Pour préparer son questionnaire [1], M. Neely nous dit qu’il a visionné les vidéos et lu les transcriptions de presque tous les entretiens accordés par le Président syrien ces dernières années, en plus d’avoir bénéficié des suggestions de toute l’équipe de NBC News, « y compris celles qui occupent l’esprit de beaucoup de gens ». Il a retenu de l’entretien : « Je lui ai dit qu’il était un dictateur brutal avec le sang de centaines de milliers sur les mains. Il a répondu à cela. Il n’a pas flanché. Je présume que c’est un homme qui avait déjà entendu toutes ces questions ». Quel scoop !
À lire les points essentiels retenus par nos médias aux ordres, nous pouvons nous demander s’ils s’intéressent, un peu plus que M. Neely, à ce qui préoccupe « l’esprit des gens » et surtout s’ils écoutent les vraies réponses aux sujets qu’ils refusent d’aborder.
Admettront-ils, un de ces jours, que la guerre des Syriens est de défendre la Syrie contre le terrorisme, tandis que la guerre des coalisés à Washington, Paris et Londres, est de la détruire par ce même terrorisme qu’ils ont excellemment utilisé, nourri et soutenu, avant qu’il ne se retourne contre eux ?
Retiendront-ils, contrairement à M. Neely, que diaboliser le Gouvernement et l’Armée nationale syrienne ne dissipera pas la peur qui s’est emparée de nous ? Ou bien se contenteront-ils de continuer à nous servir des insanités du style des rédacteurs de Libération ; lesquels osent encore commenter, en ces termes, la mort de plus de 120 civils, ce 19 juillet, à Manbej, une ville au nord d’Alep, par une supposée bavure [2] : « Cette bavure de la coalition internationale fait le jeu à la fois du gouvernement syrien et de l’Etat islamique, qui se sont rapidement emparés de l’information pour leur propagande... Selon des témoins sur place en contact avec Libération, l’implication de l’aviation française serait fausse. Cette accusation du régime syrien révèle tout de même sa volonté de s’attaquer à la France. Et pour Bachar al-Assad, d’appuyer sa volonté de participer à la coordination des frappes de la coalition internationale » ? Rien que ça !
Nous aurons compris qu’ils n’ont pas encore reçu les ordres pour tenir compte du message évident du Président syrien malgré l’arrogance et le nombrilisme de M. Neely : aidez-nous à combattre les terroristes pour les empêcher de retourner chez vous. Faites en sorte de ne pas nourrir leur arsenal et surtout leur idéologie.
Nous aurons compris que nos dirigeants n’ont toujours pas renoncé à leur projet initial et que le « bon boulot », défini initialement par Laurent Fabius, consiste toujours à tuer plus de Syriens.
Puissent les blessés se remettre au plus vite. Puissent les victimes innocentes, ici et ailleurs, reposer en paix. Puissent leurs familles surmonter la douleur de leur absence [NdT].
* * *
Bill Neely : Monsieur le Président, nous vous remercions de nous avoir reçus et de permettre à NBC de vous poser quelques questions importantes.
Le Président al-Assad : Vous êtes les bienvenus à Damas.
1. Il y a quelques semaines, vous avez dit devant les membres du Parlement syrien que vous reprendriez chaque pouce de la Syrie. Le Département d’État américain a qualifié cette déclaration de « délirante ». Vous êtes loin de gagner cette guerre, n’est ce pas, sans même parler de reprendre chaque pouce de la Syrie ?
Le Président al-Assad : En fait, l’Armée syrienne a fait beaucoup de progrès récemment, ce qui est le but de toute armée ou de tout gouvernement. Je ne pense pas que cette déclaration des États-Unis soit pertinente. Elle ne reflète ni le respect du droit international et de la Charte des Nations Unies, ni le respect de la souveraineté d’un pays ayant le droit de contrôler l’ensemble de son territoire.
2. Mais, à votre avis, combien de temps vous faudra-t-il pour gagner cette guerre ?
Le Président al-Assad : Vous parlez d’une question liée à nombre de facteurs, le facteur le plus important étant : « Combien de temps les soutiens de ces terroristes vont-ils continuer à les soutenir, en particulier la Turquie, le Qatar et l’Arabie saoudite, avec l’appui de certains pays occidentaux, y compris les États-Unis ? ». Si ce soutien cessait, cela ne prendrait pas plus de quelques mois.
3. Pas plus de quelques mois ? Voyez-vous, je me suis trouvé ici une dizaine de fois et j’ai entendu vos responsables dire : « Il faudra un mois pour reprendre Homs… Il faudra six mois pour reprendre ailleurs… » Cela prend toujours plus de temps. Donc, d’un point de vue réaliste, cela prendra des années. Non ?
Le Président al-Assad : Voilà pourquoi j’ai dit que cela dépend de l’importance du soutien que les terroristes vont continuer à recevoir et de l’importance de leur recrutement en Turquie grâce à l’argent saoudien, pour toujours en expédier un plus grand nombre en Syrie. Leur but est de prolonger la guerre. Ils peuvent la prolonger tant qu’ils le voudront et ont déjà réussi à ce faire. Si bien que la réponse dépend de votre question. Si vous parlez du temps qu’il faudra pour régler le conflit, en tant que conflit syrien isolé, cela ne prendra pas plus de quelques mois. Mais si vous en parlez comme d’un conflit où interviennent nombre de puissances régionales et internationales, comme c’est le cas aujourd’hui, cela prendra beaucoup de temps et nul ne peut répondre à votre question. Nul ne sait comment la guerre va évoluer.
4. Il y a un an, la guerre évoluait tout autrement. Dans l’un de vos discours, vous avez dit que vous étiez à court de troupes et que vous aviez dû renoncer à certaines zones à contrecœur. Qu’est-ce qui a changé depuis ? Est-ce l’intervention de la Russie ? Voilà la vraie raison du tournant pris par cette guerre, n’est-ce pas ? Le fait que la Russie soit de votre côté.
Le Président al-Assad : Certainement, le soutien russe à l’Armée syrienne a fait pencher la balance contre les terroristes.
5. C’est le facteur crucial ?
Le Président al-Assad : Il l’est, sans aucun doute. En même temps, la Turquie et l’Arabie saoudite ont envoyé plus de troupes depuis que cette intervention légale de la Russie a commencé. Mais, malgré ce fait, ce fut le facteur crucial, comme vous venez de le mentionner.
6. Donc, vous devez beaucoup au Président Poutine.
Le Président al-Assad : Tout le monde sait quels sont ceux qui se sont tenus à nos côtés : les Russes, les Iraniens, et même les Chinois, chacun à sa manière, qu’elle soit politique, militaire ou économique, car il ne s’agit pas d’une question à facteur unique. Vous ne pouvez donc pas parler uniquement de la puissance de feu ou des ressources humaines. C’est une question à plusieurs facteurs. Tous ces pays ont soutenu la Syrie, à côté d’autres pays qui l’ont soutenue à un degré moindre.
7. Est-ce que le président Poutine a exigé quelque chose de vous ? Quel est le « deal » ?
Le Président al-Assad : Il n’a rien demandé.
8. Rien ?
Le Président al-Assad : Pour deux simples raisons : la première est que leur politique est fondée sur des valeurs, ce qui est très important ; la deuxième est qu’actuellement nos intérêts sont communs parce qu’ils combattent les mêmes terroristes qu’ils auraient à combattre en Russie. Nous combattons des terroristes qu’il faudra peut-être combattre en Europe, aux États-Unis et partout ailleurs dans le monde. Mais la différence entre le Président Poutine et les autres responsables occidentaux est qu’il le voit clairement, alors que les autres responsables en Europe, et plus généralement en Occident en sont incapables. Voilà pourquoi son intervention repose à la fois sur des valeurs et sur l’intérêt du peuple russe.
9. Vous vous parlez souvent ?
Le Président al-Assad : Quand il le faut. Nous nous parlons directement ou par l’intermédiaire de nos fonctionnaires réciproques.
10. Pour exemple, combien de fois vous vous êtes parlé cette année ?
Le Président al-Assad : Je ne les ai pas comptées. Nous nous sommes parlé à plusieurs reprises.
11. Comment décririez-vous votre relation avec lui ?
Le Président al-Assad : Très franche, très honnête, respect mutuel.
12. Mais il ne vous a rien demandé, c’est bien le cas ?
Le Président al-Assad : Rien du tout.
13. Parce que le soupçon est que la Russie puisse travailler de concert avec les États-Unis. Le secrétaire d’État Kerry devant rencontrer Vladimir Poutine ce jeudi à Moscou, le soupçon est qu’ils en viennent à une sorte de « deal » qui pourrait porter de mauvaises nouvelles pour vous.
Le Président al-Assad : Tout d’abord, concernant la première partie de votre question, si Poutine voulait me demander quelque chose, il me demanderait de combattre les terroristes, parce que c’est là que résident ses intérêts en tant que Président d’un pays tel que la Russie. Ensuite, concernant cette allégation qui revient de temps à autre afin de suggérer que les Russes et les Américains se sont réunis et se sont entendus sur l’avenir de la Syrie, les responsables russes ont déclaré clairement, et à maintes reprises, que la question syrienne dépend du peuple syrien. Hier encore, le ministre Lavrov a dit : « Nous ne pouvons pas nous asseoir avec les Américains pour définir ce que veulent les Syriens. C’est une question syrienne et seul le peuple syrien peut définir l’avenir de son pays et comment résoudre son problème ». Le rôle de la Russie et des États-Unis est d’offrir l’atmosphère internationale susceptible de protéger les Syriens de n’importe quelle ingérence. Le problème est que les Russes sont honnêtes, tandis que les Américains n’ont rien offert dans ce domaine ; mais cela ne signifie pas qu’ils décident de ce que nous avons à faire en tant que Syriens.
14. Donc, juste pour être clair, ni le ministre des Affaires étrangères Lavrov, ni le Président Poutine, ne vous ont jamais parlé de transition politique et du jour où vous aurez à quitter le pouvoir ? Ce n’est jamais arrivé ?
Le Président al-Assad : Jamais, parce que, comme je l’ai dit, cela dépend du peuple syrien. Seul le peuple syrien décide qui peut être Président, comment il arrive au pouvoir et quand il doit le quitter. Ils ne m’ont jamais dit un seul mot à ce sujet.
15. Et vous n’avez donc pas la moindre inquiétude que la rencontre entre le Secrétaire Kerry et Vladimir Poutine aboutisse à une entente qui pourrait vous obliger à quitter le pouvoir ?
Le Président al-Assad : Non, parce que contrairement à la politique américaine, la politique russe ne repose pas sur la conclusion d’accords, mais sur des valeurs. C’est en raison de ces principes différents que je ne vois pas ce genre d’entente entre les Russes et les Américains.
16. Pourtant, il n’y a pas que la Russie qui bombarde vos ennemis, ce qui est sûr est que les États-Unis en font autant. Accueillez-vous favorablement les frappes aériennes américaines contre l’EIIL [État Islamique en Irak et au Levant] ?
Le Président al-Assad : Non, parce qu’elles ne sont pas légales.
17. Elles ne sont pas légales pour la Russie non plus. N’est-ce pas ?
Le Président al-Assad : Non. Premièrement, les Russes sont invités légalement et officiellement par le gouvernement syrien. Tout gouvernement a le droit d’inviter tout autre pays à l’aider dans n’importe quel domaine. Par conséquent, les frappes russes sont légales en Syrie, tandis que les frappes américaines et évidemment celles de tous leurs alliés ne le sont pas. Deuxièmement, depuis l’intervention russe, le terrorisme, disons-le, a subi une régression ; alors qu’avant cela et au cours de l’intervention illégale des Américains et de leurs alliés, l’EIIL et le terrorisme étaient en expansion et s’étendaient sur de nouvelles zones syriennes. Ils ne sont pas sérieux. Je ne peux donc pas accueillir favorablement leur manque de sérieux et leur présence illégale en Syrie.
18. Des milliers de missions, des centaines de frappes aériennes, et les États-Unis ne sont pas sérieux en Syrie ?
Le Président al-Assad : La question ne relève pas du nombre de frappes, mais du résultat. Telle est la question. La réalité du terrain dit que depuis le début des frappes aériennes américaines, le terrorisme s’est étendu et s’est renforcé, non l’inverse. Il n’a diminué que quand les Russes sont intervenus. C’est cela la réalité. Nous devons parler des faits et non seulement des actions superficielles qui ont été menées.
19. Donc, les frappes aériennes américaines sont inefficaces et contre-productives ?
Le Président al-Assad : Oui, d’une certaine façon. Lorsque le terrorisme est en croissance, les frappes sont contre-productives. C’est exact.
20. A qui la faute ? Est-ce une faute militaire, ou bien est-ce tout simplement le Président Obama qui n’a pas été, disons-le, suffisamment impitoyable ?
Le Président al-Assad : Non, il ne s’agit pas d’être impitoyable, mais d’être authentique. Il s’agit des intentions réelles. Il s’agit du sérieux et de la volonté. Les États-Unis n’ont pas la volonté de vaincre les terroristes. Ils veulent les contrôler et les utiliser en tant que carte comme ils l’ont fait en Afghanistan. Ce qui se reflète sur le terrain militaire. Si vous comparez les résultats de plus de 120 à 130 frappes aériennes russes sur quelques zones en Syrie, aux 10 à 12 frappes américaines avec tous leurs alliés en Syrie et en Irak, vous constateriez que leur résultat est non significatif, militairement parlant, et que cette inefficacité militaire traduit leur volonté politique.
21. Selon votre propre expression, il y avait la « volonté politique » de vous écarter du pouvoir. Telle était la volonté de Washington. Il semble que ce ne soit plus le cas. Avez-vous une idée pourquoi les États-Unis ont apparemment changé d’avis sur votre avenir ?
Le Président al-Assad : Non, parce que le problème avec les responsables américains est qu’ils disent quelque chose, masquent leurs intentions, et avancent dans une autre direction. Ils disent quelque chose, puis disent son contraire. Vous ne pouvez donc pas parler de leurs vraies intentions. Ce dont je suis sûr est qu’ils n’ont pas de bonnes intentions à l’égard de la Syrie. Peut-être sont-ils en train de manœuvrer ou de modifier leurs tactiques. Mais, ce que je crois est que leurs intentions n’ont pas changé.
22. Le Président Obama voulait vous éjecter. Il va bientôt quitter son poste, alors que vous restez en place. Avez-vous gagné ?
Le Président al-Assad : Non, ce n’est pas entre lui et moi. C’est entre moi et qui veut détruire ce pays, surtout les terroristes sévissant actuellement en Syrie. Notre victoire en tant que Syriens se situe là où nous pouvons nous en débarrasser et rétablir la stabilité en Syrie. Sinon, nous ne pouvons pas parler de victoire. Il est vrai qu’ils n’ont pas réussi à exécuter leur plan. Mais s’ils ont essuyé un fiasco, cela ne signifie pas que nous avons gagné la guerre. Je dois donc être réaliste et précis dans le choix des termes à cet égard.
23. Mais l’un des principaux objectifs du Président Obama, qui était de vous éjecter du pouvoir, a clairement échoué. Pensez-vous qu’il a échoué ?
Le Président al-Assad : Oui, je l’ai dit, il a échoué. Mais cela ne signifie pas que je gagne, parce que pour lui la guerre est de m’éjecter, alors que pour moi la guerre est de restaurer la Syrie, non de rester à mon poste. Donc, vous parlez de deux guerres différentes. Pour moi, il ne s’agit pas d’une guerre personnelle. Ma guerre est de protéger la Syrie. Je ne me soucie pas de ce que veulent les autres présidents. Je me soucie de ce que les Syriens veulent. S’ils veulent que je reste, je resterai ; s’ils veulent que je parte, je partirai. Ce sont là des situations différentes, complètement différentes.
24. Pensez-vous que les États-Unis ont fondamentalement mal compris votre guerre contre l’EIIL, contre ce que vous pourriez désigner par l’ennemi commun ?
Le Président al-Assad : Encore une fois, ce n’est pas un ennemi commun, parce que nous, nous sommes sincères dans notre combat, non seulement contre l’EIIL, mais aussi contre le Front al-Nosra et toutes les organisations terroristes affiliées à Al-Qaïda en Syrie. Nous voulions nous débarrasser de tous les groupes terroristes. Nous voulions les vaincre, alors que les États-Unis voulaient les gérer afin de renverser le gouvernement syrien. Vous ne pouvez donc pas parler d’un intérêt commun, à moins qu’ils ne veuillent vraiment les combattre et les vaincre. Ce qu’ils n’ont pas fait. Ils étaient présents en Irak en 2006, ils n’ont pas cherché à les vaincre.
25. Mais l’Amérique est très sincère en ce qui concerne le combat contre l’EIIL. L’EIIL est une menace pour le territoire américain. Comment pouvez-vous dire que l’Amérique n’est pas sérieuse dans la lutte contre l’EIIL ?
Le Président al-Assad : Parce que l’EIIL a été mis en place en Irak dès 2006 alors que les États-Unis y étaient, non la Syrie. Il s’est développé sous le contrôle des autorités américaines qui n’ont rien fait pour le combattre à l’époque. Pourquoi le combattraient-elles maintenant ? D’ailleurs, elles ne le combattent toujours pas. Il a prospéré sous le regard des avions américains, lesquels auraient pu le voir exploiter les champs pétroliers puis acheminer le pétrole vers la Turquie. Ils n’ont même pas essayé d’attaquer un seul convoi de l’EIIL. Comment pouvaient-ils être contre l’EIIL ? Ils ne pouvaient pas le voir ? Ils ne voyaient pas ? Comment se fait-il que les Russes l’ont vu dès le premier jour et ont lancé leurs attaques contre ses convois ? En fait, l’intervention russe a démasqué les intentions américaines concernant L’EIIL et les autres groupes terroristes. C’est évident.
26. Il y a trois ans, le président Obama a menacé de vous attaquer. Il a tracé une ligne rouge, puis s’est retiré sans exécuter sa menace. Qu’en pensez-vous ? Est-ce le signe d’un président faible ?
Le Président al-Assad : C’est le problème avec les États-Unis. Depuis des années, ils ont promu l’idée qu’un bon président est dur, impitoyable et va-t-en guerre, sinon ce serait par définition un président faible ; ce qui est faux. En fait, depuis la deuxième Guerre mondiale, les administrations américaines successives ont agi en attisant le feu des conflits dans toutes les parties de ce monde. Avec le temps, elles sont devenues de plus en plus pyromanes. Elles se différencient les unes des autres par les moyens utilisés, non par l’objectif. C’est ainsi que l’administration Bush a continué à engager ses propres troupes, que la suivante a utilisé des mercenaires de substitution et que la troisième a travaillé par procuration. Rien n’a changé, le cœur du problème est toujours le même.
27. Revenons à ce moment précis d’il y a trois ans. Était-ce le signe d’une faiblesse des États-Unis et de son président ?
Le Président al-Assad : Non, parce qu’ils ont quand même mené leur guerre par procuration contre la Syrie. Ils n’ont pas combattu l’EIIL. Ils n’ont exercé aucune pression sur la Turquie ou l’Arabie Saoudite afin qu’elles arrêtent d’envoyer argent, personnel et soutien logistique aux terroristes. Ils auraient pu le faire. Ils ne l’ont pas fait. Par conséquent, ils mènent toujours leur guerre, mais d’une manière différente. Ils n’ont pas envoyé leurs troupes, ils ne nous ont pas attaqués avec leurs missiles, mais nous envoient des mercenaires. C’est ce que j’ai signifié en disant que le cœur du problème est toujours le même.
28. Avez-vous été surpris qu’ils n’aient pas attaqué ?
Le Président al-Assad : Non, non. Ce ne fut pas une surprise. Cependant, je pense que ce qu’ils font actuellement revient au même et qu’entre nous expédier des mercenaires et nous envoyer des missiles, cette dernière option pourrait être plus efficace pour eux.
29. Vous êtes un leader. Pensez-vous qu’en ne respectant pas la ligne rouge qu’elle a elle-même tracée, l’Amérique a nui à sa propre crédibilité, non seulement au Moyen-Orient, mais dans le monde entier ?
Le Président al-Assad : Pour être franc avec vous, cette crédibilité n’a jamais existé pour nous, au moins depuis le début des années soixante dix. Depuis que nous avons rétabli nos relations avec les États-Unis en 1974, nous n’avons jamais vu une réelle crédibilité quelle que soit l’administration et sur tous les sujets que nous avons eu à traiter. Je ne peux donc pas dire que les États-Unis ont nui à leur propre crédibilité. Nombre de leurs propres alliés ne les croient pas. Je pense que la crédibilité américaine est au plus bas, généralement en raison de leur politique, leurs politiques dominantes, et non en conséquence du cas que vous avez mentionné. Telle est notre vision sur ce sujet.
30. Au plus bas, en termes de crédibilité dans le monde ?
Le Président al-Assad : En général, oui. Et c’est dû à l’ensemble de leur politique, non particulièrement à celle adoptée contre la Syrie.
31. Vous réjouissez-vous de la fin du mandat du président Obama ?
Le Président al-Assad : Changer d’administration sans changer de politique ne signifie rien pour nous. C’est donc un problème de politique et, en Syrie, nous n’avons jamais parié sur un président qui vient ou s’en va, pour la bonne raison que ce qu’ils disent au cours de leur campagne est différent de ce qu’ils mettent en pratique après leur élection.
32. Vous avez parlé des présidents qui se valent et qui n’ont jamais changé de politique. Il n’empêche que l’année prochaine, il y aura un nouveau président aux États-Unis. Espérez-vous une relation différente ? Pensez-vous que ce soit possible ?
Le Président al-Assad : Oui, bien sûr. Nous espérons toujours que le prochain président serait plus sage, moins pyromane, moins militariste et moins aventuriste. Voilà ce que nous espérons, mais que nous n’avons jamais constaté ; la différence entre les présidents successifs étant très marginale. Donc, nous gardons l’espoir, mais nous ne parions pas là-dessus.
33. Il y aura un nouveau président aux États-Unis où existent deux choix principaux, l’un d’eux étant Donald Trump. Que savez-vous de M. Trump ?
Le Président al-Assad : Rien. Juste ce que j’ai entendu dans les médias, et pendant la campagne. Comme je viens de le dire, nous ne devons pas perdre notre temps à écouter ce qu’ils disent pendant leur campagne et qu’ils modifieront après leur élection. C’est donc après la campagne que nous pourrons évaluer le nouveau président, non pendant.
34. Étant à Damas, qu’entendez-vous dans les médias au sujet de M. Trump ?
Le Président al-Assad : Le conflit entre les Américains auquel nous ne prêtons pas beaucoup d’attention. Je veux dire que même la rhétorique des différents candidats change en cours de campagne. Ce que vous entendez aujourd’hui ne sera pas pertinent demain. Nous ne pouvons donc pas construire nos propres politiques sur leur politique menée au jour le jour.
35. Mais vous suivez cette élection ?
Le Président al-Assad : Pas vraiment. Parce que, comme je l’ai dit, vous ne pouvez suivre un débat, aujourd’hui encore, déconnecté de la réalité. Il le deviendra après la prise de fonction. Jusqu’à présent, il reste rhétorique. Nous n’avons pas de temps à perdre avec la rhétorique.
36. Simplement rhétorique. Ainsi, par exemple et concernant M. Trump, vous ne croiriez pas que sa politique sera nécessairement conforme à ses dires ?
Le Président al-Assad : Non, nous ne le pouvons pas. Je ne parle pas de Trump, de Clinton ou de quelqu’un d’autre. Je parle d’un principe général s’appliquant à tout président américain et dans toute campagne américaine.
37. Il a fait très peu de commentaires sur la Syrie ou le Moyen-Orient, mais il vous décrit comme un « bad guy ». Cela vous inquiète-il ?
Le Président al-Assad : Non. C’est son opinion. Il n’a pas à me voir comme un bon gars. Pour moi, la question est comment les Syriens me voient, bon gars ou mauvais gars, non l’avis d’un américain qu’il soit citoyen, président ou candidat à la présidence. Je ne me soucie pas de cela. Disons que cela ne fait pas partie de ma carte politique.
38. L’une des choses qu’il a dite très clairement est qu’il sera plus dur avec l’EIIL. Cela devrait vous réjouir, puisque vous venez de dire qu’Obama n’était pas sérieux avec l’EIIL. Est-ce le cas ?
Le Président al-Assad : Vous n’avez pas à être plus dur. En réalité, dans la vraie vie et en cette région, ces mots n’ont aucun sens. Vous devez combattre l’EIIL par différents moyens. Il ne s’agit pas seulement de combattants que vous devez frapper par les bombes et les missiles les plus perfectionnés. Le problème du terrorisme est très compliqué et lié à une idéologie. Comment pouvez-vous être dur contre l’idéologie de l’EIIL ? Telle est la question. Comment pouvez-vous être dur à l’égard de son économie, de ses finances et des dons qu’il reçoit ? Comment pouvez-vous remédier à cela ?
39. Je pense que M. Trump parle de dureté militaire. Il veut…
Le Président al-Assad : Ce n’est pas suffisant. Vous devez être intelligent. Il ne suffit pas d’être dur. Pour commencer, vous devez avoir la volonté et être authentique, puis vous devez vous comporter avec intelligence. Ce n’est qu’ensuite que vous devrez être dur et militairement efficace. La dureté est donc l’ultime option après avoir rempli ces premiers critères.
40. D’après ce que vous en savez, M. Trump est-il suffisamment intelligent ?
Le Président al-Assad : Je ne le connais pas. Dans un face-à-face, je pourrai le juger, mais je ne vois cette personne qu’à la télévision, où vous savez qu’on peut tout manipuler. Vous pouvez vous préparer, vous pouvez répéter ; ce qui fait que le problème n’est pas là.
41. Aimez-vous ce que vous voyez de M. Trump à la télévision ?
Le Président al-Assad : Je ne suis pas les élections américaines parce que, comme je l’ai dit, nous ne parions pas là-dessus.
42. Il semble respecter le président Poutine. Est-ce que cela vous donne l’espoir d’un homme avec lequel vous pourriez, peut-être, faire des affaires ?
Le Président al-Assad : S’il est sincère. Je pense qu’il dit vrai, car chaque personne sur Terre, qu’elle soit d’accord ou non avec le président Poutine, devrait le respecter parce qu’il est respectable. Il se respecte, respecte l’autre, respecte ses valeurs, respecte les intérêts de son peuple ; et il est honnête et authentique. Alors, comment ne pas respecter une telle personne ? Donc, si Trump est sincère, je pense qu’il est correct. Voilà ce que je peux en dire.
43. M. Trump a également fait des commentaires sur les Musulmans, proposant d’interdire leur entrée aux États-Unis. Est-ce que cela vous a dérangé ou mis en colère ?
Le Président al-Assad : Oui, d’autant plus que la Syrie est un mélange de religions, de confessions et d’ethnies. Nous pensons que cette grande diversité est une grande richesse, non l’inverse. C’est le comportement des gouvernements et des forces influentes qui peut en faire un problème ou une source de conflit. Mais si vous faites en sorte que des gens différents s’intègrent véritablement et harmonieusement, cette richesse bénéficie à toute société, y compris aux États-Unis.
44. Donc, M. Trump n’aurait pas dû prononcer cette sorte de commentaire à propos des Musulmans ?
Le Président al-Assad : Nul ne devrait user d’un discours discriminatoire dans aucun pays. Je ne crois évidemment pas en ce genre de rhétorique.
45. M. Trump n’a aucune expérience en politique étrangère. Cela vous inquiète-t-il ?
Le Président al-Assad : Qui avait une telle expérience avant lui. Obama, George Bush ou Clinton ? Aucun d’entre eux n’en avait. Tel est le problème avec les États-Unis. Vous devez vous trouver un homme d’État qui ait une réelle et longue expérience, parce qu’avoir fait partie du Congrès pendant quelques années ou, par exemple, avoir été ministre des Affaires étrangères, ne signifient pas que vous possédez une telle expérience. L’expérience des États exige beaucoup plus de temps. Par conséquent, nous ne pensons pas que tous les présidents des États-Unis étaient suffisamment versés en matière de politiques.
46. Ainsi, un homme sans expérience en politique étrangère, à la Maison Blanche, n’est pas nécessairement dangereux de votre point de vue ?
Le Président al-Assad : Toute personne qui n’a pas d’expérience, que ce soit à la Maison Blanche, au Palais présidentiel en Syrie, ou à la tête de n’importe quel autre État, est généralement dangereuse pour le pays. Les États-Unis étant une grande puissance, bien sûr que les répercussions sont plus graves sur le reste du monde. Mais il ne s’agit pas uniquement d’un problème d’expérience, puisqu’au final les institutions du pays peuvent compenser. Il s’agit d’intention. Cet homme aura-t-il une bonne expérience, mais des intentions militaristes, destructrices et ainsi de suite ? Vous devez donc tenir compte de plusieurs facteurs. Il ne suffit pas de parler uniquement de l’expérience.
47. Quelqu’un d’autre a plus d’expérience en matière de politique étrangère et c’est Hillary Clinton. Dans un certain sens, vous la connaissez. Quelles seraient les conséquences de sa victoire aux élections ?
Le Président al-Assad : Une fois de plus, je dois vous répéter la même réponse. Cela dépendra de sa politique. Quelle politique va-t-elle adopter ? Va-t-elle prouver sa dureté en emmenant les États-Unis vers une autre guerre ou plus d’escalades ? Dans ce cas, ce sera mauvais pour tout le monde, y compris les États-Unis. Si elle prend une autre direction, ce sera mieux. Mais, encore une fois, nous nous concentrons plus sur les intentions que sur l’expérience. L’expérience est certes très importante, mais l’intention est cruciale pour tout président. Par conséquent, pourriez-vous leur poser la question de savoir s’ils peuvent vraiment dire au peuple américain, et au reste du monde, quelles sont leurs véritables intentions politiques ? Vont-ils vers une escalade, ou bien nous donneront-ils à voir plus de concorde en ce monde ?
48. Il existe une nette différence entre Mme Clinton et M. Trump. Il semble que la première soit déterminée à se débarrasser de vous. C’est du moins sa position déclarée. Le second dit vouloir se concentrer sur l’EIIL en vous abandonnant à votre sort. Ma question est : pour vous-même, Hillary Clinton représente-t-elle une plus grande menace que Donald Trump ?
Le Président al-Assad : Non, parce que depuis le début de cette crise, nous avons entendu à maintes reprises la même litanie, « Assad doit partir », de la part de presque tous les officiels occidentaux, quel que soit leur niveau de responsabilité. Nous ne nous en sommes jamais souciés. Jamais. Vous ne pouvez donc pas parler de cela comme d’une menace. C’est une ingérence dans nos affaires internes à laquelle nous n’allons pas répondre. Tant que j’ai le soutien du peuple syrien, je ne me soucie pas de quiconque en parle, qu’il s’agisse du président des États-Unis, lui-même, ou de n’importe qui d’autre. Pour nous, cela ne change rien. Voilà pourquoi j’ai dit que ce disent Clinton, Trump ou Obama n’a aucun sens pour moi. Nous n’en tenons pas compte sur notre carte politique. Nous ne perdons pas notre temps avec ce genre de rhétorique ou d’exigences.
49. Mais si Hillary Clinton, élue présidente, établissait une zone d’exclusion aérienne sur votre territoire, au nord de la Syrie par exemple, cela ferait une énorme différence.
Le Président al-Assad : Bien sûr. C’est là que vous pouvez parler de menace et voilà pourquoi je vous ai dit que, pour nous, la politique est d’une grande importance. C’est quand ils ont commencé à soutenir les terroristes dans le cadre de leur projet, plan ou étape, que vous avez observé plus de chaos dans le monde. Une première question : les États-Unis ont-ils intérêt à plus de chaos dans le monde entier, ou bien ont-ils intérêt à plus de stabilité ? Bien sûr qu’ils peuvent créer le chaos. C’est ce qu’ils n’ont cessé de créer dans le monde entier les 50 à 60 dernières années. Ce n’est pas nouveau. D’où une autre question : vont-ils faire pire et plus fort ? Il ne s’agit donc pas de moi et cela ne concerne pas ma présidence. Cela concerne la situation d’ensemble dans le monde, parce que vous ne pouvez pas séparer la situation en Syrie de celle du Moyen-Orient, et que quand le Moyen-Orient n’est pas stable, le monde ne peut pas être stable.
50. Permettez-moi de mesurer jusqu’à quel point vous pourriez souhaiter une nouvelle relation avec les États-Unis. L’EIIL a son quartier général dans votre pays, à Raqqa. Si jamais vous saviez que l’EIIL était sur le point d’attaquer les États-Unis, en avertiriez-vous l’Amérique ?
Le Président al-Assad : Par principe, oui, parce que l’EIIL peut s’attaquer à des civils et que je ne peux pas blâmer des innocents, aux États-Unis, du fait des mauvaises intentions de leurs dirigeants. Et, comme je l’ai dit à plusieurs reprises, je ne considère pas les États-Unis comme un ennemi direct tant qu’ils n’occupent pas ma terre. En même temps, disons que ce cas de figure n’est pas réaliste, puisqu’il n’y a pas de relation entre nous. Ce type d’information ou de coopération sur la sécurité nécessite une coopération politique. Nous n’avons ni l’une, ni l’autre.
51. Je me suis entretenu plusieurs fois avec votre Vice-ministre des Affaires étrangères, Dr Fayçal al-Miqdad. Il m’a décrit le danger d’une explosion de la crise syrienne, non seulement à travers le Moyen-Orient, mais à travers le monde entier. Ce qui est clairement arrivé. Maintenant que l’EIIL est refoulé ou brisé, y’a-t-il un danger que ses combattants se dispersent ? Votre victoire contre L’EIIL constituerait-elle un danger pour les États-Unis, lesquels deviendraient plus vulnérables au terrorisme ?
Le Président al-Assad : Non, si nous vainquons l’EIIL, nous aidons le reste du monde, parce que ces terroristes viennent de plus d’une centaine de pays, y compris les pays occidentaux. S’ils ne sont pas vaincus, ils retourneront dans ces pays plus expérimentés, plus fanatisés, plus extrémistes, et mèneront des attaques. Donc, si nous les vainquons ici, nous aidons tous les autres pays, y compris les États-Unis.
52. Mais les combattants de l’EIIL peuvent quitter Raqqa et comme nous l’avons vu avec les attaques terroristes en Europe, ils viennent en France, ils viennent en Belgique. Ils pourraient aussi bien venir et mener des attaques aux États-Unis. C’est un vrai risque, non ?
Le Président al-Assad : Oui, c’est de cela que je parle. J’ai dit que si nous les vainquons ici, si nous réussissons à les défaire dans le sens où ils ne pourraient plus retourner d’où ils viennent, nous aidons. S’ils quittent, s’ils échappent, si vous continuez à maintenir ce terrorisme, c’est là que peut commencer l’exportation de ces terroristes en Europe, comme ce qui est arrivé récemment en France. Donc, ce que vous dites est exact, et c’est ce que je veux dire. En les menant à leur défaite ici, nous aidons les autres. S’ils repartent, ils seront un danger pour le reste du monde.
53. Comme dans toute guerre, il y a deux côtés. Vos forces ont été accusées de faire des choses terribles. Je suis venu ici plusieurs fois et j’ai vu quelques-unes de ces choses terribles suite à des attaques aériennes et des bombardements de vos forces. Pensez-vous qu’un jour vous ferez face à un tribunal international ?
Le Président al-Assad : Tout d’abord, vous devez faire votre travail de Président. Lorsque votre pays est attaqué par des terroristes, vous devez le défendre et c’est mon travail selon la Constitution. Je fais donc mon travail et je vais continuer à le faire, peu importe ce à quoi je ferai face. Soyons clairs à ce sujet. Défendre le pays ne peut pas être mis en balance avec l’avenir personnel du Président, qu’il risque de passer devant une cour criminelle ou équivalent, qu’il risque la mort. Cela n’a pas d’importance. Si vous ne voulez pas faire face à toutes ces choses, quittez votre poste et cédez-le à quelqu’un d’autre.
54. Mais la raison pour laquelle les gens disent que vous devriez passer devant un tribunal pour crimes de guerre est qu’il est clair que vous usez de n’importe quel moyen. Je sais que vous ne reconnaissez pas l’usage de barils explosifs. Peu importe le métal, vous attaquez avec une force et des armes non discriminatoires dans des zones civiles. C’est vrai, non ?
Le Président al-Assad : Premièrement, ces gens ont-ils des critères concernant le genre de moyens que vous devriez utiliser contre des terroristes ? Ils n’en ont pas. La question n’est donc pas pertinente. Elle n’a pas de sens d’un point de vue juridique, ni d’un point de vue réaliste. Deuxièmement, aucune armée n’userait d’un armement non discriminatoire dans une telle situation où les deux parties sont presque entremêlées.
55. Sauf votre respect, Monsieur le Président, j’ai vu une bombe lancée à partir d’un hélicoptère. C’était non discriminatoire.
Le Président al-Assad : Disons que, techniquement parlant, le problème n’est pas de savoir si le lancement s’est fait d’un hélicoptère ou d’un avion. Ce n’est pas la question. Puisque vous parlez de précision, le plus important serait de dire que nous utilisons des armes dont la précision est comparable aux drones et missiles de haute précision utilisés par les États-Unis en Afghanistan. Combien de terroristes ont-ils tués jusqu’à présent ? Ils ont tué beaucoup, beaucoup plus de civils et d’innocents.
56. Même si cela était vrai, cela ne n’implique pas que vous faites bien.
Le Président al-Assad : Non, non, non. Je veux dire que le genre d’armement que vous utilisez n’a pas de rapport avec le sujet que vous soulevez. Il ne s’agit pas de l’usage d’armes plus ou moins précises. De tels critères n’existent pas. Cela fait juste partie de la campagne médiatique lancée récemment. Ici, je parle du point de vue légal. Nous avons le droit de nous défendre.
57. Sauf votre respect, il ne s’agit pas juste d’une campagne médiatique. Comme vous le savez bien, les Nations Unies ont parlé de ce sujet ainsi que les associations des droits de l’homme. Et il ne s’agit pas uniquement de l’usage d’armes non discriminatoires contre des civils, puisque cette semaine l’ONU a parlé de l’utilisation du siège et de la famine comme armes de guerre à Alep et à Darayya, près d’ici. Cela se passe en ce moment même, tout près de nous, non ?
Le Président al-Assad : Nous parlerons du siège. Pour revenir aux armes, la seule chose dont le gouvernement ne peut pas faire usage est ce qu’interdit le droit international. N’importe quelles autres armes que vous utilisez contre le terrorisme est un droit. Il est donc de notre droit d’user de n’importe quel autre armement pour vaincre les terroristes.
58. Et vous savez que vous êtes accusé d’avoir utilisé des armes chimiques ? Ce que vous niez.
Le Président al-Assad : Nous ne l’avons pas fait. Cela fait trois ans que personne n’a avancé aucune preuve à ce sujet. Que des allégations.
59. Il y a beaucoup de preuves, mais vous les rejetez.
Le Président al-Assad : Non, non. Il n’y a pas de preuve, seulement des photos sur Internet et chacun peut…
60. Photographique, scientifique, témoin oculaire...
Le Président al-Assad : Rien. Une délégation de l’Organisation internationale des armes chimiques est venue en Syrie et n’a trouvé aucune preuve. Ses délégués ont recueilli toutes sortes d’échantillons pour offrir des preuves, mais rien. Il n’y a aucune preuve. Nous n’avons donc pas utilisé des armes chimiques, d’autant plus qu’il n’y a aucune logique à un tel usage de notre part.
61. Parlons des méthodes utilisées par vos forces, lesquelles isolent et assiègent des milliers de civils qui meurent de faim, tout près d’ici. Le reconnaissez-vous ?
Le Président al-Assad : Supposons que ce que vous dites soit exact. Supposons. Vous parlez de zones encerclées ou assiégées par l’Armée depuis des années, non des mois. Ces gens là manqueraient de nourriture et de toutes les nécessités de base du fait du gouvernement, mais en même temps nous combattent depuis deux ans et nous pilonnent de leurs mortiers tuant les civils des régions voisines. Selon votre récit, cela signifie, que nous leur permettons d’être approvisionnés en armement mais pas en nourriture. Est-ce réaliste ?
62. C’est ce que dit l’ONU. Par exemple, l’ONU dit qu’à Madaya elle a réussi à acheminer seulement quatre convois d’aide pendant toutes ces années.
Le Président al-Assad : Comment les empêcherions-nous de recevoir de la nourriture, alors que nous n’avons pas pu les empêcher de recevoir des armes pour nous tuer ? Quelle est la logique dans tout cela ? C’est contradictoire. Soit nous dressons un siège contre tout, soit nous autorisons tout. C’est le premier point. Le deuxième qui prouve que ce que vous dites n’est pas vrai, ce sont toutes les vidéos qui montrent tous les convois, envoyés par les Nations Unies, atteignant ces mêmes zones. Cela fait des années que l’ONU dit et répète à l’envi cette même narrative, mais ces gens sont toujours en vie Comment auraient-ils pu vivre aussi longtemps sans nourriture ?
63. Cibler des civils est un crime de guerre. Tout récemment, la famille de Marie Colvin, une journaliste américaine, a lancé une procédure aux États-Unis contre vous et votre gouvernement qu’elle accuse de l’avoir délibérément ciblée et tuée. Vous connaissez Marie Colvin, c’était une de mes amis.
Le Président al-Assad : Oui. Une journaliste, oui.
64. Vos forces ont-elles ciblé Marie Colvin et ses collègues dans l’intention de la tuer ?
Le Président al-Assad : Tout simplement, non. Tout d’abord, les Forces armées n’avaient aucune idée de sa présence et nous ne la connaissions pas. C’est la guerre. Elle est entrée illégalement en Syrie et a travaillé avec les terroristes. Étant donné qu’elle est entrée illégalement, elle a été responsable de ce qui lui est arrivé. Deuxième…
65. Elle est responsable de sa propre mort ?
Le Président al-Assad : Bien sûr, elle est venue illégalement en Syrie. Nous ne pouvons être responsables de chaque personne qui entre légalement dans notre pays. Elle est entrée illégalement et elle est allée du côté des terroristes. Nous ne l’avons envoyée nulle part, nous ne connaissions rien d’elle.
66. Comme vous le savez, cela n’explique pas pourquoi les missiles ont frappé la maison où elle se trouvait à Homs ?
Le Président al-Assad : Non, non, personne ne sait si elle a été tuée par un missile, de quel type de missile il pourrait s’agir, d’où il venait et comment c’est arrivé. Personne n’a la moindre preuve. C’est arrivé en zone de conflit, en zone de guerre, et vous savez que lorsque vous êtes pris quelque part sous un feu croisé, vous ne pouvez pas dire qui a tué qui. Ce sont donc des allégations. Deuxièmement, des centaines de journalistes sont venus en Syrie, légalement et illégalement, et ont couvert du côté des terroristes, non de celui du gouvernement ; nous ne les avons pas tués. Alors, pourquoi aurions-nous sélectionné cette personne afin de la tuer ? Il n’y a pas de raison. Troisièmement, des dizaines de journalistes travaillant pour le gouvernement et le soutenant ont été tués. Les avons-nous tués ? Nous ne l’avons pas fait. Avez-vous jamais entendu parler d’une bonne guerre ? Je ne le pense pas. C’est une guerre. Vous avez toujours des victimes innocentes tuées dans diverses circonstances, sans que personne ne puisse dire comment.
67. Voyez-vous, Monsieur le Président, vous donnez l’impression d’un homme qui ne ressent aucune responsabilité pour les choses terribles subies, en son nom, par le peuple syrien. Vous avez un air de : « Eh bien, cela n’a vraiment pas d’importance ! ».
Le Président al-Assad : Vous portez uniquement la responsabilité de la décision que vous prenez. Vous ne portez pas la responsabilité de la décision que vous n’avez pas prise.
68. Mais certaines des décisions que vous avez prises ont entraîné la mort de centaines de milliers de personnes.
Le Président al-Assad : Comme ?
69. Les attaques contre certaines zones, les campagnes de frappes aériennes, l’utilisation de certaines armes.
Le Président al-Assad : Les deux seules décisions que nous avons prises depuis le début de la crise sont de défendre notre pays contre les terroristes et d’instaurer le dialogue avec tous. Nous avons dialogué avec tout le monde, y compris certains groupes terroristes prêts à déposer leurs armes. Nous sommes restés très souples. Nous n’avons jamais pris la décision d’attaquer une zone qui n’était pas occupée par des terroristes ou d’où ils bombardaient les villes adjacentes.
70. Avez-vous jamais regardé, par exemple, les images, photos et vidéos d’enfants se trouvant dans les zones tenues par les rebelles ? Si oui, je me demande ce que vous ressentez. Le chagrin, le regret, rien ?
Le Président al-Assad : Ma question est comment pouvez-vous vérifier que ces enfants vus sur Internet sont bien présents dans ces zones ?
71. Vous voyez, Monsieur le Président, vous voilà reparti. Une telle réponse renforce tout simplement le point de vue selon lequel vous éludez votre responsabilité.
Le Président al-Assad : Non, non, non.
72. En réalité, vous ne vous souciez pas des gens de l’autre côté, que vos forces tuent ?
Président Assad : Cette question pourrait recevoir une réponse si vous répondez à la question suivante : comment jugez-vous actuellement Bush pour le million d’Irakiens morts depuis la guerre d’Irak en 2003 ?
73. Je ne suis pas ici pour parler de Bush. Je suis ici pour vous interroger.
Le Président al-Assad : Non, non. Ici, je ne parle que de principe. D’un même principe. Il a attaqué un pays souverain, alors que je défends mon pays. Si vous utilisez un seul standard, c’est une chose, mais si vous appliquez un double standard, c’est autre chose.
74. Vous ne me donnez toujours pas l’impression de vous soucier vraiment beaucoup de tout ceci.
Le Président al-Assad : Non, non. Je m’adresse à un public américain et il nous faut établir une analogie entre nos deux situations, parce que c’est en rapport avec la logique dont vous vous servez pour expliquer quelque chose. Il ne s’agit pas de ma réponse. Bush a attaqué un pays souverain, alors que nous défendons notre pays. Il a tué les Irakiens sur leur terre, alors que nous nous défendons principalement contre des terroristes venus de différents pays à travers le monde. Nous sommes donc dans notre droit, et vous venez nous parler d’une guerre propre sans victimes, sans civils innocents tués ; ce qui n’existe pas…
75. Est-ce ainsi que vous expliquez la guerre, par exemple, à vos enfants à la table du petit déjeuner ? Je suis sûr qu’ils sont très…
Le Président al-Assad : Bien sûr et je leur parle de la réalité, des faits. Quant aux enfants tués, je leur dis de qui sont-ils les enfants, d’où ils sont, comment ils ont été tués. Vous, vous parlez de la propagande, des campagnes médiatiques et parfois de fausses photos sur internet. Nous, nous ne pouvons parler que des faits. Je ne peux pas leur parler d’allégations.
76. Avez-vous déjà pleuré à propos de ce qui est arrivé en Syrie ?
Le Président al-Assad : Pleurer ne signifie pas que vous êtes un homme bon ou que vous ressentez beaucoup de compassion. Il s’agit de ce que vous éprouvez dans votre cœur, non dans vos yeux. Ce n’est donc pas une question de larmes. Ensuite, en tant que Président, il ne s’agit pas de ce que vous ressentez, mais de ce que vous comptez faire. Comment allez-vous procéder pour protéger les Syriens ? Lorsqu’un événement malheureux survient, ce qui est quotidien, allez-vous continuer de pleurer tous les jours, ou bien continuer à travailler ? Chaque fois qu’un incident malheureux arrive, je me demande comment je pourrais en protéger les autres Syriens.
77. Que comptez-vous faire à l’avenir ? Allez-vous poursuivre encore et encore et encore ? Vous et votre père avez occupé le pouvoir pendant quarante-six ans, est-ce exact ?
Le Président al-Assad : Non, ce n’est pas exact, parce qu’il fut un président et que je suis un autre président. Votre description n’est absolument pas exacte. Il a été élu par le peuple syrien et j’ai été élu après sa mort. Il ne m’a pas placé sur un poste quelconque, de sorte que vous ne pouvez pas faire cette liaison. Je suis au pouvoir depuis seize ans et non quarante-six.
78. Vous êtes au pouvoir depuis seize ans, ma question est : allez-vous y rester encore et encore ?
Le Président al-Assad : S’il s’agit de mon poste, vous devez interroger le peuple syrien. S’il ne veut pas de moi, je dois partir de suite, aujourd’hui même. S’il veut de moi, je dois rester. Cela dépend de lui. Je veux dire que je ne peux pas rester contre sa volonté ; auquel cas, je ne peux pas continuer, je ne peux pas réussir. Je n’ai pas l’intention de ne pas réussir.
79. Comment pensez-vous que l’Histoire se souviendra de vous ?
Le Président al-Assad : Comment j’espère que l’Histoire se souviendra de moi ? Je ne peux pas le prédire, je ne suis pas devin. J’espère que l’histoire me verra comme l’homme qui a protégé son pays du terrorisme, de l’ingérence, a sauvé sa souveraineté et l’intégrité de son territoire.
80. Parce que vous savez que le premier jet qu’a retenu l’Histoire dit que vous êtes un dictateur brutal, un homme avec du sang sur vos mains et même plus de sang que votre père.
Le Président al-Assad : Non. Une fois de plus je donnerai cet exemple du médecin qui coupe un bras gangréné pour sauver le patient. Vous ne dites pas de lui qu’il est médecin brutal. Il fait son travail pour sauver le reste du corps. Par conséquent, lorsque vous protégez votre pays des terroristes, lorsque vous tuez des terroristes et que vous défaites des terroristes, vous n’êtes pas brutal, vous êtes un patriote. Voilà comment vous vous voyez et voilà comment le peuple veut vous voir.
81. Et voilà comment vous vous voyez ? Comme un patriote ?
Le Président al-Assad : Je ne peux pas être objectif sur moi-même. Le plus important est de savoir comment les Syriens me voient. C’est là une opinion vraie et objective, non ma propre opinion.
Bill Neely : Monsieur le Président, merci beaucoup pour avoir répondu aux questions de NBC et d’avoir pris le temps de vous entretenir avec moi. Merci beaucoup.
Le Président al-Assad : Merci à vous.
Docteur Bachar al-Assad
Président de la République arabe syrienne
14/ 07/ 2016
Sources : SANA / NBC News
Texte intégral de l’entrevue en anglais http://sana.sy/en/?p=82569
Vidéo NBC news http://www.nbcnews.com/nightly-news/video/watch-full-exclusive-interview-with-syrian-president-bashar-al-assad-724734019921
Traduit de l’anglais par Mouna Alno-Nakhal