28 avril 2006.
Début d’une histoire à propos d’une ville où l’on peut circuler sans feux de signalisation, sans police, sans risques de collisions avec une
voiture ou un chien ... »
Le père d’Elena est un physicien nucléaire ukrainien qui travaille avec d’autres chercheurs sur le site de Tchernobyl. Grâce à lui, Elena a pu obtenir le laisser-passer qu’il est impératif de présenter à l’entrée de Tchernobyl, zone morte, zone fantôme.
Sa fille nous l’annonce d’emblée : elle n’a rien à vendre. Juste une histoire à raconter, l’histoire d’une dévastation, photos à l’appui.
à‚gée de sept ans au moment de l’accident, Elena se contente aujourd’hui de chevaucher sa moto, parcourant Tchernobyl où les radiations, si leur niveau est descendu bien en dessous des 100 roentgen/heure, contamineront encore chaque millimètre carré pendant les prochaines 48,000 années. La ville sera néanmoins considérée comme relativement sûre dans 900 ans environ, à moins que les chercheurs ne trouvent un moyen de neutraliser la radioactivité - à condition que le gouvernement ukrainien veuille bien financer les recherches. En attendant, la nature reconquiert ce territoire, qui appartient désormais aux loups et aux sangliers.
Les routes qui mènent à Tchernobyl sont solitaires : la population a peur d’un mal qui échappe à la détection de nos cinq sens. A l’entrée du périmètre, quelqu’un a déposé un oeuf géant, qui symbolise la confiance en la force de la vie et en sa capacité à triompher des pires épreuves. Passé ce monument, le désert ; fermes et villages abandonnés d’où les habitants ont commencé à s’enfuir, saisis de panique... une semaine après la catastrophe, le régime n’ayant pas jugé bon de les avertir : c’est l’écoute des radios étrangères qui a permis aux gens du cru d’en prendre connaissance. Même les pompiers appelés en urgence pour combattre l’incendie n’ont pas été mis au courant.
Flairant la bonne affaire, certains tour-opérateurs ont eu l’idée de faire de la ville de Tchernobyl la destination d’excursions touristiques. Las ! Les clients, qui payaient 1200 hryvnas (environ 250 euros) chacun pour une excursion de deux heures, ne restaient souvent que quelques minutes et revenaient déçus et mécontents : entre les immeubles dans les cuisines desquels nul plat ne mijote plus, les commerces où nulle nécessité, nul luxe ne changent plus de mains, les hôtels où nul ne rêve plus entre deux voyages, dans les parcs où nul parent attendri ne rit plus devant le tout-petit qui poursuit un pigeon, partout, partout, sur les places et dans les jardins, dans les anciens bureaux de vote où le Parti offrait une boisson gratuite aux électeurs venus mettre leur bulletin dans l’urne, sur les parkings où rouillent les véhicules, un cri résonne : c’est le cri du silence.
Vingt ans après, bienvenue à Tchernobyl. (site fermé)
Catherine-Françoise Karaguézian