux sièges sont radicalement différents.

A Mossoul, les pertes de vies de civils sont attribuées à l’ISIS et ses usages indiscriminés de mortiers et de combattants suicidaires, tandis que l’armée irakienne et ses soutiens aériens ont carte blanche. L’ISIS est accusée d’empêcher les civils de fuir la ville afin de les utiliser comme boucliers humains.

Tout le contraire des descriptions des médias occidentaux qui condamnent la sauvagerie des forces du Président Assad, massacrant sans distinction les civils, qu’ils tentent de fuir ou qu’ils restent sur place. Le chargé des affaires humanitaires de l’ONU Stephen O’Brien, a attiré l’attention cette semaine sur le fait que les rebelles d’Alep Est empêchaient les civils de fuir – mais à la différence de Mossoul, cette question a été peu couverte.

L’un des facteurs qui rend les sièges d’Alep et de Mossoul à la fois si semblables et si différents, comparés aux sièges passés au Moyen Orient, par exemple celui de Beyrouth par Israël en 1982, ou de Gaza en 2014, c’est qu’aucun journaliste étranger indépendant n’est présent. Il n’y sont pas pour la bonne raison que Daech emprisonne et décapite les étrangers, tandis que Jabbat Al Nusra, affilié encore récemment en Syrie à al Quaïda, opére de façon à peine moins sanguinaire en les détenant contre rançon.

Ce sont les 2 groupes qui dominent l’opposition armée en Syrie dans son ensemble. A Alep, bien qu’environ 20% des 10 000 combattants appartiennent à Al Nosra, ce sont eux – avec leurs alliés de Ahrar al Sham, qui mènent la résistance.

Sans surprise, les journalistes étrangers qui couvrent les développements à Alep et dans les zones tenues par les rebelles en Syrie le font dans leur grande majorité depuis le Liban ou la Turquie. Un certain nombre de correspondants qui ont tenté de faire du reportage en tant que témoins eux-mêmes, dans les zones tenues par les rebelles, se sont aussitôt retrouvés enfermés dans le coffre de véhicules ou sinon incarcérés.

L’expérience montre que les reporters étrangers ont plutôt raison de ne pas mettre leur vie entre les mains de l’opposition armée en Syrie, même la plus modérée. Pourtant, de façon étrange, les mêmes médias continuent d’accorder leur confiance aux informations qu’ils considèrent comme vraies, en provenance des zones sous la coupe de ces mêmes kidnappeurs potentiels ou preneurs d’otages. Ils se défendraient probablement eux-mêmes en disant qu’ils s’appuient sur des militants impartiaux, mais la seule raison est que ceux-ci ne peuvent opérer dans Alep Est qu’avec l’autorisation de groupes du type de ceux d’al Qaïda.

Il est inévitable qu’un mouvement d’opposition qui combat pour sa survie ne va publier, ou autoriser à publier, que des informations qui sont essentiellement de la propagande pour son camp. La faute non pas à eux, mais aux médias qui mangent de ce pain-là fait d’histoires douteuses ou partiales.

Par exemple, le scénario qui se dégage de l’est d’Alep au cours des dernières semaines, concentre notre attention presqu’exclusivement sur des scènes déchirantes de tragédies humaines telles que la mort ou la mutilation de civils. Et nous voyons rarement des tirs des 10 000 combattants, qu’ils soient blessés ou en parfaite santé.

Rien de neuf. Les guerres en cours au Moyen-Orient ont commencé par l’invasion étasunienne de l’Irak en 2003, qui était justifiée par la menace supposée de Saddam Hussein qui aurait été en possession d’armes de destruction massives (ADM). Les journalistes occidentaux ont relayé cette thèse, heureux de pouvoir citer des preuves présentées par l’opposition irakienne, qui de façon prévisible confirmèrent l’existence d’ADM.

Parmi ceux qui produisirent ces histoires, certains eurent plus tard le culot de critiquer l’opposition irakienne pour les avoir induits en erreur, comme si ils avaient eu un quelconque droit d’espérer une information impartiale de la part de gens qui avaient consacré leur vie au renversement de Saddam Hussein ou, dans ce cas particulier, qui avaient eu recours aux Étasuniens pour le faire à leur place.

Le même genre de crédulité auto-entretenue par les médias fut à l’évidence observable en Libye, lors du soulèvement de 2011 contre Muammar Kadhafi avec le soutien de l’OTAN.

Des histoires atroces en provenance de l’opposition libyenne, dont beaucoup furent par la suite démenties car sans fondement selon des organisations humanitaires, furent pourtant rapidement portées à la une des journaux, quelle qu’ait été la partialité de la source.

La guerre en Syrie est particulièrement difficile à couvrir parce que Daech et divers groupes clones d’al Qaïda ont rendu les reportages trop dangereux depuis les zones tenues par les rebelles. Il y a une attente formidable en matière de reportages depuis ces endroits précisément, donc la tentation est grande parmi les médias, d’accorder du crédit aux informations de seconde main que des informateurs ne peuvent obtenir que s’ils appartiennent ou ont des affinités avec les groupes dominants de jihadistes de l’opposition.

C’est une vraie faiblesse des journalistes, qu’ils prétendent exhumer la vérité alors qu’en fait ils ne sont que le canal de transmission et non à l’origine de l’information produite par d’autres dans leur propre intérêt. Les reporters apprennent très tôt que les gens leur confient des informations parce qu’ils soutiennent une cause qui pourra être leur propre carrière, ou en lien avec des luttes internes d’ordre bureaucratique, ou, c’est tout aussi possible, par haine ou par mensonge ou par injustice.

Un mot ici pour défendre l’humble reporter sur le terrain : d’habitude, ce n’est pas lui ou elle, mais la rédaction ou l’instinct grégaire des médias, qui décide de l’histoire qui va faire la une. Ceux au plus près de l’action peuvent bien être sceptiques face à des histoires savoureuses qui font la une, ils ne peuvent pas y faire grand-chose.

Ainsi, en 2002 et en 2003, plusieurs journalistes du New York Times rédigèrent des articles qui jetaient un doute sur les ADM, mais ils les découvrirent au fin fond de leur journal, inondé par contre d’articles prouvant que Saddam était en possession d’ADM et constituait une menace pour l’humanité.

Les journalistes, de même que le public, devraient aborder toutes les informations sur la Syrie et l’Irak avec un scepticisme raisonné. Ils devraient garder à l’esprit les paroles de Lakdhar Brahimi, ancien envoyé spécial de l’Onu et de la Ligue Arabe en Syrie. Parlant à la suite de sa démission pleine de frustration en 2014, il avait déclaré que « chacun avait ses échéances, et que les intérêts du peuple syrien passaient après, en deuxième voire troisième position, si ce n’est absolument nulle part. »

« Nous devons accepter qu’Assad va gagner en Syrie »

La citation provient de “The Battle for Syria : International Rivalry in the New Middle East” (La Bataille pour la Syrie, Rivalités internationales dans le nouveau Moyen Orient) de Christopher Phillips, l’un des récits les mieux informés et les plus impartiaux sur la tragédie syrienne jamais publié. Il soupèse de façon judicieuse les indices de preuve pour chacune des interprétations des faits quant à ce qui s’est passé et pourquoi. Il comprend jusqu’à quel point le déroulement et le rythme des événements ont été décidés à l’extérieur par l’intervention de puissances étrangères qui poursuivaient leurs propres intérêts.

Globalement, les experts gouvernementaux ont produit un meilleur travail que les journalistes, qui se sont contentés d’explications simplistes des événements, convaincus qu’Assad était à chaque fois sur le point de tomber.

Phillips rappelle qu’à un moment intense du soulèvement en juillet 2011, alors que les médias considéraient qu’Assad était fini, Simon Collins, Ambassadeur britannique de longue date à Damas écrivit qu’« Assad pouvait probablement encore compter sur le soutien de 30 à 40 % de la population » [ NdT. 70% en 2013 selon une étude qualitative de l’OTAN passée inaperçue].

L’ambassadeur de France Éric Chevallier n’était pas plus convaincu mais, coup classique, il fut désavoué par ses supérieurs à Paris qui déclarèrent « Vos informations ne nous intéressent pas. Bachar El Assad doit tomber et il tombera. »

Patrick COCKBURN

Traduction BR

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