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Une boulimie d’information, au péril du sens ?

Après l’homo erectus, l’homo sapiens et l’homo sapiens sapiens, est venue l’ère de l’homo numericus ! Excessif ? Peut-être pas tant que ça. Il suffit, pour se convaincre du bond effectué par l’humanité en quelques années, d’observer avec quelle dextérité n’importe quel enfant de 5 ans se sert d’une tablette numérique ou d’un iphone... Qui ne s’est pas déjà senti vieillir d’un coup en voyant un bambin manipuler un tel engin et faire courir sur son écran tactile ses petits doigts dodus et agiles ?

Mais il faut le reconnaître, il n’est pas si loin le temps où la façon dont aujourd’hui nous travaillons, nous nous déplaçons, nous nous renseignons, nous nous rencontrons, nous communiquons, nous aurait semblé de la pure science-fiction. En l’espace de 15 ans, notre vie a été révolutionnée : nous ne vivons tout simplement plus notre quotidien comme avant. Pour le meilleur, mais peut être aussi pour le pire, diront les esprits chagrins. Car l’emprise des NTIC, des smartphones, de la réalité augmentée et autres réseaux sociaux évoque sans conteste le mythe de l’humanité devenue esclave de ses robots. Combien de fois vérifie-t-on son téléphone par jour ? 150 fois selon une étude, réalisée à l’occasion de la conférence Mobile Web Africa qui s’est tenue à Johannesburg en début d’année. Stupéfiant. Mieux : une étude de l’université de Chicago, Booth Business School, vient de dévoiler que les jeunes de 18-25 ans sont plus accrocs aux réseaux sociaux tels que Facebook ou Twitter qu’à l’alcool, au sexe ou même au tabac. Etonnant. Encore mieux : 3% des Australiens consulteraient Facebook durant une relation sexuelle. Renversant.

Etre joignable partout, répondre immédiatement, être ici et ailleurs en même temps, tout cela fait partie des usages des représentants de la nouvelle branche de la famille des « e-hominidés ». Les sondés d’une récente enquête menée par l’Observatoire annuel des modes de vie Ipsos reconnaissent « consulter et envoyer des SMS » (33 %) « des mails » (15 %), « téléphoner » (36 %), « aller sur des réseaux sociaux » (9 %) ou encore « jouer » (5 %) alors qu’ils sont... en conversation avec un tiers !

Le cerveau de l’homo numericus est ainsi soumis à un flux continu d’information qui finit par modifier sa façon de penser. Il zappe les informations, fonctionne par association, synthétise les données, les diffuse, les classe et la plupart du temps…les oublie ! Comme il n’a plus le temps d’attendre, il donne le sentiment qu’il n’a plus le temps de comprendre. Désormais, tout doit être instantané, résumé, mâché. Les journaux télévisés résument à outrance les situations et privilégient l’information brute au détriment de l’analyse. Une pensée est transmise instantanément par SMS, elle doit tenir en 140 signes (Twitter), elle doit faire mouche, elle doit buzzer. Sinon, elle n’existe pas.

Les champions de la communication politique l’ont bien compris. Ils jouent sur le réflexe plus que sur la réflexion, comme les héros de ces jeux vidéo qui développent la dextérité mais absorbent le temps libre des enfants… et des adultes qu’ils deviennent en grandissant. Or le temps libre, comme chacun sait, est aussi celui de la réflexion, de la contemplation, de l’introspection. C’est un temps utile pour se connaître et connaître le monde qui nous entoure.

On craint donc, d’une part, la noyade dans les tourbillons d’informations. De l’autre on s’inquiète de l’omniprésence et de la force d’attraction négative des écrans. LeTube, un reportage réalisé en 2001 par le réalisateur Peter Entell s’intéressait aux effets des écrans et montrait qu’ils déclenchaient dans notre cerveau des réflexes à la chaîne à l’origine d’un état quasi-hypnotique isolant du réel. Ceux qui se sont plongés des heures durant dans des parties de jeux en ligne ou se sont simplement perdus dans les méandres d’internet sans voir le temps passer sauront de quoi l’on parle. Même les sociétés numériques sonnent l’alarme. En Thaïlande, l’opérateur Dtac pointe du doigt, dans une publicité, un père sur le canapé du salon, plus absorbé par son BlackBerry que par sa fille dessinant à ses pieds. Et de leur côté, les éditeurs de jeux vidéo signalent les risques liés à l’addiction des loisirs qu’ils proposent comme les cigarettiers préviennent leurs consommateurs des méfaits du tabac.

Pour certains, la pensée se synthétise, pour d’autres, elle se rétrécit. L’homo numericus serait l’aboutissement naturel de l’évolution pour les premiers, une impasse pour les seconds. C’est selon les points de vue qui opposent depuis toujours les Anciens aux Modernes quand une nouvelle technologie vient bouleverser la vie de l’homme. Faut-il cependant rappeler les tombereaux de critiques qui furent déversés sur Gutenberg au moment l’invention de l’imprimerie ou la méfiance de Platon vis-à -vis de l’écrit ? « Nul homme sérieux, assurément, ne se risquera jamais à écrire sur des questions sérieuses et livrer ainsi sa réflexion à l’envie et à l’incompréhension des hommes » (Lettres, VII, 344 c 3), pensait l’élève de Socrate pour qui la pensée couchée sur le papier annonçait sa propre défaite. Depuis, l’encre a bel et bien coulé pour le plus grand bien des esprits ainsi irrigués par la connaissance. La culture va-t-elle se perdre dans les millions de kilomètres de fibres optiques qui parcourent le monde ? Assurément, non. On peut craindre le développement d’une forme d’ « autisme social », de déconnexion vis-à -vis de la réalité, une certaine perte de mémoire aussi mais, dans le même temps, nous accroissons notre capacité à traiter l’information et à l’optimiser en fonction de nos besoins. En un mot, nous nous adaptons, ce qui est à la base du génie de l’homme.

Cette adaptation est cependant soumise à une condition : l’économie du savoir doit amorcer le virage technologique. Elle doit s’adapter aux nouveaux modes d’appropriation des connaissances. Elle doit se numériser pour continuer à transmettre. Où se transmet le savoir ?

A l’école d’abord. Les travaux de la sociologue Dominique Pasquier (1) ou ceux de Fanny Georges, spécialiste en sémiotique des interfaces numériques (2) annoncent la suprématie du support numérique dans l’espace éducatif. Ce qui est associé à la culture scolaire, à commencer par le livre, subit une forte dépréciation chez les adolescents qui lui préfèrent la culture des mass média et celle transmise par les technologies de l’information et de la communication. Il en va de même pour le tableau noir, la craie et l’éponge mouillée qui nous semblent très familiers mais qui perdent du terrain de jour en jour au bénéfice du tableau numérique interactif (TNI) qui capte considérablement plus l’attention des élèves. Est-ce un mal si dans le même temps leur envie d’apprendre s’améliore ?

Dans les livres, ensuite. La page web est en train de remplacer la page de papier. Si cela permet à un public nouveau d’accéder à la lecture, c’est tant mieux. Les amoureux du papier et de l’odeur des livres n’en seront, de toute manière, pas privés. La dématérialisation des supports offre également une opportunité pour inventer de nouveaux modes de création, notamment pour les oeuvres illustrées. Leur libre circulation n’est cependant pas sans danger pour la création. L’industrie musicale, qui n’a pas su anticiper le passage au numérique et ne s’est pas soucié de la question du prix de vente, l’a expérimenté à ses dépens. Afin d’éviter les écueils du piratage et de la concurrence déloyale des géants de l’internet, l’enjeu consiste dans le domaine de l’édition à « préserver le rôle de l’éditeur tout en valorisant la création » comme le rappelle couramment Arnaud Nourry, patron d’Hachette Livre, qui explique : « anticiper, c’est numériser toutes les nouveautés et les catalogues pour que les utilisateurs de tablettes, smartphones et liseuses trouvent de quoi alimenter leurs équipements avec une offre attractive ». En outre, le groupe français est devenu pionnier en permettant, en partenariat avec Google, la numérisation de « milliers d’oeuvres épuisées, tant au bénéfice des auteurs que des universitaires, des chercheurs et du grand public en général. »

Dans les musées, enfin. Lieu de la culture par excellence, le musée craint la poussière plus que tout. Aujourd’hui, le grand défi qu’il doit surmonter est aussi celui de la numérisation comme condition de son accessibilité. Le « musée virtuel » est un continuum constitué par le site web et les catalogues en ligne, par des outils multimédias implantés dans l’espace muséal ou disponibles sur smartphones. Les dispositifs multimédias doivent être présents avant, pendant et après la visite physique. L’application iPhone du musée du Quai Branly pour découvrir les collections permanentes ou celle de l’exposition temporaire Monet sont ainsi les symptômes d’une culture qui assure sa propre survie.

Inutile donc de jouer les cassandres et de s’arracher les cheveux en hurlant que les nouvelles technologies vont tuer l’homme. « Ce qui fait l’homme, c’est sa grande faculté d’adaptation » disait Socrate. Boulimique d’information, l’homo numericus n’en échappe pas moins à la règle… encore faut-il qu’on lui en offre les moyens.

Amandine Guarini

Notes :

(1) Cultures lycéennes. La tyrannie de la majorité, Éditions Autrement (Coll. « Mutations » 235), 2005.

(2) Identités virtuelles. Les profils utilisateur du web 2.0, Librairie J. Vrin, 2010.

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