Une onde de choc qui révèle les failles du vote démocratique en termes de légitimité
Comme il fallait s’en douter, l’onde de choc provoquée par l’élection de Donald Trump à la présidence des USA n’en finit pas d’étonner et de provoquer des remous. 5 jours après, la colère enfle, l’inquiétude submerge et les rues américaines tendent à se transformer en des champs de bataille plutôt familiers aux paysages du sud.
Comme hier à Paris, avec Nuit Debout, de part et d’autre de l’Amérique, un slogan émerge « Not My President » pour dire l’effroi et refuser de boire la tasse de l’indigence. Tout en étant solidaire de ce mouvement, par le refus de la bêtise qu’il cristallise, je ne peux cependant m’empêcher d’évoquer, comme haïtien, un ressenti légitime. En effet, combien de fois, l’Amérique et les puissants de ce monde (France, Canada) avec leurs agences inter alliées (UE, OEA, CIA) ont imposé au reste du monde ce profil politique indigent que l’Amérique qui se veut « civilisée » et « éduquée » refuse dans son décor ?
Cela est d’autant plus pertinent que souvent, c’est sur fond d’élections truquées (Haïti 2010, 2015), de coups d’état sanglants (Chili 1973, Haiti 1991, etc..) ou de déstabilisation (Venezuela 2015) que ce profil est imposé aux peuples du sud. Or, dans le contexte électoral américain, ce profil résulte d’un choix « démocratique » et « institutionnel ». Mais il n’en interpelle pas moins. Car il est le résultat d’un processus institutionnel qui a toujours exclu le peuple américain du choix politique. Mais il n’a jamais été dénoncé. Et pour cause. Car il est l’instrument par lequel l’« establishment » limite et contrôle la démocratie. Mais aujourd’hui, puisqu’il permet l’émergence d’un « inconnu » qui peut faire gripper la machine, alors il induit l’insinueuse question de la légitimité du profil qui en bénéficie.
Par une de ces ironies dont l’histoire a le secret, rappelons que la perdante de ces élections, Lady Clinton, dans ses fonctions toutes puissantes, de secrétaire d’État US, avait déjà eu à rappeler aux Égyptiens la fragilité et l’insuffisance du vote démocratique pour garantir la légitimité de la fonction élective. On se souvient qu’il s’en est résulté pour l’Égypte, en juillet 2013, la destitution de Mohamed Morsi, un an après son élection.
Ce clin d’œil à l’histoire vise à rappeler que la démocratie est souvent un jeu de dupes aux règles troublantes. Les élites ne l’acceptent que quand le résultat desserve leurs intérêts. Autrement, elles s’arrangent toujours pour la contourner.
Haïti : terre d’expérimentation de la nouvelle indigence politique
L’exemple d’Haïti est illustratif de ce scénario. Au vrai, il y a plus d’un an, dans un article intitulé « Haïti a besoin de nouvelles élites », j’avais écrit que le cycle du business de l’état de droit touchait à sa fin et que Martelly n’était pas un hasard ». Plus tard, dans un autre article, j’avais tenté de montrer que le profil politique de Martelly pouvait ne pas être une exception haïtienne. Tant il me paraissait imminent, évident que l’indigence qui couvait des nuits électorales qui l’ont enfanté et des échecs des luttes populaires çà et là ne pouvait enfanter rien de bon pour l’humanité.
Plus tard, au début de cette année, en janvier 2016, dans un autre texte intitulé « État de droit en fin de cycle », j’avais même insinué que par une barbarie de l’histoire, la présidence de Michel Martelly ressemblait à une expérimentation d’un projet politique indigent à plus grande échelle. Car, il nous avait semblé qu’Haïti devenait, de plus en plus, pour l’expertise internationale à son chevet, une terre d’expérimentation pour des projets indigents qui uniformisent l’échec.
Loin de nous la prétention de dire que nous avions prédit la victoire de TRUMP. Nous nous sommes contentés de faire confiance aux fondements de la dialectique historique qui permet de comprendre l’évolution des sociétés : plus le capitalisme devient inhumain, plus il a besoin d’une représentation politique indigente. Nous nous sommes contentés de mettre à contribution les outils de l’analyse des données pour puiser dans le passé les motifs (pattern) qui expliquent les réalités d’aujourd’hui et de demain.
Nous avons utilisé le modèle haïtien pour montrer la corrélation entre les élites et l’indigence politique. C’est en effet ce qui se passe en Haïti, où depuis des décennies, des groupes sociaux dominants végètent dans une déliquescence structurelle qui ne s’accommode que d’une posture politique indigente ou d’une imposture démocratique.
Mais cette imposture ne résiste pas toujours aux contradictions sociales et économiques. Le monde change. La mondialisation crée une nouvelle dynamique qui détruit les classes moyennes. Dans les sociétés modernes, Il n’y a presque plus que des riches qui deviennent plus riches et des pauvres qui deviennent plus pauvres. Or ce sont les classes moyennes qui font vivre la démocratie. Et celle-ci ne peut pas se contenter d’être une construction artificielle a travers laquelle un semblant de liberté est donné au peuple tandis qu’on le laisse vivre et subir les privations sociales et économiques les plus abjectes.
Cette dynamique économique qui modifie la structure sociale impacte le fonctionnement des institutions démocratiques et sonne le glas du modèle de l’état de droit. Au final, le cycle de l’imposture démocratique touche à sa fin. Le capitalisme devient de plus en plus sauvage et de plus en plus inhumain. De ce fait, Il a besoin d’une représentation politique de plus en plus indigente. Car il cherche à maximiser davantage de profit pour reprendre les maigres concessions qu’il a faites sous la poussée des luttes populaires.
C’est comme l’a dit Antonio Gramsci « le vieux monde se meurt, le nouveau tarde à apparaitre, et dans ce clair-obscur surgissent des monstres ». Mais cela ne doit pas désespérer les peuples en lutte. Au contraire, il faut battre le pavé, flamber de colère, hurler la contestation et refuser d’avaler l’indigence. Qu’elle soit servie sous la forme d’une banane ou d’une indigeste crotte d’éléphant doré, l’indigence doit être combattue. Mais il faut le faire avec intelligence pour laisser émerger de nouvelles utopies sur les ruines fumantes de sa structure indigente.
Déstructurer la trilogie et le triptyque de l’indigence
Aussi qu’importe les manipulations électorales à venir ici ou ailleurs, qu’importe la durée de la présidence de Trump, qu’importe l’issue de l’indigence électorale haïtienne, la colère qui gronde dans les rues de Manhattan et ailleurs augure une perspective réjouissante : On peut encore mobiliser et résister à la bêtise. On peut encore ouvrir de nouveaux fronts et creuser de nouvelles tranchées pour contrer la résurgence de l’indigence politique. Mais pour qu’elle porte fruit, elle doit participer d’un mouvement collectif, je dirais même d’une internationalisation, qui intègre dans sa dynamique les souffrances et les injustices de tous les peuples.
La démocratie ne doit pas être le privilège des grandes civilisations. Le progrès ne doit pas être l’apanage d’une minorité. Il faut refaire les croisades et créer de nouvelles internationales contre les projets à valeurs discriminantes. Il faut dénoncer d’une même voix, d’un même courage les projets qui uniformisent les échecs. Il faut porter d’une voix sourde et intelligente les échos du refus de l’indigence aux oreilles de ceux qui en dessinent les plans.
En cela, il est utile de rappeler qu’en Haïti comme ailleurs, l’indigence est une trilogie qui célèbre la finance pour le profit qu’elle génère pour les élites. Et cette trilogie est soutenue par un axe constitué de politiques, d’experts de service et de médias asservis. Ce triptyque est l’arsenal d’abrutissement massif de la population mondiale. C’est le rempart idéologique et technique au service de l’indigence. Combattre l’indigence, c’est combattre ce beau monde, que dis-je, cette laideur.
Aucun progrès humain ne sera possible sans une déstructuration de cet axe. Aucune victoire ne sera durable sans une désacralisation de cette œuvre immonde. Car c’est à travers les ramifications de cet axe que tout se structure, s’amplifie et se répand.
Ce sont les politiques, les experts de services et les médias qui nous vendent et nous servent l’indigence qui se trouve au menu de tous les repas électoraux de la planète. Ils ont le même mode opératoire et sont sur la même feuille de paie de la finance mondiale. Les élites recrutent des experts qui font le tour de médias sélectionnés pour vendre des projets et des profils politiques prompts à célébrer la finance pour leur seul profit.
Dans cette structure, médias, experts et politiques reçoivent des fonds sous forme de subventions, de publicité ou de financements. Et en échange, ils disent l’évangile de l’indigence : un jour, ils prédisent avec force statistique la victoire, et le lendemain, ils essaient de trouver des circonstances et des justifications à la défaite. Et tout cela sans se remettre en cause.
Il apparait donc que la lutte contre l’indigence ne doit pas se limiter à son axe politique. Il faut la structurer et l’amplifier pour que le slogan citoyen #NotMyPresident soit un prolongement du mouvement Nuit debout et qu’il s’étende aussi aux autres axes de la structure : #NotMyExpert , #NotMyMedia.
Du reste, cette démarche de déstructuration se situe dans la continuité de la pensée scientifique. Car de même qu’on ne connait que contre une connaissance antérieure, que contre un préjugé, on ne peut construire quelque chose de durable qu’après avoir déstructuré l’imposture qui l’occulte. Il faut laisser retentir une nouvelle utopie citoyenne sur les ruines de la démocratie indigente... Il faut déstructurer la bêtise et l’indigence pour laisser émerger une parole insoumise, libre et citoyenne.
Mais commençons d’abord par démasquer l’indigence. Commençons par mettre à terre la structure qui assure sa promotion :
• En refusant sa représentation politique indigente partout où elle émerge : NotMyPresident,
• En contestant la parole indigente de ses experts sur tous les forums : NotMyExpert
• Et en nous détournant des fréquences médiatiques qui véhiculent sa pensée indigente : NotMyMedia.
Place à la démocratie participative. Place à la pensée insoumise, libre et citoyenne. Place aux médias alternatifs. Place aux espaces de libertés et à la justice sociale pour les peuples du monde entier.
Erno Renoncourt
12 novembre 2016