Le Courrier, mardi 5 décembre 2006.
Et de quatre ! Pour la quatrième fois depuis 1998, Hugo Chávez a reçu dimanche l’onction du suffrage universel. Bien qu’attendue, cette nette victoire doit être appréciée à sa juste valeur. Rarement un processus de profonde transformation sociale et politique n’a été plébiscité aussi régulièrement par les urnes. Il faut remonter aux révolutions néolibérales de Thatcher et de Reagan, dans les années 1980, pour trouver de pareils phénomènes...
En obtenant dimanche près de 7 millions de suffrages, Hugo Chávez a pratiquement doublé son bassin électoral en huit ans. Mieux : il rassemble aujourd’hui davantage d’électeurs qu’il n’y avait de votants en 1998 ! Pas mal, pour un homme politique volontiers taxé d’« autoritaire », voire de « dictateur ».
On le sait peu, mais l’une des « missions » mises sur pied par son gouvernement consistait à recenser les millions de Vénézuéliens tellement exclus du système qu’ils ne disposaient même pas de papiers d’identité. Et encore moins d’une carte de vote. Dans la « démocratie » libérale et censitaire d’avant 1999, 11 millions de Vénézuéliens étaient appelés aux urnes. Ils sont plus de 16 millions aujourd’hui. Tout un symbole de la politique d’inclusion sociale chère à M. Chávez.
Significatif par cette légitimité nouvelle, le succès du président vénézuélien l’est aussi parce qu’il s’appuie désormais sur des réalités concrètes et non plus sur la seule rhétorique. Longtemps freiné par les tentatives de déstabilisation de l’opposition, son projet socio-économique déploie ses premiers effets. Pauvreté, marginalité et analphabétisme ont considérablement reculé.
Si l’on est loin de la société « socialiste » annoncée (ou « castro-communiste » dénoncée), le gouvernement ne s’est pas contenté de surfer sur la hausse des prix du pétrole. Système de santé de proximité, démocratisation de l’enseignement et de la formation professionnelle, développement de l’économie sociale et solidaire, décentralisation politique et médiatique, encouragement à l’auto-organisation... le programme est global et les réformes profondes, bien qu’encore balbutiantes. A Caracas, on bâtit sur des droits - inscrits dans la Constitution et mis en oeuvre par le peuple et les institutions. On ne se contente pas de parier sur le mirage de la croissance. En cela, le « bolivarisme » est déjà révolutionnaire... à défaut d’être socialiste.
Bien sûr, le processus initié par Hugo Chávez connaît encore d’inquiétantes faiblesses. L’insécurité et la précarité du logement pourrissent la vie de millions de Vénézuéliens. Trop timide, la réforme agraire laisse des milliers de paysans pauvres ou de travailleurs agricoles en marge. Même les « missions » - pourtant plébiscitées par la population - trahissent la fragilité du processus. Incapable de s’allier ses propres bureaucrates, le gouvernement a été contraint de créer ces structures paraétatiques (financées directement par la société pétrolière PDVSA) pour appliquer son programme...
Hugo Chávez et son équipe disposent désormais de six ans pour combler ces lacunes, doter le pays de services publics cohérents et réaliser l’ensemble des droits sociaux et individuels proclamés dans la Constitution. Six ans aussi pour consolider l’ébauche d’alternative latino-américaine au néolibéralisme qui se dessine de La Paz à Caracas.
Benito Perez
– Source : Le Courrier de Genève www.lecourrier.ch
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