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Une question et une pensée particulière.

Ce matin du 8 janvier, en donnant un crypto-dollar et cinquante centimes à la buraliste pour lui payer devinez quel journal, j’ai constaté qu’elle avait les doigts tout noirs. (Crypto-dollar : avec un C comme Crypto et deux barres comme dollar, le sens des barres indiquant qui se couche devant qui...)

Elle avait les doigts noirs car les journaux déteignaient, l’encre noire avait coulé à flot dans la nuit. Quelque chose me dit que certaines mères crocodiles ayant frayé avec des seiches, ça s’est répercuté sur les glandes lacrymales de leur descendance. Humour noir involontaire : l’adjudant Kronenbourg ne va pas tarder à rendre les honneurs à Cabu !

Mais passons sur la sincérité des uns ou des autres. J’apprécie celle des éditorialistes qui condamnent la tuerie tout en continuant de dire qu’ils n’aimaient pas Charlie Hebdo.

Quant à moi, je reste avec une question et une pensée particulière.

La question :

A Charlie Hebdo, il y a eu douze morts le 7 janvier : quatre dessinateurs, un économiste et deux policiers.

Donc, selon l’arithmétique médiatique, 5+1+2 = 12 !!!!!!

J’ai entendu ce matin que l’un des quatre qui sont manifestement moins morts que les autres s’appelait Mustapha et était correcteur.

Quant aux trois autres, si leurs familles souhaitent qu’on leur foute la paix, tout va bien. Mais je trouve nos médias fichtrement extralucides de l’avoir deviné aussi facilement. Il a fallu plus de vingt-quatre heures pour qu’on en parle un peu.

La pensée particulière, elle, va à Wolinski.

J’aimais les dessins de Cabu depuis le « Grand Duduche » dans les années soixante, ainsi que ceux de Tignous et Charb, et j’appréciais d’entendre avec Maris autre chose que la voix de l’ultracapitalisme sur France-Inter.

Mais j’ai quand-même une pensée particulière pour Wolinski.

Car ces attentats islamistes qui nous secouent régulièrement de puis les années quatre-vingt-dix, j’ai souvent dit dans des forums que ce sont des boomerangs lancés de 1978 à 1990 par les services secrets américains, secondés par Médecins sans Frontières et toute la philosophie soi-disant nouvelle de l’époque.

Faut dire que je suis un très mauvais citoyen, de ceux qui ont plus de huit jours de mémoire politique. Vu que j’ai toujours été perdant, cela fait de moi un sale rancunier...

... mais aussi quelqu’un de reconnaissant quand il y a de quoi.

Avec Wolinski, il y a de quoi. Dans l’intelligentsia française, il a fait partie des rarissimes à refuser de lancer ces boomerangs.

Il dessinait dans l’Huma, le journal de ceux qui considéraient que des seigneurs féodaux et des fanatiques religieux ne sont pas des « Combattants de la Liberté » uniquement parce qu’ils ont l’Armée Rouge en face. (On était quand-même des cons, nous les cocos ! Appeler ces terroristes « seigneurs féodaux » et « fanatiques religieux » en 1978, alors qu’on a appris après 1990 que c’étaient en réalité des « chefs de guerre » et des « intégristes » !)

Wolinski refusait avec nous la propagande qui a fait croire aux Français que le temps peut s’inverser, que l’intervention soviétique de janvier 1980 était la cause d’une guerre commencée en mai 1978 !

Moi, le vieux doctrinaire, je suis plutôt de ceux qui reprochent à Brejnev d’avoir attendu dix-huit mois pour soutenir le seul gouvernement afghan à avoir vraiment voulu abolir le droit de l’homme de tuer sa femme. Un soutien soviétique actif à la révolution dès 1978 aurait peut-être fait réfléchir la CIA et évité cette guerre toujours pas finie au bout de trente-huit ans. Qui sait ?

Evidemment, s’il n’était pas intervenu du tout, les « Talibans » auraient gagné plus vite et la guerre aurait été plus courte puisqu’ils seraient peut-être restés nos amis sous le nom de « Combattants de la Liberté ». Allez savoir ! On parlerait très peu de la terreur en Afghanistan, mais si on en parlait, tous les BHL et Guy Bedos de France seraient d’accord avec moi pour reprocher aux soviétiques leur inaction des années soixante-dix. Car par nature et par définition, les Soviétiques ne pouvaient qu’avoir tort.

Ou bien, le besoin de faire la guerre à notre autre ex-ami Saddam Hussein aurait été irrépressible et on aurait quand même le merdier actuel. Celui qui va continuer, car depuis 1990 que ces alliances honteuses nous pètent à la figure, nos dirigeants et propagandistes continuent de jouer avec le feu islamiste : on les aide en Algérie, ils font exploser des bombes en France ; on les aide en Libye, ils attaquent le Mali ; on les aide en Syrie, il faut les combattre en Irak ; sans oublier, bien sûr, la marionnette de la CIA, Al Qaïda, qui casse ses fils et s’en prend au World Trade Center.

Cette peste est désormais partout, mais nos gouvernants continuent de croire qu’ils peuvent s’en servir impunément pour leur magouilles. Alors que s’ils arrêtaient leurs conneries tout de suite, il faudrait au moins une génération pour que l’épidémie cesse.

Mais le seul point sur lequel on peut leur faire confiance, c’est qu’ils n’arrêteront pas leurs conneries !

En tout cas, en 1980, Wolinski avait su choisir le camp de l’humanisme, donc le camp des perdants, à une époque où c’était vraiment gonflé. C’était un coup à ne plus pouvoir publier que dans l’Huma. Heureusement, sa carrière ne s’est pas arrêtée là. Mais elle aurait pu, vue l’ambiance d’intolérance crasse que le reagano-mitterrandisme faisait régner.

Il a pris ensuite d’autres chemins et je l’ai un peu perdu de vue, car je n’achetais pas Charlie Hebdo. D’autre part, ma calvitie et ma santé plutôt bonne ne me permettent guère de fréquenter les salles d’attentes de médecins ni les salons de coiffure et donc de lire Paris Match.

Mais je lui sais toujours gré d’avoir su être au bon moment du bon côté, non pas celui de l’Armée Rouge comme l’ont dit les connards, mais celui des laïcs afghans, celui des femmes dévoilées, celui de l’école pour toutes les filles, pas seulement celles de la grande bourgeoisie chère aux nostalgiques de la monarchie.

C’est pourquoi, sans vouloir hiérarchiser les morts, je trouve particulièrement injuste qu’il se soit pris dans la tronche un de ces boomerangs, lancés par ses copains du journalisme et du show-biz, y compris ceux de Charlie Hebdo.

Nous sommes dans un de ces moments où je regrette de ne pas croire aux fantômes : j’imagine assez bien le sien en train de se marrer devant tant d’absurdité, résolument bête et méchante.

Mais cela ne me console pas.

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Roberto Saviano. Gomorra. Dans l’empire de la camorra. Gallimard, 2007.
Bernard GENSANE
Il n’est pas inutile, dans le contexte de la crise du capitalisme qui affecte les peuples aujourd’hui, de revenir sur le livre de Roberto Saviano. Napolitain lui-même, Saviano, dont on sait qu’il fait désormais l’objet d’un contrat de mort, a trouvé dans son ouvrage la bonne distance pour parler de la mafia napolitaine. Il l’observe quasiment de l’intérieur pour décrire ses méfaits (je ne reviendrai pas ici sur la violence inouïe des moeurs mafieuses, des impensables tortures corporelles, (…)
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L’histoire de toute société jusqu’à nos jours n’a été que l’histoire de luttes de classes.

Karl Marx

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