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Un hymne à l’apprentissage et à la vie pour renaitre de l’indigence

Louis Armstrong a livré avec sa trompette, sa voix et son sourire des moments d’émotion qui auréolent l’humanité d’une éclatante dignité. L‘un de ses titres est un hymne pétillant à la vie dont le texte renvoie à un arc narratif dans lequel reviennent les motifs structurants de l’apprentissage et de la transmission, de la générosité et de la reconnaissance. J’ai voulu danser sur ce thème.

L’apprentissage et la transmission sont les deux bras du moment du couple le plus structurant qui permet à toute espèce vivante de rester durablement sur la voie du changement profond et véritable. Apprendre et transmettre sont les vecteurs vivifiants qui dynamisent tout collectif intelligent au sens propre du vivant.

Le paradoxe de la grandeur ou le mythe du mistral gagnant

Car l’homme, malgré sa domination brute et sauvage sur de nombreux éléments, n’a pas le monopole de l’intelligence dans la nature. Sa capacité à soumettre par la violence et l’indigence des espèces plus fragiles et plus vulnérables n’est pas un signe probant d’intelligence, même quand celle -ci serait prise dans la noblesse d’une perspective de puissance et de grandeur. Loin s’en faut ! C’est même là un certain paradoxe qu’il faut enseigner : il y a davantage de grandeur dans la dignité et l’humilité des petits qu’il n’y en aura jamais dans l’arrogance et l’indigence des puissants. Et c’est aussi vrai pour l’intelligence.

S’il fallait donner un exemple contextuel de ce paradoxe de la grandeur, on pourrait objectivement citer la France qui use de sa puissance pour affaiblir les faibles alors qu’elle se montre insignifiante et indigne devant plus puissante qu’elle. L’affaire des sous-marins australiens mettant aux prises la France comme la risée de l’Australie et des EU est en effet un bel exemple de déficience d’intelligence en ce qu’il permet d’exalter le paradoxe de la grandeur comme un mythe du mistral gagnant. Ceux qui ont la mémoire des faits diplomatiques indigents se souviennent qu’en 2015 sur ordre des EU, la France, tel un pays de grande platitude, sous la houlette de François Hollande, avait annulé un contrat qu’elle avait avec la Russie de Poutine pour la fabrication de deux navires Mistral. Mais l’empire étoilé avait forcé la main à la France pour désavouer Poutine afin de punir celui-ci pour ses agissements supposés belliqueux dans le dossier ukrainien. Et sans intelligence pour évaluer les intérêts de la France dans ce dossier, Hollande avait obéi aux ordres comme les insignifiants dictateurs africains et haïtiens qui obéissent aux ordres des ambassadeurs étrangers sans daigner penser aux intérêts de leur pays. Et voilà qu’aujourd’hui le même empire demande à son plus proche vassal, l’Australie, de rompre un contrat juteux qu’elle avait avec la France pour des sous-marins. Comble d’indigence, la France découvre à ses dépens que, devant les intérêts américains, sa grandeur est aussi insignifiante et énigmatique que ‘‘ le pouvoir après Dieu’’ que ses diplomates insignifiants dépêchés en Haïti avaient aidé feu l’inculpé, Jovenel Moise, à consolider avec les Gangs pour servir les intérêts de l’empire et mieux faire régner l’indigence sur ce pays déshumanisé depuis toujours.

Or, cela aurait fait honneur à l’intelligence des dirigeants français de savoir qu’aucun mistral n’est jamais définitivement gagnant. Voilà pourquoi, il faut toujours se placer, non pas du côté obscur de la force et de la puissance, mais du côté éthique et structurant de l’apprentissage qui magnifie la dignité humaine. Il est manifeste que la grandeur, comme la vraie réussite, ne se mesure pas par la puissance qui permet de soumettre, d’assujettir, d’aveugler ou de snober les autres ; mais par la disponibilité à se mettre au service des autres. Et cette marque de disponibilité est une intelligible grandeur qui résonne chez toutes les espèces vivantes intelligentes. La disponibilité des bataillons des médecins cubains pour servir les peuples du monde entier, au nom de la vraie Internationale humanitaire, achève d’illustrer le paradoxe de la grandeur, en montrant qu’on peut être pauvre, mais grand par sa dignité et son humanité. Je cherche hélas un seul exemple de grandeur, de dignité et d’humanité des puissants envers Haïti pendant ces 60 dernières années, je ne trouve que des faits d’indigence.

D’apprentissage et de transmission comme de générosité et de reconnaissance

Ainsi, l’apprentissage et la transmission résonnent comme un seul et même acte d’intelligence et de grandeur par lequel le vivant sublime sa vie pour faire éloge de la nature en se mettant disponible pour recevoir et partager les vibrations énergétiques de la vie. Quand il émerge de son cocon par les vibrations énergétiques du soleil, la mission du vivant n’est pas d’accaparer la lumière (du soleil) pour la braquer sur son ombre et enfumer ou obscurcir son environnement. La mission du vivant est d’une noblesse inclassable. Car, elle consiste à décoder les messages signifiants de l’environnement pour les amplifier par un traitement intelligent capable de faire perdurer la beauté de la vie dans sa générosité à refléter pour l’homme ce qui est au-dessus de la vie : sa dignité !

Toute lumière qui n’éclaire que son ombre est un enfumage. Ainsi, par imitation de la nature, l’humain ne peut magnifier son intelligence qu’en se rendant disponible pour former des hommes et des femmes qui continueront de faire vivre, en eux et autour d’eux, la dignité humaine comme ultime intelligibilité de l’homme pris ici comme une infime part de la diversité du vivant. Il me plait de citer pour le contexte Jean d’Ormesson qui, tout en vivant dans le culte de l’immortalité, par son statut d’académicien, savait la vanité de cette prétention. Aussi disait-il que “C’est quand il y a quelque chose au-dessus de la vie que la vie devient belle.” Quelque chose qui permet de comprendre que l’immortalité n’est pas tant de vivre éternellement, mais de vivre dignement de manière à se perdurer intelligemment dans la mémoire des autres. De même, la grandeur n’est jamais plus rayonnante que quand elle se met au service de plus petit qu’elle.

Réussir, dans certains contextes, c’est surtout avoir la capacité de transformer en étincelle scintillante ce qu’on a reçu de la vie pour forcer un passage pour les autres dans l’obscurité. Il s’agit de vivre pour laisser une empreinte éthique qui résonnera dans la mémoire des vivants au-delà de sa mort. C’est cette empreinte qui marquera d’une trace éclairante (intelligente) la trajectoire de la grandeur comme disponibilité à transformer ceux qui ont les bonnes vibrations en passeurs de dignité. Cette empreinte est du reste la vraie marque d’intelligibilité par laquelle l’homme peut se prendre en mains, se reconstruire, se régénérer pour transformer intelligemment son environnement en évitant les pièges de la précarité et de la grisaille qui déshumanisent.

L’éthique de soi pour revisiter un certain marxisme non assimilé

Cette transformation ne peut avoir lieu que si l’homme a conscience de sa dignité, de son humanité et de la responsabilité de sa mission scintillante comme part du vivant devant exploiter le langage vibratoire de la vie pour faire éloge de la vie. C’est donc par la prise de conscience de sa dimension intrinsèquement éthique, lui permettant de se libérer de son moi effondré pour se relever dans une dignité lui permettant d’assumer ce que Antonio Damasio appelle « le sentiment même de soi » comme l’intelligible unité de son corps, de ses émotions et de sa conscience. Ce qui me fait penser au dogmatisme de certains militants prétendus de gauche ou marxistes ou structuralistes en Haïti qui recommandent ardemment aux révolutionnaires « de toujours lutter loin de leurs émotions ». Autrement dit sans conscience de leur « soi » authentique.

On sait d’ailleurs combien certains marxistes, notamment haïtiens, aiment répéter cette phrase de Marx sur la conscience et l’existence, (« Ce n’est pas la conscience des hommes qui déterminent leur existence, c’est au contraire leur existence sociale qui détermine leur conscience »), jusqu’à lui donner un statut dogmatique faisant apparaitre comme réactionnaire tout ce qui évoque la conscience et l’éthique. Car ces militants qui ont appris à réciter par cœur ne se doutent pas que dans toutes les œuvres, il y a des thèmes, des sous thèmes qui se succèdent et s’entrelacent comme des motifs pour en former une certaine contexture. Et qu’en conséquence toute phrase doit toujours être restituée comme un motif textuel dans le contexte de l’arc narratif de l’auteur. Ce qui demande de prendre le temps de rechercher les autres résonances de ce thème pour construire la trame intelligible du discours. Lire ne suffit pas, acquérir de nouvelles informations ne suffit pas, il faut qu’elles puissent entrer en résonance avec une connaissance préexistante dans la conscience pour produire du sens et faire émerger l’intelligence.

Voilà pourquoi il ne suffit pas d’avoir entendu ou lu une phrase de Marx sur la conscience pour prétendre en comprendre toute sa signifiance du thème dans le discours de Marx. Il faut d’abord prendre le temps de rattacher ce thème à un arc narratif pour découvrir toute la structuration du thème comme motif intelligible débouchant sur une problématique capable de donner du sens à l’ensemble du récit. Il faut une grande disponibilité d’esprit pour faire ce travail analytique. Et quand on sait que dans l’écosystème haïtien, certains sont insouciants, inconscients et insignifiants, on peut préjuger, toute arrogance assumée, que même en lisant Marx pendant les 5 prochains siècles, certains militants, certains universitaires auront toujours du mal à comprendre que pour Marx la conscience est comme Graal, lisez la force spirituelle par laquelle l’homme peut et doit s’approprier son destin dans sa lutte contre les incertitudes qui menacent son existence. Pour le prouver, je vous fais l’amitié de vous renvoyer à ce superbe texte se trouvant dans Le Capital et connu sous le nom de “ L’abeille et l‘architecte ” dans lequel Marx dévoile le rôle de la conscience dans la maitrise de l’homme sur la nature par le travail [1]. Dans ce texte, on lit que

« L’homme joue [...] vis-à-vis de la nature le rôle d’une puissance naturelle. Les forces dont son corps est doué, bras et jambes, tête et mains, il les met en mouvement afin de s’assimiler des matières en leur donnant une forme utile à sa vie. En même temps qu’il agit par ce mouvement sur la nature extérieure et la modifie, il modifie sa propre nature et développe les facultés qui y sommeillent . »

Si l’on s’en tient à cette partie, on croirait qu’effectivement que c’est la force brute, la matière qui permet à l’homme d’agir sur la nature, mais la suite du texte est un hymne à la conscience. Car l’auteur a conscience que ce qu’il vient de dire peut induire en erreur, car inachevé ; et de fait, il ajoute :

« Nous ne nous arrêterons pas à cet état primordial du travail où il n’a pas encore dépouillé son mode purement instinctif. Notre point de départ c’est le travail sous une forme qui appartient exclusivement à l’homme. Une araignée fait des opérations qui ressemblent à celles du tisserand, et l’abeille confond par la structure de ses cellules de cire l’habileté de plus d’un architecte. Mais ce qui distingue dès l’abord le plus mauvais architecte de l’abeille la plus experte, c’est qu’il a construit la cellule dans sa tête avant de la construire dans la ruche. Le résultat auquel le travail aboutit, préexiste idéalement dans l’imagination du travailleur. Ce n’est pas qu’il opère seulement un changement de forme dans les matières naturelles ; il y réalise du même coup son propre but dont il a conscience, qui détermine comme loi son mode d’action, et auquel il doit subordonner sa volonté . »

Quoi de plus éloquent comme poésie de la conscience et de l’éthique dans l’œuvre de Marx. En conclusion, Marx nous dit que l’homme ne peut agir intelligiblement sur la nature que parce qu’il a la capacité de conceptualiser son action, de l’imaginer, de la penser comme objet idéel dans sa conscience. Et c’est par cette prise de conscience qu’il se réalise pleinement et c’est à cette prise de conscience qu’i doit subordonner sa volonté. Si bien que dans un autre texte, Marx continue de défendre la thèse que les hommes sont producteurs de leurs idées, de leurs représentations et que leur conscience ne tombe pas du ciel, mais est la réalisation de leur être comme principal pilote des processus (économiques, politiques, juridiques, historiques, culturels) de la vie réelle. Aussi, il nous dit que « la conscience se construit comme les idées, car elle est le langage de la vie réelle » [2]. Or pour exprimer la vie réelle dans une représentation, on a besoin des sentiments et c’est là que s’ouvrent l’univers de la conscience. Comme le dit Antonio Damasio dans son dernier livre [3], c’est notre conscience par l’inconfort qu’elle communique devant un certain état de choses qui nous pousse à réagir pour corriger ce qui est dysfonctionnel. Quand cette conscience est effondrée, on se retrouve avec des universitaires, des intellectuels des classes moyennes et pauvres qui défendent le pouvoir indigent des oligarques en Haïti sans appartenir au cercle des oligarques. En effet, ayant accédé à un succès précaire, grâce à leur soumission aux oligarques ils ont une certaine illusion de la réussite qui leur donne un faux sentiment de confortabilité.

Il est manifeste qu’une lecture intelligente de Marx permet de comprendre que la lutte des classes sans la conscience et l’éthique est une indigence. Et c’est d’ailleurs pourquoi, les révolutions menées au nom de la lutte des classes par des hommes inconscients, insouciants et insignifiants, ont transformé l’histoire en un musée des horreurs comme les impérialistes, les colonialistes et les esclavagistes l’ont fait et continuent de le faire.

Sortir de l’inconscience et de l’insignifiance par une éthique de soi

Voilà qui achève de prouver que la majeure partie des lettrés haïtiens ont un problème énorme avec la lecture, ce sont des déchiffreurs qui ne comprennent pas souvent ce qu’ils lisent. Car ils lisent toujours au premier degré en essayant de retenir la sonorité des mots qu’ils connaissent sans les rattacher à leur contexte. Or la lecture est un outil capital pour interpréter le monde, c’est grâce à elle qu’on peut structurer les expériences et construire les connaissances. C’est du reste pourquoi il y a tant de médiocrité en Haïti, ceux qui sont dans les mathématiques, dans les sciences, dans les statistiques pensent que la connaissance des formules mathématiques et statistiques suffit avec leurs diplômes et qu’ils n’ont pas le temps pour lire autre chose que ce qui est en lien direct avec leur travail. Ils ne se rendent pas compte que c’est ainsi que l’indigence construit, ils font de longues études universitaires dans des écoles réputées prestigieuses pour obtenir un diplôme qui leur donnera un emploi grâce auquel ils vont désapprendre et se déshumaniser en se conformant à une routine qui garantit la confortabilité de leur mode de vie.

Comme je l’ai déjà dit, si la société haïtienne et son modèle économique ne reposaient pas sur la culture de la malice, de la corruption et de la criminalité, il y a longtemps que les entrepreneurs, les décideurs et les managers auraient vu l’insignifiance des universitaires et des diplômés haïtiens et auraient trouvé d’autres modes de recrutement que le simple fait d’exiger un diplôme. Quelle absurdité de chercher à recruter ceux qui ont les meilleurs diplômes dans un pays où la majorité n’hésiterait pas à présenter leur certificat de décès si l’on devait le leur exiger comme preuve de leur compétence ! Quelle médiocrité de chercher à embaucher les profils qui ont fréquenté les meilleures écoles dans un pays où une bonne école n’est pas celle qui apprend à penser dans la critique et de manière autonome, mais celle qui offre les bonnes accointances sociales et les bonnes références pour construire les espaces d’entre soi !

Et pourtant, dans ces espaces, rares et vraiment très rares sont ceux qui sont capables de conceptualiser et de produire par eux même une réflexion humainement intelligible. Il y en a qui ne sont bons qu’à vous citer tous les grands auteurs. D’autres connaissent les préfaces de tous les livres. Les uns et les autres ne savent que restituer ce qui est émis en haut lieu. Mais osez leur demander de prendre une phrase dans l’un des livres de l’un de ces auteurs et de la contextualiser pour en faire une nouvelle problématique, à travers la mise en valeur d’un arc narratif pour l’innovation. Ah, misère de l’intelligence et insignifiance des diplômes, vous serez surpris de voir les pages blanches ou pleines de médiocrités et d’insignifiances qui vous seront rendues ! Car, ne lisant pas, lisant très peu ou lisant mal, les universitaires haïtiens ne peuvent pas produire de réflexion autonome et critique. D’ailleurs, pour protéger leur emploi, ils ont appris à vivre dans un marronnage, dans une débrouillardise et une routine dont la confortabilité tue l’intelligence.

Souvenez-vous de paradoxe de la grenouille qu’on a fait cuire pendant deux heures sans qu’elle ne bouge, rien que parce qu’on a rendu imperceptible les changements de son milieu. Ses capteurs insignifiants, sa conscience inactive ne lui ont pas permis de mesurer les faits signifiants de son environnement ; et, conséquemment, elle n’a pas su donner de sens à ce qui se passait dans la marmite où elle baignait confortablement. C’est justement cette insignifiance qui est programmée dans les études universitaires, fussent-elles doctorales, qui permet d’avoir un universitaire qui se met au service d’un président dont la trajectoire de vie et professionnelle n’a été qu’un hymne à la délinquance. Or un universitaire qui n’a pas d’éthique et n’est pas en mesure de produire de nouvelles idées critiques pour bousculer l’indigence est une aberration de l’intelligence. Comme le dit Marx, la production des idées est le langage de la vie réelle. Communiquer est le langage vibratoire de la vie, si cette communication n’est pas authentique et n’est qu’une imposture, elle ne peut que produire de l’insignifiance. D’où ce spectacle de la comédie des ‘‘docto-ratés’’ qui se performe en Haïti.

Voilà pourquoi il est salutaire d’aller vers cette éthique de soi pour pousser les gens à vouloir briller dans l’obscurité, seul moyen d’échapper à la prédation de l’indigence. L’homme ne peut sublimer sa vie qu’en ayant conscience d’être une part du vivant qui doit faire éloge de la beauté du vivant, en imitant la nature. Comme la luciole qui s’habille de lumière, la nuit venue, pour chasser les prédateurs de l’obscurité, l’homme doit s’armer d’éthique et forger sa conscience pour se dimensionner humainement et dignement face aux précarités de son environnement. C’est par sa conscience, d’abord humaine, éthique et digne, qu’il peut faire le retour aux sources de l’apprentissage pour produire la vraie innovation.

Et quoi qu’on dise, la vraie innovation portera toujours un écho de la rumeur de l’infinie patience de l’eau qui trouve, avec le temps, l’intelligence pour percer la roche. Car elle sait qu’en stagnant, elle devient un marais puant. Aussi elle doit couler de sources en lacs, de lacs en rivières et de rivières en océans pour que la vie foisonne et s’habille de renouveau et d’intelligence. Seule l’intelligence éthique peut réveiller les mondes indigents de leur insouciance, de leur inconscience et de leur insignifiance pour amplifier le miracle du changement qui détrône l’invariant. Rumeur d’innovation qu’un certain Francis Bacon répandait déjà, il y a cinq siècles, par la promotion de ce biomimétisme avant la lettre comme intelligence du vivant pour forger l’apprentissage humain. Il disait : « on ne commande à la nature qu’en lui obéissant ». Voilà pourquoi, d’ailleurs, tous ceux qui sont toujours pressés de trouver des solutions simplifiantes, car n’ayant jamais le temps pour se poser les bonnes questions, qui préfèrent rester en surface sans jamais descendre en profondeur pour analyser l’enchevêtrement des causes, tous ceux qui ignorent les messages signifiants et pertinents de leur environnement sont des archétypes de l’indigence.

Un hymne à l’apprentissage et au vivant

Apprendre et transmettre, c’est aussi comme recevoir et donner. Tous ceux et toutes celles qui rayonnent des vibrations authentiques de la vie savent combien c’est jouissif de réfléchir la lumière reçue pour dissiper l’obscurité autour et au-delà de soi. Car à quoi sert d’être le seul à voir si les autres autour de soi ne voient pas et qu’en conséquence, dans leur aveuglante marche chaotique vers la lutte des classes, se piétinent et se marchent dessus jusqu’à la mort ? Réussir sans se soucier de son environnement ou encore réussir au détriment de son environnement est le plus grand marqueur de l’indigence. Et c’est cette indigence qui caractérise les groupes dominants en Haïti, tant nationaux qu’étrangers. Éternels déracinés et effondrés, sans conscience de leur mission ’’luciolique’’, comme part du vivant appelée à briller dans le noir, ils préfèrent transformer ce pays en un lieu de déshumanisation pour leur business d’escroquerie et de criminalité en faisant vivre la légende de l’indigence. Roses et bedonnants comme des vers reluisants dans un environnement indigent, ils se vautrent dans leur réussite sans se soucier qu’autour règne une innommable précarité humaine et matérielle. Cette attitude par laquelle on se verrouille sur l’obscurité en fuyant la lumière, pour mieux moisir dans la puanteur, est caractéristique des espèces indigentes qui n’apprennent pas. N’ayant rien d’autre que leur enfumage, ils sont incapables d’expérimenter autre chose que la médiocrité, la corruption et la criminalité. Car, dans leur déracinement, dans l’évidement de leur conscience, ils ont peur qu’en risquant l’intelligence, leur monde ne s’effondre et qu’ils ne deviennent, à leur tour, matériellement précaires. Le syndrome de la précarité humaine qu’ils font régner par la conformité indigente leur va éloquemment bien. Si bien qu’il les maintient dans les eaux basses de l’indignité, comme une sous humanité enchevêtrée dans les âges sombres de la vie. Partout où il y a déshumanisation et effondrement, il y a toujours des élites économiques, académiques et culturelles précaires et déracinées qui ne respectent pas le principe de valeur de l’apprentissage et de la transmission.

Or, le vivant nous enseigne qu’une espèce ne peut faire le saut évolutif vers le renouveau que si elle apprend et transmet. L’arbre qui se dépouille de ses feuilles en automne pour se renouveler au printemps apprend et transmet, car il mémorise dans son tronc et répand, tout le long de ses tiges et au plus profond de ses racines, la température des saisons pour que chaque parcelle de sa structure de ses feuilles sache comment s’adapter pour se renouveler au printemps et se laisser pourrir en automne. Ah, on retrouve encore l’allégorie de la dialectique, comme l’intelligence du vivant qui vit de mort et meurt de vie. Étonnante sculpture que ce vivant qui programme le suicide cellulaire comme mort créatrice pour célébrer la vie [4]. Ce qui tend à accréditer la thèse qu’il faut toujours qu’à certains moments dans la vie de tout organisme que certaines cellules se sacrifient pour permettre à l’organisme de se renouveler. Quand un collectif ne possède pas cette avant-garde éthique qui sublime l’indigence par son courage et son intelligence, il se déshumanise dans le temps, dans l’espace et dans l’histoire.

La déshumanisation d’Haïti n’est pas dans cette photo douloureuse que met en exergue le Guardian pour montrer l’enfer des milliers de migrants haïtiens sous un pont en attendant d’être expulsés vers Haïti pour venir gonfler, probablement, l’armée des gangs commandés par les diplomates américains, français, canadiens, brésiliens et autres. La déshumanisation est dans l’indigence des élites inconscientes, des politiciens insouciants et des universitaires insignifiants qui défendent un ordre de choses qui les dépouille de toute dignité, de toute humanité. Non ce ne sont pas les pauvres et les analphabètes d’Haiti qui sont indigents. Ce sont ceux au sommet de la hiérarchie sociale qui sont incapables d’apprendre et de transmettre à la base les codes vibratoires de la dignité, pour que, dans le creux des saisons d’incertitudes, chaque couche sociale laisse éclore son intelligence et renouvelle dans une harmonie qui célèbre la vie comme un hymne à l’apprentissage. C’est cet hymne qu’a célébré Louis Armstrong quand il créa « What a wonderful World » dont le dernier couplet décrit le processus du dépouillement de son ego, par l’éthique de soi et la conscience de sa mission : contempler le miracle de l’autre que l’on aide à grandir, à progresser à apprendre jusqu’à nous surpasser :

I hear baby’s cry, and I watched them grow
They’ll learn much more than I’ll ever know
And I think to myself what a wonderful world.

Oui, c’est cela beauté du vivant : se sacrifier pour transmettre aux autres des valeurs qui les rendront meilleurs que nous. Voir un enfant qui nait et pleure dans un monde d’indigence, lui permettre de grandir et lui transmettre les codes de dignité pour qu’il continue d’apprendre par lui-même, est le plus sûr et le plus noble moyen de construire le changement durablement.

Mais qui pour faire cet apprentissage incessant, quand les universités ne produisent que des diplômés insignifiants avec des compétences obsolètes qui n’auront à cœur que de se prostituer physiquement et humainement pour réussir en protégeant leur emploi ? C’est une question que Marx s’était aussi posé jadis « Qui éduquera les éducateurs ? ». Mais comme nous l’a appris Marx, la nature ne laisse jamais émerger une question en un lieu sans que la réponse n’y soit aussi disponible. De sorte que l’indigence qui subsiste et perdure en Haïti n’est qu’un problème d’intelligence caractérisé par l’inconscience de ceux qui ont le savoir. C’est donc l’éthique de la conscience qu’il faut inculquer aux éducateurs et aux révolutionnaires pour, selon le mot de Antonio Damasio [5], les « apprendre à nourrir et à transmettre les bonnes émotions qui permettent aux humains de prospérer » vers la lumière.

Ainsi, malgré ce temps indigent qui tue l’intelligence et démystifie les mistrals gagnants, on continuera de croire avec Louis Armstrong que le monde est merveilleux. Ainsi, malgré les échecs de nos luttes perdues d’avance, puisque les indigents ont la chance d’être riches et armés, on pourra raconter aux enfants que même si le monde est rempli d’insignifiants diplômés et puissants, il faut continuer d’avoir foi en l’humanité et d’aimer le genre humain. Car il faut aimer le monde et la vie pour vouloir transformer le monde et célébrer la vie. Même si, rempli de doutes par les maux de certains matins dérisoires, remplis de déboires, on rêve d’essayer la mort pour dériver vers ces espaces éternels de silence ou de tourments, il faut trouver les mots d’apprentissage, capables d’égayer et de raviver la vie de couleurs et d’espérance, pour magnifier la dignité humanité. C’est cette grandeur d’âme que possèderont toujours ceux qui ont une conscience éthique agile sur les puissants et les indigents de ce monde.

Références Bibliographiques

[1] http://palimpsestes.fr/textes_philo/marx/travail.html
[2] http://www.ifac.univ-nantes.fr/IMG/pdf/Marx_Texte_8_141014.pdf
[3] Antonio Damasio, Sentir et Savoir. Une nouvelle théorie de la conscience, 2021, Odile Jacob.
[4] Jean-Claude Ameisen, La sculpture du vivant. Le suicide cellulaire ou la mort créatrice, 2002, Seuil. https://www.cairn.info/revue-francaise-de-psychosomatique-2003-1-page-181.htm
[5] Antonio Damasio, L’erreur de Descartes, la raison des émotions, 1994, Odile Jacob

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