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Uberisation

L’actualité française a été marquée par une nouvelle grève des chauffeurs de taxi. La raison est liée à la concurrence des voitures avec chauffeurs, dont une grande partie travaille avec la société Uber.

Pour celles et ceux qui ne connaissent pas (encore) cette entreprise, rappelons qu’elle est basée en Californie et qu’elle propose de mettre en relation des clients potentiels et des conducteurs de voiture via une application informatique (smartphone, tablette ou même ordinateur).

Nouveau modèle économique

L’affaire est tout sauf anecdotique. Ce n’est pas d’une énième grève qu’il s’agit mais d’une tentative désespérée d’une profession – qui n’est pas exempte de reproches – pour préserver son existence alors qu’elle est menacée par l’émergence d’un nouveau modèle économique. En effet, Uber ne peut exister que parce qu’il propose des services que les taxis habituels ne sont pas capables d’offrir. Un clic sur un téléphone portable et voilà une voiture qui vous attend en bas de chez vous, sans que vous n’ayez rien à payer (le débit est automatique sur votre compte). Nul besoin donc de chercher du liquide à un distributeur bancaire (malgré leurs promesses, nombre de taxis parisiens continuent de refuser la carte bancaire...).

Alourdis par des frais fixes importants mais aussi, comme c’est souvent le cas, par des traites à payer (emprunt pour le véhicule ou pour la licence voire pour la sous-location), les chauffeurs de taxis subissent la concurrence d’une société en croissance bien décidée à gagner des parts de marché et qui, d’une manière ou d’une autre, accepte de casser les prix (tout en prétendant améliorer le service). A cela s’ajoute que la localisation hors de France d’Uber recoupe le même schéma que pour d’autres transnationales, c’est-à-dire que l’Etat français y perd en terme de taxes et d’impôts à prélever.

Ce qui vient d’être sommairement décrit s’appelle désormais « ubérisation ». Cela fait référence à l’irruption d’un nouveau modèle économique, basé sur le numérique, dans une activité que l’on pensait peu capable d’évoluer. Sans Internet, sans la capacité à développer des réseaux fiables (3G, 4G) mais aussi sans un système financier développé (pour assurer les paiements), tout cela n’aurait pas été possible. Il y a encore cinq ans, Uber aurait eu du mal à se développer hors des Etats-Unis et de quelques pays européens. Aujourd’hui, ses services sont disponibles dans les pays du Golfe et il devrait aussi se développer en Afrique subsaharienne.

Acquis sociaux en danger

L’exemple des taxis prouve que toutes les activités classiques sont susceptibles d’être remises en cause par l’« uberisation ». C’est déjà le cas avec l’immobilier ou l’hôtellerie où des prestataires numériques permettent de contourner les agences habituelles, qu’elles soient immobilières ou de voyage. On peut parler de progrès (service plus simple pour les usagers, gain de temps, économies en matière de coût) mais il ne faut pas oublier que l’« uberisation » tue des emplois (de nombreux chauffeurs de taxi risquent tout simplement de faire faillite). Plus grave encore, elle renoue avec une certaine précarisation des travailleurs. On en revient ainsi au travail à la tâche et la remise en cause du salariat. En cela, l’uberisation menace la cohésion sociale et contribue à mettre en danger les acquis sociaux du XXème siècle.

Akram BELKAÏD

 http://humeursdemarisse.blogspot.fr/2016/02/uberisation.html

COMMENTAIRES  

08/02/2016 10:16 par triaire

Les gens s’en fichent des chauffeurs de taxi du moment que le cout est moindre..ça leur évite de déchirer des chemises en demandant des salaires corrects ! Quelle époque !

08/02/2016 10:26 par totor

Je suis étonné que cet article dans un certain sens fasse la publicité d’Uber en en montrant certains avantages. Les supermarchés ont tué les petites épiceries au motif d’une baisse des prix. Cela a bien été rattrapé et aujourd’hui on ne peut pas dire que la grande distribution soit au service des consommateurs, elle écrase les consommateurs et les producteurs. Pour Uber c’est pareil , vous devriez les dénoncer.Je signale que je ne suis pas un taxi, mais je les comprends bien, que c’est vrai que certains parmi eux ne sont pas super.Mais c’est comme pour la grèv des pilotes Air France , ils avaient raison et la population les a dénigrés au lieu de les soutenir.

08/02/2016 16:05 par Vert Jaune

La question a se poser est "Peut on empêcher cette "ubérisation" de progresser, compte tenu de l’amélioration continue des techniques et des nouveaux logiciels qui sortent continuellement ?
Bien sur, je comprend les types qui étaient au chômage et à qui on propose de conduire une voiture, moyennant rétribution, pour sortir de cette spirale infernale que sont le chômage, la précarité, le mal vivre etc, etc
Personne ou très peu (comme LGS) pour leur dire qu’ils se font avoir. Combien d’heures pour un revenu correct ?
Quelle protection sociale, ? Et au bout du compte, quelle cotisations retraites ?
Ces salariés se font avoir, mais c’est aussi tous les fondements de notre système social qui sont menacés.
Je n’ai pas de réponse à la première question, mais ce que je ressent c’est une forte crainte de ces nouveaux moyens informatiques et de cette "ubérisation" qui rime avec paupérisation.

08/02/2016 16:58 par Roger

Bien entendu, tout cela n’est possible que par la légalisation de "sous-activité", une sorte de travail au noir "légal". Tant que l’agenda caché de nos "politiciens" sera la néolibéralisation de la société, des "modèles socio-économiques" de ce genre vont se développer dans tous les domaines. Alors on pourra parler d’un "véritable marché du travail", c’est à dire libre de toutes entraves réglementaires et responsabilités sociales.
Si c’est cela que l’on veut, alors que chacun continue à se comporter comme les veaux qu’on mène à l’abattoir...

08/02/2016 21:20 par Franck I-F

Bonsoir,
n’oublions pas que Google a des parts dans Uber, et que Google prépare la voiture sans chauffeur, d’ailleur le Japon annonce que pour les jeux de 2020, les taxis japonais seront conduit par des robots. Uber grâce à ses salariés précarisés, et ses bas coût, détruit notre secteurs economique de taxis indépendants, Uber peut perdre de l’argent pendant plusieurs années, la trésorerie de Google et presque illimitée, je ne crois pas que cela soit le cas pour nos taxis indépendants, une fois que le secteur est dévasté, faillite, chomage, suicide, divorce..... Uber licencie et Google nous inonde avec ses taxi sans chauffeur, elle est pas belle la vie..... Merci à tous nos politiques pour leurs patriotismes, et La Défense de nos intérêts économiques. Cordialement Franck.

09/02/2016 08:43 par depassage

Bien vu Roger, mais vous oubliez que cette réalité n’est plus en passe de devenir une norme, elle l’est. Seuls quelques secteurs de travail ou d’activités salariales lui échappent encore. Cela ne saurait tarder.

09/02/2016 16:17 par AUBERT

Très bon article qui synthétise la situation et les enjeux. La fin montre bine en quoi c’est l’ensemble des rapports sociaux qui sont menacés via l’ubérisation de la société. Perso je l’ai fait sous forme poétique, avec Acrostiche.

Le prolétariat numérisé

Uniquement dans la plate-forme numérique tu obéiras
Blanchissant ainsi l’argent récupéré de tes activités
Eliminant les intermédiaires et l’Etat, par ton agilité
Rudoyant ainsi les lois de la Nation que tu obéreras
Isolé et sans contrat véritable, dans l’oralité de ma voix
S’investiront ton temps, ton énergie sur toutes les voies
Augmentant tous les bénéfices des banques qui pilotent
Tant va le travail à la finance, qu’à la fin il capote
Ils vendent, en permanence ce qu’ils ne produisent pas
Oubliant que les salariés refusent de marcher à leur pas
Nué d’indépendants libres , cachant le prolétariat numérisé

Pour ceux qui croient avoir trouvé la « liberté du travail » dans un Smartphone,
Marseille, le 8 Février 2016, Fabrice

09/02/2016 22:52 par Sidonie

toute l’ambition des néolibéraux fanatiques qui nous gouvernent en Occident, est de plonger les travailleurs dans la précarité supposée les rendre plus responsables et performants.
Une très belle analyse de Loïc Wacquant

15/02/2016 18:08 par Katia Bellemare

Lors de l’ajustement des prix (offre et demande), les clients vont vite déchanter.
Voir l’actualité au Québec (période des fêtes). Le coût s’est élevé jusqu’à 600$ pour un déplacement à Montréal.

16/02/2016 00:20 par Henri Tanson

Il y a un élément qui a été ou bié dans ce très bon article ; et cet élément est essentiel pour comprendre vraiment ce qui se passe et ça tient à la réglementation européenne !
Les traités européens imposent à la France, entre autres pays, de toute faire pour établir une mise en concurrence totale, qui ne soit entravée par aucune réglementation qui viserait à protéger tel ou tel secteur économique...
Là, ce sont les taxis, mais ce sont aussi TOUTES les professions que l’on disait réglementées et c’est aussi le service public, tout les services publics.
Je m’étonne de ne jamais le voir expliqué...
Comme je m’étonne de voir la galère des éleveurs et agriculteurs français qui râlent contre la grande distribution... Le problème ne vient pas de là, mais plutôt de la mise en concurrence du secteur agricole avec les autres exploitants de l’UE (et du reste du monde...) qui sont capables de produire à un coup extrêmement faible. Non pas parce qu’ils sont plus performants que nous, mais seulement parce qu’ils n’ont pas les mêmes règles que nous ! Concurrence déloyale, simplement déloyale.
Mise en concurrence imposée par les traités européens et légèrement compensée par des aides artificielles versées par l’UE avec l’argent des contribuables français, moins la part que l’UE se réserve pour ses petites affaires !
Ça va mal...

16/02/2016 11:36 par David

Je ne pense pas que ce soit constructif de diaboliser Uber (méchant libéralisme) ou les taxis (vieil immobilisme étatique)

1. Uber est dans la légalité (uberpop ayant fermé)
2. NON, c’est vrai, ses conducteurs ne sont pas salariés. Ce sont des contractants.
3. En tant que contractants (autoentrepreneurs), les conducteurs uber cotisent à la sécu et à la retraite (RSI)
4. Oui cela vient concurrencer directement les taxis

Donc on a la technologie (internet) et un cadre légal (autoentrepreneur) qui permettent la création d’un nouveau service. Mais ce service vient concurrencer un secteur historique (un peu comme les appareils photo numériques contre les appareils photo argentique). Où est le diable là dedans ?

Je pense qu’on est tous d’accord pour dire qu’un changement doit s’opérer. Que tout le monde devrait pouvoir profiter de ces avancées technologiques. De préférence en évitant le plus de dégâts possible lors de la transition.

Selon moi, il est normal que les taxis s’inquiètent et cherchent une issue "juste" (si tant est que "justice" ait un sens dans l’économie de marché) mais il est aussi légitime que ceux qui vivent du service (encore une fois légale) de VTC continuent de travailler. Là se trouve le rôle de l’état : opérer cette transition de la manière la plus intelligente possible. Après tout, c’est l’état lui même qui a fait que l’industrie du taxi est ce qu’elle est.

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