Vaccins contre la covid-19 : considérations éthiques, juridiques et pratiques
Résolution 2361 (2021)
Auteur(s) :
Assemblée parlementaire
Origine
Discussion par l’Assemblée le 27 janvier 2021 (5e séance) (voir Doc. 15212, rapport de la commission des questions sociales, de la santé et du développement durable, rapporteure : Mme Jennifer De Temmerman). Texte adopté par l’Assemblée le 27 janvier 2021 (5e séance).
1. La pandémie de covid-19, maladie infectieuse causée par le nouveau coronavirus SRAS-CoV-2, a été source de beaucoup de souffrances en 2020. En décembre 2020, plus de 65 millions de cas avaient été enregistrés dans le monde et plus d’1,5 million de personnes avaient perdu la vie. La charge de morbidité de la pandémie elle-même et les mesures de santé publique nécessaires pour la combattre ont ravagé l’économie mondiale, dévoilant au grand jour des fractures et des inégalités préexistantes (y compris dans l’accès aux soins) et causant chômage, déclin économique et pauvreté.
2. Le déploiement rapide, dans le monde entier, de vaccins sûrs et efficaces contre la covid-19 sera déterminant pour contenir la pandémie, protéger les systèmes de santé, sauver des vies et contribuer à la relance des économies mondiales. Même si des mesures non pharmaceutiques comme la distanciation physique, le port du masque, le lavage fréquent des mains et les fermetures et confinements ont contribué à ralentir la propagation du virus, les taux d’infection sont de nouveau en hausse presque partout dans le monde. De nombreux États membres du Conseil de l’Europe sont confrontés à une seconde vague, pire que la première, et leurs habitants éprouvent de façon plus prononcée une certaine lassitude face à la pandémie (appelée en anglais « pandemic fatigue ») et se sentent démotivés à l’idée de suivre les comportements recommandés pour se protéger et protéger autrui du virus.
3. Cependant, les vaccins, même s’ils sont sûrs, efficaces et déployés rapidement, ne sont pas une panacée dans l’immédiat. En effet, après la période des fêtes fin 2020 et début 2021, avec leurs traditionnels rassemblements en intérieur, les taux d’infection seront probablement très élevés dans la plupart des États membres. Par ailleurs, une corrélation vient d’être scientifiquement établie par des médecins français entre les températures extérieures et le taux d’incidence de la maladie sur les hospitalisations et les décès. Les vaccins ne suffiront sans doute pas à faire baisser de manière significative les taux d’infection cet hiver, d’autant plus si l’on tient compte du fait que, à ce stade, la demande est largement supérieure à l’offre. Un semblant de « vie normale » ne pourra donc reprendre, même dans les meilleures conditions, avant le milieu ou la fin de l’année 2021 au plus tôt.
4. Pour que les vaccins soient efficaces, il est absolument essentiel que leur déploiement soit réussi et qu’ils soient suffisamment acceptés par la population. Cependant, la rapidité avec laquelle les vaccins sont mis au point peut provoquer un sentiment de défiance difficile à combattre. Un déploiement équitable des vaccins contre la covid-19 est également nécessaire pour garantir leur efficacité. En effet, s’ils ne sont pas assez largement distribués dans une région gravement touchée d’un pays, les vaccins deviennent inefficaces et ne permettent pas d’endiguer la propagation de la pandémie. En outre, le virus ne connaît pas de frontières et il est donc dans l’intérêt de chaque pays de coopérer afin de garantir une équité mondiale dans l’accès aux vaccins contre la covid-19. La réticence à la vaccination et le nationalisme en matière de vaccin sont à même de réduire à néant les efforts couronnés de succès et étonnamment rapides qui ont été déployés jusqu’ici pour mettre au point un vaccin, car ces comportements permettraient au virus SRAS-CoV-2 de muter, rendant ainsi partiellement inopérant l’outil le plus efficace au monde à ce stade pour lutter contre la pandémie.
5. La coopération internationale est ainsi plus que jamais nécessaire pour accélérer la mise au point, la fabrication et la distribution juste et équitable des vaccins contre la covid-19. Le dispositif COVAX est l’initiative phare en ce qui concerne l’attribution des vaccins et leur accès à l’échelle mondiale. Codirigé par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), Gavi l’Alliance du vaccin et la Coalition pour les innovations en matière de préparation aux épidémies (Coalition for Epidemic Preparedness Innovations-CEPI), COVAX mobilise des fonds auprès des pays adhérents afin de soutenir la recherche, le développement et la fabrication d’un large éventail de vaccins contre la covid-19, mais aussi en négocie les prix. Une gestion adéquate des vaccins et une logistique de la chaîne d’approvisionnement, qui requièrent une coopération internationale et des préparatifs de la part des États membres, seront également nécessaires afin d’assurer une distribution sûre et équitable des vaccins. À cet égard, l’Assemblée parlementaire attire l’attention sur les orientations élaborées par l’OMS à l’intention des pays concernant la préparation et la mise en œuvre des programmes ainsi que la prise de décision au niveau national.
6. Les États membres doivent dès à présent mettre au point leurs stratégies de vaccination pour attribuer les doses de manière éthique et équitable, et déterminer notamment les groupes de population prioritaires durant les premières phases de déploiement, lorsque les stocks sont limités, ainsi que la manière d’étendre la couverture vaccinale à mesure que la disponibilité d’un ou plusieurs vaccins contre la covid-19 s’améliore. Les spécialistes de la bioéthique et les économistes s’accordent largement à dire que les personnes de plus de 65 ans et celles de moins de 65 ans qui présentent le plus grand risque de contracter une forme grave de la maladie et d’en mourir en raison d’affections sous-jacentes, le personnel de santé (tout particulièrement ceux qui travaillent en contact étroit avec des personnes appartenant à des groupes à haut risque) et les personnes exerçant dans des infrastructures essentielles devraient être vaccinées en priorité. Les enfants, les femmes enceintes et les mères allaitantes, pour lesquels aucun vaccin n’a à ce jour été autorisé, ne doivent pas être oubliés.
7. Les scientifiques ont accompli un travail remarquable en un temps record. C’est maintenant aux gouvernements d’agir. L’Assemblée soutient la vision du Secrétaire général des Nations Unies selon laquelle un vaccin contre la covid-19 doit être un bien public mondial. La vaccination doit être accessible à toutes et tous, partout. L’Assemblée demande donc instamment aux États membres et à l’Union européenne :
7.1 en ce qui concerne la mise au point des vaccins contre la covid-19 :
7.1.1 de garantir des essais de haute qualité qui soient solides et menés dans le respect des règles éthiques, conformément aux dispositions pertinentes de la Convention pour la protection des droits de l’homme et de la dignité de l’être humain à l’égard des applications de la biologie et de la médecine : Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine (STE no 164, Convention d’Oviedo) et son Protocole additionnel relatif à la recherche biomédicale (STCE no 195), et qui incluent progressivement les enfants, les femmes enceintes et les mères allaitantes ;
7.1.2 de veiller à ce que les organismes réglementaires chargés d’évaluer et d’autoriser les vaccins contre la covid-19 soient indépendants et à l’abri de toute pression politique ;
7.1.3 de veiller à ce que les normes minimales pertinentes de sécurité, d’efficacité et de qualité des vaccins soient respectées ;
7.1.4 de mettre en place des systèmes efficaces de contrôle des vaccins et de leur sécurité après leur déploiement dans la population générale, y compris en vue de surveiller leurs effets à long terme ;
7.1.5 de mettre en place des programmes indépendants de réparation en cas de dommages ou de préjudices injustifiés consécutifs à la vaccination ;
7.1.6 d’être particulièrement attentifs au risque de délit d’initié par des responsables de l’industrie pharmaceutique ou des entreprises pharmaceutiques qui s’enrichiraient anormalement aux dépens de la collectivité, en mettant en œuvre les recommandations figurant dans la Résolution 2071 (2015) intitulée « La santé publique et les intérêts de l’industrie pharmaceutique : comment garantir la primauté des intérêts de santé publique ? » ;
7.1.7 de surmonter les obstacles et les restrictions découlant des brevets et des droits de propriété intellectuelle, afin d’assurer la production et la distribution à grande échelle de vaccins dans tous les pays et pour tous les citoyens ;
7.2 en ce qui concerne l’attribution des vaccins contre la covid-19 :
7.2.1 de veiller au respect du principe de l’accès équitable aux soins de santé, tel qu’énoncé à l’article 3 de la Convention d’Oviedo, dans les plans nationaux d’attribution des vaccins, en garantissant que les vaccins contre la covid-19 sont mis à la disposition de la population indépendamment du genre, de la race, de la religion, de la situation juridique ou socio-économique, de la capacité de payer, du lieu et d’autres facteurs qui contribuent souvent à des inégalités au sein de la population ;
7.2.2 d’élaborer des stratégies de distribution équitable des vaccins contre la covid-19 au sein des États membres, en tenant compte du fait que l’offre initiale sera limitée, et de prévoir comment les programmes de vaccination seront déployés lorsque l’offre s’étoffera ; de suivre les conseils des institutions et comités de bioéthique indépendants aux niveaux national, européen et international, ainsi que ceux de l’OMS, lors de l’élaboration de ces stratégies ;
7.2.3 de veiller à ce que les personnes d’un même groupe prioritaire soient traitées équitablement, en accordant une attention spéciale aux plus vulnérables comme les personnes âgées, les personnes présentant des maladies sous-jacentes et les professionnels de la santé, tout particulièrement ceux qui travaillent en contact étroit avec des personnes appartenant à des groupes à haut risque, ainsi que les personnes exerçant dans des infrastructures essentielles et dans les services publics, notamment les services sociaux, les transports publics, les forces de l’ordre, les écoles, ainsi que dans les commerces ;
7.2.4 de promouvoir un accès équitable aux vaccins contre la covid-19 entre les pays en soutenant des initiatives internationales, notamment le Dispositif pour accélérer l’accès aux outils de lutte contre la covid-19 (Accélérateur ACT) et son initiative COVAX ;
7.2.5 de s’abstenir de stocker des vaccins contre la covid-19, car cette pratique affaiblit la capacité d’autres pays à se procurer des vaccins pour leur population, et de veiller à ce que le stockage ne se traduise pas par une augmentation des prix des vaccins à l’avantage de celles et ceux qui les stockent contre celles et ceux qui ne le peuvent pas ; d’effectuer des audits et un contrôle a priori pour assurer un déploiement rapide des vaccins à un coût minimal fondé sur la nécessité et non sur la puissance commerciale ;
7.2.6 de veiller à ce que chaque pays soit en mesure de vacciner ses professionnels de santé et ses groupes vulnérables avant que la vaccination ne soit déployée aux groupes non à risque, et donc d’envisager de faire don de doses de vaccin ou d’accepter que la priorité soit donnée aux pays qui n’ont pas encore été en mesure de le faire, en gardant à l’esprit qu’une allocation mondiale juste et équitable des doses de vaccin est le moyen le plus efficace de vaincre la pandémie et de réduire les fardeaux socio-économiques qui y sont associés ;
7.2.7 de veiller à ce que les vaccins contre la covid-19 dont la sécurité et l’efficacité ont été établies soient accessibles à toutes celles et tous ceux qui en auront besoin à l’avenir, en ayant recours, là où cela sera nécessaire, à des licences obligatoires en contrepartie du versement de droits ;
7.3 pour ce qui est de garantir un niveau élevé d’acceptation des vaccins :
7.3.1 de s’assurer que les citoyens et citoyennes sont informés que la vaccination n’est pas obligatoire et que personne ne subit de pressions politiques, sociales ou autres pour se faire vacciner, s’il ou elle ne souhaite pas le faire personnellement ;
7.3.2 de veiller à ce que personne ne soit victime de discrimination pour ne pas avoir été vacciné, en raison de risques potentiels pour la santé ou pour ne pas vouloir se faire vacciner ;
7.3.3 de prendre des mesures efficaces le plus tôt possible pour lutter contre les fausses informations, la désinformation et la méfiance concernant les vaccins contre la covid-19 ;
7.3.4 de diffuser en toute transparence des informations sur la sécurité et les éventuels effets indésirables des vaccins, de travailler avec et réglementer les plateformes de médias sociaux pour empêcher la propagation des fausses informations ;
7.3.5 de communiquer, de manière transparente, le contenu des contrats avec les producteurs de vaccins et de les rendre publics pour examen par les parlementaires et le public ;
7.3.6 de coopérer avec des organisations non gouvernementales et/ou d’autres initiatives locales afin d’atteindre les groupes marginalisés ;
7.3.7 de se rapprocher des communautés locales pour élaborer et mettre en œuvre des stratégies sur mesure visant à faciliter l’acceptation des vaccins ;
7.4 en ce qui concerne la vaccination des enfants contre la covid-19 :
7.4.1 de veiller à un juste équilibre entre le déploiement rapide de la vaccination chez les enfants et l’examen justifié des préoccupations concernant la sécurité et l’efficacité des vaccins, et d’assurer la sécurité et l’efficacité complètes de tous les vaccins pour les enfants en mettant l’accent sur l’intérêt supérieur de l’enfant, conformément à la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant ;
7.4.2 de mener des essais de haute qualité, en tenant dûment compte des garanties applicables, conformément aux recommandations et aux normes légales internationales, notamment de la répartition équitable des bénéfices et des risques pour les enfants inclus dans les essais ;
7.4.3 de veiller à ce que les souhaits des enfants soient dûment pris en compte, en conformité avec leur âge et leur degré de maturité ; lorsque le consentement de l’enfant ne peut pas être donné, de veiller à ce qu’un accord reposant sur des informations fiables et adaptées à son âge soit donné sous d’autres formes ;
7.4.4 de soutenir le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) dans les efforts qu’il déploie pour procurer à ceux qui en ont le plus besoin des vaccins de fabricants ayant passé des accords avec l’initiative COVAX ;
7.5 en ce qui concerne la surveillance des effets à long terme des vaccins contre la covid-19 et de leur innocuité :
7.5.1 d’assurer la coopération internationale pour la détection et l’élucidation en temps opportun de tout signal de sécurité au moyen d’un échange mondial, en temps réel, de données sur les manifestations postvaccinales indésirables (MAPI) ;
7.5.2 d’utiliser les certificats de vaccination uniquement dans le but désigné de surveiller l’efficacité du vaccin, les effets secondaires potentiels et les effets indésirables ;
7.5.3 d’éliminer les ruptures dans la communication entre les autorités de santé publiques locales, régionales et internationales traitant des données MAPI, et de surmonter les faiblesses des réseaux de données de santé existants ;
7.5.4 de rapprocher la pharmacovigilance des systèmes de santé ;
7.5.5 de soutenir le domaine émergent de la recherche « adversomique », qui étudie les variations interindividuelles des réponses vaccinales fondées sur les différences d’immunité innée, de microbiomes et d’immunogénétique.
8. En référence à la Résolution 2337 (2020) sur les démocraties face à la pandémie de covid-19, l’Assemblée réaffirme que les parlements, en tant que clés de voûte de la démocratie, doivent continuer de jouer leur triple rôle de représentation, d’élaboration de la loi et de contrôle en ces temps de pandémie. L’Assemblée demande donc aux parlements d’exercer ces pouvoirs, selon le cas, également en ce qui concerne la mise au point, l’attribution et la distribution des vaccins contre la covid-19.