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Toute une vie en enfer

photo : CitizenX.org
"Je suis enfermé dans les prisons de l’Illinois depuis l’âge de 18 ans. On m’a fait avouer sous la torture un crime que je n’ai pas commis. Je suis ici depuis plus de 25 ans. De penser que je resterai là jusqu’à la fin de ma vie, eh bien, c’est un insupportable enfer sur terre".

Mark Clements, victime de brutalités de la part de la police de Chicago, mineur condamné dans l’Illinois à la prison à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle.

Mark Clements a été arrêté quand il avait 16 ans et condamné à la perpétuité. Comme la plupart des mineurs passibles de la prison à condamnés à perpétuité, il a été jugé par un tribunal pour adultes et incarcéré dans une prison pour adultes.

Aujourd’hui, Mark a 43 ans. Il a passé près de deux fois plus de temps derrière les barreaux qu’en liberté.

Les Etats-Unis dépassent tous les autres pays de la planète en nombre de personnes incarcérées. Avec 5% de la population mondiale, les Etats-Unis comptent 25% de la population carcérale de la planète.

D’après une étude effectuée par le Pew Center, un adulte sur 100 est en prison. Et à cause du racisme du système judiciaire, les chiffres sont beaucoup plus élevés quand il s’agit de gens de couleur (si vous êtes noir et que vous avez entre 20 et 34 ans, vous avez une chance sur neuf de vous retrouver en prison).

Mais les Etats-Unis se distinguent encore plus du reste du monde sur un aspect épouvantable de leur système carcéral, à savoir qu’il y a des hommes et des femmes condamnés à passer le restant de leurs jours derrière les barreaux.

Il y a aux Etats-Unis plus de 13.2000 détenus qui purgent une peine à perpétuité. Un sur 10 d’entre eux n’est pas autorisé à demander une libération conditionnelle, mais globalement, seul 1 sur 4 de tous ces détenus aura, un jour, la chance de passer devant la commission des libérations conditionnelles. Bien que les chiffres du FBI sur la criminalité affichent une baisse des crimes violents sur les dix dernières années, le nombre de personnes condamnées à perpétuité a presque été multiplié par deux.

Paul Wright, rédacteur en chef de "Prison Legal News" et auteur de deux livres sur le système carcéral (et qui a lui-même purgé une peine de prison de 17 ans) dit que ces peines sans possibilité de libération conditionnelle sont des "peines de mort par incarcération. On échange une mort lente contre une mort rapide".

Ce genre de peine n’existe pratiquement pas ailleurs dans le monde. "En Europe occidentale, on considère une peine de 10-12 ans comme une peine extrêmement longue, même pour des criminels condamnés à perpétuité", dit James Whitman, auteur du livre "Harsh Justice" (justice cruelle).

Et, d’après Human Rights Watch, parmi les condamnés à perpétuité sans possibilité de liberté conditionnelle (l.c.), il y a aux USA 2380 détenus qui ont été condamnés alors qu’ils étaient mineurs au moment des faits dont on les accuse.

Selon une enquête réalisée par "Equal Justice Initiative", parmi ces mineurs, 73 d’entre eux ont été condamnés pour des crimes commis à l’âge de 13 ou 14 ans.

En comparaison, aucun autre pays au monde ne condamne des enfants de 13 ans à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle. En fait, en dehors des Etats-Unis, Human Rights Watch indique que, dans le monde, seuls 12 criminels mineurs au moment des faits sont en prison à perpétuité. Il y en a 7 en Israël, 4 en Afrique du Sud et un en Tanzanie.

Aux Etats-Unis, il y en a 2000.

"Je suis le premier à reconnaître que, n’étant pas parfait, j’ai fait pas mal de bêtises dans la vie. Mais la prison à perpétuité sans avoir la perspective d’en sortir un jour, c’est faire mourir les gens à petit feu. Et même si je fais des efforts pour m’améliorer, on me traite comme si j’étais le dernier des derniers. (…)".

Daniel Henney, mineur condamné à perpétuité sans liberté conditionnelle dans l’Illinois

Ce qu’on remarque plus particulièrement chez ces condamnés à perpétuité, c’est que ce ne sont pas les monstres assoiffés de sang qu’on décrit souvent.

Parmi tous ceux qui ont été condamnés à perpétuité de 1988 à 2000, 40% ont été condamnés pour un crime autre qu’un meurtre. Et toujours selon Human Rights Watch pour les délinquants mineurs, 59% (bien plus de la moitié) n’avaient pas de casier judiciaire.

Antonio Nunez a été élevé à Los Angeles, où il a grandi au milieu des gangs. Comme l’a décrit Equal Justice Initiative dans son rapport "Cruel and unusual", à l’âge de 14 ans, il est monté en voiture avec deux garçons plus âgés, dont un des deux avait été kidnappé. S’en sont suivis une course poursuite avec la police et des échanges de coups de feux. Il n’y a eu ni mort, ni blessé. Mais Antonio a été condamné à perpétuité à la prison de San Quentin en Californie, où il est encore détenu actuellement.

"Il a perdu tout espoir", a déclaré à Reuters Cindy Nunez, sa soeur. "Nous essayons de lui remonter le moral en lui disant que la loi va changer".

Plus que leurs crimes présumés, il y a d’autres facteurs déterminants pour ceux qui sont condamnés à la perpétuité sans conditionnelle. D’abord, ils sont tous pauvres. Puis, beaucoup d’entre eux sont issus de milieux familiaux violents et ont subi des sévices.
Et une proportion écrasante fait partie des minorités ethniques. D’après Human Rights Watch, parmi les mineurs condamnés à vie pour des crimes autres que des meurtres, tous sans exception sont des gens de couleur.

Dans l’Illinois, Mark Clements fait partie des 103 mineurs qui purgent une peine à vie sans possibilité de conditionnelle. Parmi ces 103 détenus, 74 sont noirs, comme Mark ; 10 sont latinos et 19 sont blancs.

Ian Manuel est blanc. Elevé dans la violence et la pauvreté, il est tombé dans la délinquance très jeune. A l’âge de 13 ans, il a commis un vol à main armée et a tiré sur une femme, qui a survécu à ses blessures. Plein de remords, Ian est allé se dénoncer à la police et a plaidé coupable. Il a été condamné à perpétuité sans conditionnelle.

Ian a passé des années en isolement cellulaire et a fait plusieurs tentatives de suicide. Il reste en prison en Floride malgré le fait que sa victime lui ait pardonné et ait signé des pétitions en faveur de sa libération.

Une des raisons qui font que ces injustices se produisent, c’est que les juges n’ont pas la latitude, selon les textes juridiques, de prendre en compte ni l’âge ni les circonstances.

Dans l’Illinois, par exemple, où on exige que les juges prononcent des peines de perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle pour certains types de crimes, sans prendre en compte les circonstances atténuantes, plusieurs de ces juges eux ont exprimé publiquement leurs réticences.

En annonçant le verdict dans un cas particulier, le juge James Linn a affirmé qu’il pensait qu’il fallait "que l’accusé subisse les dures conséquences pénales pour avoir fait le guet dans cette affaire, mais dire qu’il doit être condamné à perpétuité sans possibilité de conditionnelle, je trouve ça très difficile à avaler, au point que je dirais que c’est totalement démesuré."

La politique juridique la plus tristement célèbre probablement de tous les Etats-Unis, c’est la "three strikes rule" (la règle des trois condamnations) adoptée en Californie par référendum en 1994. Au bout de la troisième condamnation, le prévenu est condamné à une peine qui va de 25 ans d’emprisonnement à la perpétuité. Depuis qu’elle est en vigueur, plus de 1000 personnes ont été incarcérées en Californie selon le principe des " three strikes" pour des délits mineurs.

Prenez le cas de Santos Reyes. Son "crime" a été de vouloir rendre service à son cousin, un immigré mexicain, dans l’impossibilité de passer son permis parce qu’il ne savait pas écrire l’anglais, mais avait vraiment besoin du permis pour travailler avec Reyes en tant que couvreur. Pour cela, Santos a été condamné pour fraude.

Reyes avait déjà été condamné pour deux autres délits plus de dix ans en arrière (à 17 ans, il avait volé un poste de radio et avait commis un vol à l’âge de 22 ans). Dans aucun des cas, il n’y avait eu de blessé. Entre temps, il s’était marié, avait eu deux enfants et avait un emploi stable de couvreur.

Mais parce que l’accusation de fraude était son troisième délit, il a été condamné à la prison où il est détenu depuis neuf ans, tout cela pour avoir passé l’examen du permis à la place de son cousin.

"Il a été condamné pour avoir commis le crime d’être pauvre et mexicain" dit Rachael Odes, qui s’occupe du comité "Libérez Santos Reyes". "Il n’est qu’un parmi tant d’autres. Il y en a tellement qui purgent de longues peines pour des crimes non violents. C’est un chic type. Tout ce qu’il voulait, c’était gagner de quoi vivre".

"J’ai vraiment très peu d’espoir. Cette peine, c’est comme une condamnation à mort. C’est une torture pour ma santé mentale. Aucun d’entre nous n’a droit à une seconde chance. Que je me tienne tranquille ou non, tout ce qui m’attend dans la vie ce sont ces conditions carcérales inhumaines"

Paul Lee, qui purge une peine à perpétuité dans l’Illinois

Les Etats-Unis n’ont pas toujours été favorables à une politique du type : "enfermez-les à double tour et jetez la clé". Avant les années 70, les peines de perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle n’existaient pas.

Au cours des années 60, en fait, on se préoccupait surtout de la réinsertion et de donner aux détenus la possibilité de suivre une formation qui leur permettrait de retrouver une place dans la société à leur sortie de prison.

Le Congrès avait amendé la loi fédérale sur la conditionnelle pour permettre aux détenus qui purgeaient une peine de prison à perpétuité d’avoir le droit de déposer une demande de libération conditionnelle au bout de 15 ans de réclusion.

Mais dans les années 70, cet état de fait a commencé à changer. Les dirigeants politiques avaient constaté que le discours sur la fermeté en matière de criminalité à la fois leur apportait des voix supplémentaires et remettait en cause les avancées réalisées grâce à la lutte pour les droits civiques et aux autres mouvements sociaux des années 60 et du début des années 70.

Et ces nouvelles lois préconisaient les sanctions plutôt que la réinsertion.

En 1984, la loi " Sentencing Reform Act" (sur la réforme de la longueur des peines de prison), abolissait la liberté conditionnelle pour les crimes fédéraux. Et en 2000, 33 états avaient dès lors supprimé la liberté conditionnelle, alors qu’il n’y en avait que 17 dans les décennies précédentes - et 24 états avaient institué la loi sur les "3 strikes".

Et de plus en plus d’états instauraient la perpétuité sans possibilité de liberté conditionnelle. Actuellement, seuls le Nouveau Mexique et l’Alaska n’ont pas légalisé la pratique de la perpétuité sans liberté conditionnelle.

Les législateurs américains semblent déterminés à se différencier du reste du monde sur la sévérité des peines de prison.

En 2006, l’Assemblée Générale des Nations Unies proposait une résolution appelant tous les pays à abolir la perpétuité sans libération conditionnelle pour les mineurs. Elle a été adoptée à 185 voix pour et 1 contre - et l’unique voix contre était celle des Etats-Unis.
Les efforts pour obtenir des modifications du code pénal ont eu des résultats mitigés.

En 2004, des militants en Californie lançaient une campagne pour organiser un référendum visant à revenir sur la règle des "3 strikes" et à n’utiliser cette loi que si le troisième crime était "grave". Dans la période qui a précédé le vote, les sondages annonçaient 2/3 d’opinions favorables à une réforme, mais dans les derniers jours, un matraquage publicitaire et une campagne réalisée par les conservateurs, comme le gouverneur Arnold Schwarzenegger, a renversé la tendance et le référendum a été perdu de justesse.

Cette année, les militants qui luttent contre la règle des "3 strikes" n’ont pas réussi à réunir suffisamment de signatures pour qu’elle soit à nouveau soumise au vote populaire. Mais un projet de loi pour abolir la perpétuité sans conditionnelle pour les mineurs a été adopté au comité du sénat sur la sécurité publique en avril et est actuellement étudié par l’ensemble du sénat. Si cette loi est votée, la Californie ferait partie des 10 états qui interdisent la prison à perpétuité pour les mineurs.

Dans l’Illinois, certains militants de base mènent actuellement une campagne pour que les mineurs condamnés à perpétuité sans l.c puissent se présenter devant la commission des libérations après 10 ans d’incarcération, mais cette initiative rencontre l’opposition des associations de défense des droits des victimes.

Il serait grand temps que ces peines de prison à perpétuité soient abolies, à la fois pour les mineurs et pour les adultes.

"Chaque jour quand je me réveille, je pense avec douleur que j’ai cette condamnation à subir, et si ces monstres obtiennent ce qu’ils veulent, il va falloir que je passe le restant de mes jours ici. Savoir cela, et être dans cette situation, et, rien que d’y penser, ça vous tue. Une peine de prison à perpétuité donne aux gens l’image de quelqu’un d’abject et de dangereux, et qui n’a pas en lui la capacité de réintégrer la société et de devenir un citoyen utile. Ceci est un mensonge éhonté et on peut mettre fin à ce mensonge aujourd’hui."

Jamie Jackson, incarcéré à vie dans l’Illinois

L’auteur, Marlene Martin, dirige au niveau national la "Campagne pour l’abolition de la peine de mort " (Campaign to End the Death Penalty). Elle écrit également pour "Socialist Worker".

Titre original : Living in Hell for Life

Article paru dans Dissident Voice
http://www.dissidentvoice.org/2008/08/living-in-hell-for-life/

Et dans socialist Worker
http://socialistworker.org/2008/08/01/living-in-hell-for-life

Traduction : "Des bassines et du zèle" http://blog.emceebeulogue.fr/

Commentaires du traducteur :

Barack Obama, actuellement sénateur fédéral (depuis janvier 2005) représentant l’Illinois a été de 1996 à 2003 un des 59 sénateurs de l’état de l’Illinois.

En 2000, suite à une enquête de la faculté de journalisme de la Northwestern University, un nombre impressionnant d’erreurs judiciaires ont été recensées dans cet État dans le cadre d’affaires de crimes passibles de la peine de mort. L e gouverneur Ryan avait alors décrété un moratoire sur les exécutions en Illinois, où 12 condamnés à mort étaient exécutés et 13 autres dont l’innocence avait finalement été établie, remis en liberté.

En janvier 2003, peu avant de quitter ses fonctions, le même gouverneur avait gracié quatre condamnés à mort, et commué la peine capitale sous le coup de laquelle se trouvaient 167 autres prisonniers dans cet État.

Il y avait donc, à cette époque, dans le couloir de la mort des prisons de l’Illinois, au moins 17 innocents.

En tant que sénateur de l’Illinois, le rôle d’Obama dans la réforme de la peine de mort, a été de réussir à obtenir (avec d’autres signataires) que soient enregistrés sur vidéo les interrogatoires de la police dans un état où les aveux soutirés par des méthodes violentes avaient envoyé au moins des innocents dans le couloir de la mort.
D’autre part, fraîchement élu sénateur de l’état en 1997, il votait en faveur de l’extension du champ d’application de la peine de mort pour les crimes contre les personnes âgées et les handicapés.

Au cours de sa campagne, Obama n’a cessé de qualifier la peine de mort de "mal nécessaire", tout en se glorifiant du rôle qu’il jouait pour améliorer la situation.

"Je me suis efforcé de réformer le processus concernant la peine capitale qui était détraqué dans l’Illinois - où plus personne ne pensait que c’était une bonne politique, mais que c’était ce qu’il fallait faire", a-t-il déclaré le soir du débat en Caroline du sud.
Deux journalistes du quotidien parlementaire "The Hill" ont écrit au printemps dernier : "Obama est contre la peine de mort sauf pour les terroristes, les meurtriers en série et les tueurs d’enfants. Mais son équipe précise qu’il est contre la peine de mort telle qu’elle est actuellement appliquée en Amérique".

En résumé : il est pour la peine de mort mais il est également pour le principe : "Attention à ne pas exécuter un innocent".

"Attention- à -ne-pas-exécuter-un-innocent" ? Cela tombe sous le sens, non ? Peut-on, dans ce cas, parler d’avancée ?

Tout cela ne devrait-il pas inciter à appeler au "boycott des JO" s’ils avaient lieu aux Etats-Unis ?

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L’Espagne dans nos coeurs
Loic RAMIREZ
On a beaucoup écrit sur la guerre civile espagnole et si peu sur ses suites. Refusant la défaite, les républicains ont poursuivi leur combat durant plus de trente ans contre la dictature franquiste. Majoritairement exilés en France, ils ont eu pour principal soutien le parti communiste français et ses militants. Diffusion de tracts et de propagande, campagnes de solidarité, déplacement de clandestins et soutien logistique, les femmes et les hommes du PCF ont prêté main-forte aux "rouges" (…)
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Ce qui nous fait avancer, ce sont nos sources. Ce sont des gens, sans doute, qui sont à l’intérieur de ces organisations, qui veulent du changement. Ce sont à la fois des figures héroïques qui prennent des risques bien plus grands que moi et qui poussent et montrent qu’ils veulent du changement d’une manière, en fait, extrêmement efficace.

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