1. Depuis plusieurs jours, les journaux télévisés de France 2, France 3, et même d’Arte, lorsqu’ils traitent de la mobilisation contre les retraites, commencent toujours par la même phrase : le pourcentage de grévistes (notamment de conducteurs de la RATP et de la SNCF) est en baisse.
Ou bien : le soutien aux grèves baisse dans l’opinion. Ou bien, lorsqu’il y a des manifestations : celles-ci rassemblent moins de participants que la "précédente". Quitte à changer la référence de cette fameuse "précédente" pour mieux faire apparaître la "baisse" en question.
Et lorsqu’il s’agit de compter les manifestants, il n’y a même plus le balancement rituel : "100 000 selon les manifestants, 10 000 selon la police" (ou 8000 selon un cabinet de comptage dit "indépendant"...). Ainsi, lorsque j’ai écouté hier France 2, la journaliste ne se référait plus qu’aux seuls chiffres de la police.
Parfois, dans le ton faussement neutre des journalistes lorsqu’ils prononcent ces phrases, je discerne ce que nos voisins allemands appellent de la Schadenfreude, c’est-à-dire de la joie mauvaise éprouvée au spectacle ou à l’annonce du malheur d’autrui. [Surtout lorsqu’il s’agit d’un "autrui" qu’on n’aime pas...]. Traduction : "Ouf ! Ces misérables de grévistes s’épuisent. On va enfin être débarrassés de leurs nuisances !"
2. Hier, le journal télévisé de France 2 indiquait que le taux de rémunération du Livret A allait passer de 0,75 % (ce qui est peu), à 0,50 % (ce qui est encore moins). Et comme les fonds récoltés par ce livret sont censés servir à construire des logements sociaux, le gouvernement a eu le front de prétendre que les bailleurs sociaux, ayant moins à rembourser, pourraient construire davantage de ces logements ! Comme si en baissant ce taux, la motivation du gouvernement, était d’encourager la construction de l’habitat social ! En réalité, il ne s’agit pas de cela : il s’agit de pousser les gens vers des placements plus rémunérateurs - mais plus risqués - qui, d’une façon ou d’une autre, aboutiront en Bourse. Comment être d’aussi mauvaise foi que le gouvernement ?
3. Ces placements, par ailleurs, contrairement aux sommes déposées sur le Livret A, sont souvent des placements bloqués sur plusieurs années. Donc des sommes auxquelles, contrairement aux sommes déposées sur le Livret A, les titulaires de comptes ne peuvent pas toucher quand ils le veulent. Or les Livrets A sont des placements populaires, et ils le sont à double titre : d’abord en ce qu’ils jouissent d’une grande popularité, et ensuite en ce qu’ils sont très répandus parmi les classes populaires, qui s’en servent pour s’acheter des biens de relativement peu de valeur (mobilier, électro-ménager) ou faire face à de petits imprévus. Les classes populaires n’ont pas les moyens d’immobiliser de grosses sommes pendant des années, sauf à se serrer la ceinture. La baisse de rémunération du Livret A est (ce que ne disait évidemment pas le reportage) une mesure anti-sociale. En outre, c’est une mesure qui prépare sournoisement à la constitution de fonds de pension.
4. Justement, ces fonds de pension, j’y viens. Dans le numéro 2880 de L’Obs (semaine du 16 au 22 janvier), en page 14, un certain Fiorentino plaide, sans vergogne, pour ces fonds de pension, en alignant tous les poncifs que ressassent, depuis des années, le gouvernement, la droite, le patronat et les puissances d’argent, à savoir que :
– La retraite par répartition n’est plus suffisante,
– Il n’y a plus aucune autre issue que d’épargner pour compenser, au moins, sa perte de pouvoir d’achat,
– La capitalisation est un "gros mot" en France,
– Ce mode de financement est pourtant une réalité dans de nombreux pays développés,
– L’arithmétique des retraites est sans appel : il faudra travailler plus longtemps et surtout [je souligne surtout] épargner pour tenter de préserver son pouvoir d’achat.
Si j’insiste là dessus, c’est parce que L’Obs est un journal qui soutient la retraite à points et qui est pour la CFDT. Or, le gouvernement jure, la main sur le cœur, que sa réforme ne vise qu’à sauver (pérenniser, consolider, conforter... tous les verbes que l’on voudra) la retraite par répartition et non à introduire subrepticement les fonds de pension. Et que tout ce que racontent les syndicats et la gauche sur les accointances et les complicités entre le gouvernement et le fonds BlackRock ne sont que d’affreuses calomnies. Et, patatras, voila que cet innocent de Fiorentino dévoile le pot-aux-roses...