Trois jours avant le vote, grâce au journal « Le Monde », nous découvrons un projet de transposition dans le droit commun des dispositions de l’état d’urgence.
Ainsi, tout le droit social et tout le système des libertés individuelles de notre pays sont désormais en cause. Dans le même temps, les excès incroyables de la campagne de dénigrement contre moi reviennent en boomerang sur le système qui les produit. Mes conseillers avaient vu juste : ne répondre à aucune provocation, ni avec la presse ni avec les adversaires, ne répondre à aucune polémique, notamment à Marseille, mais assumer le conflit voulu par Cazeneuve, restaurer la mémoire de ceux qui avaient oublié le cas Rémi Fraisse et la foule des mauvais traitements subis pendant la mobilisation de la loi El Khomri. Au total, cela déclenche dans nos rangs une belle remobilisation des hésitants et des « aquoibonistes ». On peut donc imaginer des dizaines de seconds tours pour nos candidats. Et des dizaines de cas où l’on va vérifier que les « unitaires » qui ont crié au « gâchis » et à la division sont ceux qui les provoquent en gelant la poignée de voix dans des scores groupusculaires qui empêchera nos candidats d’accéder au second tour.
Avec la remise en cause du code du travail, il s’agit d’un « coup d’État social » puisque les parlementaires ne pourraient discuter ni amender une seule des décisions prévues par les ordonnances. En effet, le vote parlementaire se résumera à un « oui » ou un « non » à la loi d’habilitation et à celle disposant les mesures. Pourtant, des milliers de questions très précises et très concrètes concernant la vie quotidienne des salariés sont en en cause : la durée du travail, les salaires, le droit d’alerte et celui de retrait en situation de danger, les motifs de licenciements, et ainsi de suite. Un siècle de luttes et de compromis sociaux va être abrogé. Le transfert du pouvoir normatif dans l’entreprise est une mesure de violence inouïe. Et une régression tout aussi vertigineuse. Car la négociation de gré à gré du salarié avec son patron était la condition ordinaire avant le code du travail. Celui-ci fut établi après les grèves de 1906/1907 quand il apparut que, dans l’industrie moderne, cela pouvait très mal tourner. Tel fut le cas avec l’accident dans la mine de Courrières, où 1300 mineurs périrent du fait de la cupidité patronale qui refusait le coût des mesures de sécurité.
Avec la transposition de l’état d’urgence dans le droit commun, c’est aussi un évènement énorme qui se prépare. Toutes les protections qui garantissent les libertés individuelles vont être remises en cause. Par exemple, les perquisitions à domicile et les mises en résidence surveillée pourront être ordonnées par le ministre de l’Intérieur et les préfets sans aucune autorisation préalable d’un juge ! De même pour la surveillance des conversations privées téléphoniques. Cela vise non seulement le commun des syndicalistes et des activistes écologistes mais aussi les journalistes et leurs sources comme on l’a vu pendant le débat sur l’instauration de l’état d’urgence sous Hollande. Et ainsi de suite.
Sans doute n’est-ce pas tout. Les premières annonces du ministre de l’Éducation sont autant de bombes. Il est possible que tous ces gens soient devenus ivres du sentiment de toute puissance en prenant pour argent comptant les délires apologétiques qu’ils lisent de partout. Ils croient tout possible. Je crois donc que, pan par pan, la société toute entière va être provoquée. On peut donc commencer à imaginer le profil de la suite. La stratégie mise en place avec cette bataille législative va s’avérer précieuse. Débarrassé du poids mort des combines et arrangements avec le monde du PS, totalement autonomes et indépendants, nous pourrons avancer sans dépendre d’autre chose que de notre capacité à agir et entraîner. Autant de raisons d’agir sans relâche pour refuser fermement de donner les pleins pouvoirs à l’équipe Macron, comme elle le réclame. Les bulletins de vote prennent donc un sens nouveau et précis : il s’agit d’une mobilisation pour la défense de nos acquis sociaux et de nos libertés individuelles.
On revient donc à l’équation de départ. Si ceux qui ont voté pour le programme « L’Avenir en commun » dont j’ai été le candidat à l’élection présidentielle confirment leur soutien à ce projet en votant pour les candidats de « la France insoumise », nous serons le groupe de députés décisifs à l’Assemblée nationale. Décisif c’est-à-dire soit majoritaire, soit incontournable. Articulé avec la force des 500 000 soutiens enregistrés sur la plateforme de « la France insoumise », et l’impact en mémoire de la force des sept millions de voix de la présidentielle, nous serons au cas le moins favorable en état d’être l’opposition centrale au nouveau régime. Ici jouera à plein la symbolique des bulletins de vote marqués du logo « PHI » dans tous les bureaux de vote du pays. On ne peut pas se tromper. La soupe aux sigles, les alliances tuyaux de poêles et à géométrie variable, les innombrables tentatives d’usurpation s’achèvent dans la simplicité du vote final clairement délimité.
Sur le terrain, l’accueil qui est réservé à nos candidatures est bon. Et même très bon dès qu’on met les pieds dans les cités populaires. Mais, parfois, la présence au second tour se jouera à quelques voix comme à la présidentielle. Les sondages locaux montrent que nous sommes dans la quasi-totalité des cas en tête de toute l’opposition au système Macron. J’appelle donc à ne pas disperser les voix qui se sont rassemblées avec « La France insoumise » en avril dernier. Tout le monde peut comprendre le message.
Quand il manque deux points à Jean-Pierre Carpentier à Hénin-Beaumont pour être au deuxième tour face à Marine Le Pen, on peut s’interroger sur le rôle des quatre pour cent attribués au candidat communiste Hervé Poly, pourtant secrétaire général de la fédération du Pas-de-Calais du PCF. Et autant à propos des deux points et demi attribués à la candidate EELV Marine Tondelier, pourtant porte-parole nationale de son parti. Deux partis qui ont, au plan local comme au plan national, beaucoup glosé sur la nécessité de l’union pour éviter le « gâchis », partant de l’idée bien évidemment que seules leurs candidatures permettaient le « rassemblement » et « la dynamique », sans oublier, dans ce jargonnage pesant, les références à ma personne, une semaine pour me trainer dans la boue, la suivante pour s’approprier mon score à la présidentielle, et vice versa. Leurs scores groupusculaires montrent la vanité de leur affirmation. Mais le résultat auquel ils arrivent montrent l’urgence de dépasser les conditions politiques d’un petit monde qui, sous couvert d’unité et de rassemblement, est en état de nuisance absolue.
Pour finir, je veux encore remercier toutes les personnes qui ont manifesté leur solidarité en public comme en privé pendant l’interminable campagne de dénigrement qui s’est abattue sur moi sans limite de décence. Nous savons que le but de ces ignominies était de tâcher de diviser nos bases et de nous isoler en nous diabolisant. Les antifascistes d’opérette qui nous ont tympanisés pendant l’entre deux tours de l’élection présidentielle n’ont pas eu un mot contre Le Pen, exactement comme avant le premier tour de cette élection. Attendez-vous à les voir ressortir bientôt leurs couplets. N’y attachez pas davantage d’importance que la dernière fois. Nous construisons dans la durée un paysage politique où l’escroquerie du vote utile et la fumisterie du « Front républicain » ne pourront plus être les bouées de sauvetage des partis du système. Et où notre programme finira par être le recours.
Jean-Luc MELENCHON