L’affaire Almasri [un Libyen recherché par la Cour pénale internationale et laissé en liberté par le gouvernement Meloni malgré le mandat de recherche international ] et le projet de loi de la Lega visant à sortir l’Italie de l’OMS, ainsi que les premières décisions de Trump, nous indiquent que non seulement le droit international est actuellement du papier brouillon dans la réalité, mais qu’il est également en train de devenir du papier brouillon en théorie, tant pour les gouvernements que pour le bon sens de nombreux citoyens qui apprécieront un discours comme celui de Salvini : gardons l’argent que nous devrions donner à l’OMS et finançons nos hôpitaux.
Dans ma jeunesse, en tant que travailleur humanitaire international, j’étais un critique contre-courant du globalisme juridique et de l’idée d’un gouvernement mondial. En tant qu’universitaire, je préfère le Hegel réaliste au Kant de la paix perpétuelle. Bref, j’ai toujours pensé que la philosophie des droits de l’homme tendait à annuler la dimension sociale et à réduire toute hypothèse de conflit à la dimension individualiste de l’individu qui proteste et va en justice, neutralisant le moment collectif de l’action politique. En somme, il n’y a pas de citoyen sans cité, sans médiation politique il n’y a pas de démocratie, c’est-à-dire de débat et de conflit entre sujets collectifs. En somme, cette philosophie repropose l’idée qu’il y a des caractéristiques de la condition humaine qui peuvent être qualifiées d’attente juridique sans qu’il y ait besoin de médiation sociale, ce qui conduit à l’ancien modèle libéral contractualiste. Pour moi, les droits de l’homme représentent une sorte de neutralisation du politique sur la base de la juridictionnalisation des conflits qui conduit à l’affaiblissement des syndicats, des partis et des mouvements collectifs en général (ce qui est visible). Nous assistons donc à un affaiblissement de la politique en tant qu’action collective, ce qui, à son tour, ne peut que nuire aux tentatives de paix, tant au niveau mondial que dans les guerres qui se produisent progressivement.
Mais tout cela ne peut me faire oublier trois choses fondamentales : les droits de l’homme sont une liste, certes variable et historiquement fondée, mais il est bon qu’ils existent pour faire valoir les droits de ceux qui se trouvent à vivre sans liberté. Bref, il est bon qu’il y ait quelque chose à quoi l’on puisse faire appel et pour lequel on puisse demander de l’aide à d’autres êtres humains dans d’autres pays. Ici, pour en venir à la deuxième chose, l’idée d’un forum humain, d’une communauté à laquelle on peut faire appel au nom du destin commun de la planète, est un élément fondamental de la civilisation juridique et politique. Ainsi, finalement, sans ce sens de la civilisation juridique et politique, même le droit au sein des États ne peut que mourir, la souveraineté affirmée par le chef devenant le seul étalon de la politique et de la vision des choses dans son propre voisinage comme dans le monde.
En conclusion, nous savons que la planète se meurt et qu’il ne nous reste que quelques décennies pour tenter d’éviter la catastrophe. Pour cela, le mot d’ordre de nos gouvernements doit être la coopération et non la concurrence, le ralentissement et non la croissance, la bonne vie et non la lutte quotidienne pour émerger. Sans ces éléments de la civilisation juridique mondiale qui donnent le ton et le sens d’un monde ouvert en dialogue permanent, il n’y aura pas de lutte pour la transformation sociale et le salut de la Terre, et la guerre deviendra le seul élément de la politique.
Voilà l’image du monde qui vient et qui est déjà là : des êtres humains enchaînés, coupables d’essayer d’échapper à la sécheresse, à la famine climatique et aux guerres déclenchées à leur tour par ce seul élément de la politique.
P.S. : et en tout cas bienvenue aux débats de haut niveau entre partisans de l’universalisme juridique et critiques de la philosophie des droits de l’homme, comme il y a vingt trente ans à l’époque des guerres du Golfe et des guerres « humanitaires » ou « démocratiques ». Il n’en reste guère de traces, si bien que, face à la guerre en Ukraine, la gauche s’est trouvée démunie et impuissante face à l’OTAN et aux Etats-Unis d’une part, face à d’improbables dirigeants rouges-bruns d’autre part.
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Claudio Bazzocchi est un universitaire et un spécialiste de la philosophie politique, titulaire d’un doctorat en philosophies contemporaines et théories sociales. Ses recherches portent sur la philosophie politique, l’histoire des idées et l’éthique hégélienne. Il a publié de nombreux essais et ouvrages, dont « Reconnaissance, liberté et État “ (2012) et ” Hölderlin et la révolution » (2011). Il a également exploré des sujets tels que la reconnaissance mutuelle et l’importance de l’éthique dans la construction d’une société démocratique. Parmi ses ouvrages les plus pertinents, citons « La fondation tragique de la politique “ (2009) et " Liberté et destin » (2009). En outre, M. Bazzocchi possède une expérience significative dans le domaine de la coopération internationale, analysant la dynamique entre la guerre et l’aide humanitaire