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Térésa et sa famille

Photo SDF par Lee Jeffries

C’est une petite vieille toute ridée. Ses habits disent de suite qu’elle est étrangère et tzigane. Elle boîte dans les rues avec une canne. Elle fait la manche. Entre nous, on la nomme "la grand-mère" puisqu’on lui donne l’âge d’être notre mère ou grand-mère.

On discute. Térésa dort où elle peut. Sous une bâche, dans une usine désaffectée, dans un squatt insalubre. En compagnie de sa famille.

On sympathise. Un jour elle nous tend un portefeuille avec tous les papiers qui racontent l’histoire de la famille.

La carte d’identité révèle que Térésa a deux ans de plus que moi ! Pas vingt-cinq ou trente...

Une déclaration de naissance faite avec retard et validée par le tribunal. Un rendez-vous avec un service social pour la mère, sa belle-fille.

Un jugement de placement en assistance éducative. Le jugement dit que ces gens vivent dans dans un trop grand dénuement pour que l’on leur laisse le bébé.

« Les papiers » racontent l’histoire toute simple de gens qui souhaitent parvenir à s’installer en France et y trouver du boulot. Pour être habilités à reprendre leur petite-fille et fille née en France. Pour faire venir en France la sœur aînée de quatorze ans. « Mais pourquoi s’obstinent-ils à revenir en France ? » Ah ça ! Suffisait de demander. On est bien loin des « vacances en France » alléguées par un service social bien de chez nous... C’est la deuxième année ici après une année passée en Roumanie à rechercher du boulot sans succès. Après avoir été rapatriés de force comme une tapée de Rroms roumains et bulgares.

Térésa vient de Copșa Mică en Roumanie. Copșa Mică ! Bon, d’accord, on veut bien que des travailleurs sociaux ne soient pas férus d’écologie, de gwerz bretonne ou même d’histoire contemporaine mais on peut se renseigner. Tu tapes dans ton moteur de recherche. Copșa Mică a acquis une célébrité mondiale. Dantesque pollution industrielle par les métaux lourds. Monstrueuse pollution au charbon. Taux de mortalité infantile à plus de trente pour cent ! Troubles neuro-comportementaux pour dix pour cent de la population.

Au désastre écologique et sanitaire s’ajoute la catastrophe sociale. Fermeture d’une usine sur deux dans les années 90. Licenciement sélectif des Rroms. Faut rappeler que l’esclavage a été aboli en Roumanie, légalement en 1864, mais en pratique par le régime communiste après la seconde guerre mondiale. Et que les esclaves, bien sûr, c’étaient les Rroms. Ça laisse des traces dans les mentalités d’aujourd’hui...

Térésa marche avec vaillance, et avec béquille, dans les rues de la ville. Le bon coin pour la manche. Le restaurant social. Les entreprises qui embauchent — de la main d’œuvre très qualifiée, pas chère et sans charges... — fils et gendres à la sauvette. L’association caritative qui va donner une couverture pour les nuits... Et il faisait moins huit la nuit cet hiver-là ! On a eu les mille difficultés à faire héberger Térésa et les siens par le 115 (service téléphonique pour l’hébergement d’urgence).

Un président BCBG d’association caritative a écrit à la DDASS et à la préfecture : « D’une manière générale il semble que les portes ne s’ouvrent pas trop facilement devant cette famille. Même s’il est vrai qu’elle tente de s’installer chez nous dans un va-et-vient avec le pays d’origine pour respecter les délais légaux de séjour, il m’apparaît impossible, au nom des affirmations des plus hauts responsables politiques de notre pays d’une part [Sarkozy avait promis pas longtemps avant qu’il n’y aurait plus de SDF], des engagements de la loi DALO d’autre part [qui venait d’être votée], de ne pas leur proposer, au moins pendant la période hivernale, de solution d’hébergement d’urgence stable. »

Le réseau de solidarité pour Térésa et sa famille a aussi impliqué un punk à chiens vivant à mi-temps dans son camion, des étudiantes en carrières sociales au dynamisme échevelé et des militants politiques qui ont hurlé dans les bureaux d’un bureaucrate « cadre social ».

On a finalement réussi à loger au chaud Térésa et sa famille. Pas sans mal. Et il fallait renouveler chaque jour la demande d’hébergement.

Ah, je ne t’ai pas dit. Parmi ceux à coucher dehors dont ne voulait pas le 115 il y avait un petit-fils de Térésa âgé de quatre ans.

Je te parle d’un temps révolu. Aujourd’hui, pour cause d’économies, il y a beaucoup moins de lits disponibles au 115.

Partageux

Partageux rencontre des personnes cabossées par notre société libérale, change leur identité et ne mentionne ni son nom ni sa ville pour qu’on ne puisse les reconnaître. Partageux, c’est une définition personnelle de la gauche. Simple. La gauche, c’est toujours se soucier d’abord des plus pauvres, des plus faibles, des plus délaissés, des plus oubliés, des plus méprisés.

»» http://partageux.blogspot.fr/2012/01/teresa.html
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Viktor Dedaj

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