Par Djamel Derraz
Si l’islamisme de « la barbe » semble avoir été mis en échec en Algérie, l’islamisme « du voile » se porte mieux, investit la société au-delà du vestimentaire et promet un renouveau du courant par le biais moins contrôlable de la femme, celle qui « élève » les enfants et incarne les nouvelles valeurs du conservatisme algérien.
Petite concession à l’époque de la quête de la « réconciliation » pour tous, les médias indépendants ou d’Etat ne parlent pas encore du voile de la femme algérienne comme d’un raz-de-marée. Le traumatisme de la décennie des années 1990 est encore vivace au point où la presse privée craint peut-être encore les procès d’intention, là où les médias publics tentent de vendre l’image d’une sorte d’islam officiel « réaménagé ». Et si on y ajoute le passif d’un retour au religieux mal réglé par une guerre civile sans vainqueurs, sauf le statu quo, l’explosion des chaînes thématiques du Moyen-Orient qui pénètrent les foyers algériens en profondeur et le démantèlement des valeurs fragiles de la société algérienne de l’après 1962, on pourra un peu s’expliquer pourquoi les Algériennes se voilent de plus en plus, de plus en plus jeunes et de manière de plus en plus radicale, ridicule ou sans appel.
Aujourd’hui, le « hidjab » est, plus que le barbe, le signe ostentatoire de la bonne santé de l’islamisme en Algérie. Dispersée et encore incertaine, l’Algérienne est aujourd’hui cliente des mille et un hidjab de l’islamisme montant : celui sexy du jean moulant assorti à un foulard strict, celui « iranisant » du tchador salafiste, à celui « banalisé » et bas de gamme des djellabas importées de Syrie ou du Maroc. Première victime de ce mécanisme de l’effacement de soi et de ses repères, dans l’univers des signes de la femme algérienne, le « haïk ». Ce « voile » qui a fait partie de l’histoire algérienne et de celle du Maghreb en général et que la montée des islamismes a relégué au rang du souvenir des époques des fois tièdes.
« Je ne vends pas plus d’un seul par jour et dans le meilleur des cas », confie un vieillard accroché à M’dina Jdida, à Oran, ce carrefour du commerce semi-formel. Pour cet homme qui revendique quelques décennies dans le « métier » de vendeur de haïk, la date de la mise à mort de ce filon est connue. « Dès 1992 », nous dira-t-il en lançant un regard vers le barbu qui, sur l’autre trottoir, lui fait face avec des djellabas, des babouches et des kamis « signés » Arabie saoudite. Il ne faut pas être politique pour comprendre le déclin d’un mode vestimentaire féminin, victime moins de la modernisation ratée que du retour des archaïsmes reliftés. « Aujourd’hui, il n’en reste rien. Ni du haïk, ni de ses petites fabriques. » A Oran par exemple, il en existait une dizaine il y a… une vingtaine d’année ! « Sans compter le fleuron achacahi à Tlemcen et qui a préféré fermer boutique. » Pire encore, « le haïk m’rama, celui que l’on achetait à 10 000 DA pièce en l’important de Tunisie, ne fait plus partie du trousseau de la nouvelle mariée ». Il en va de même « d’el k’sa », ce voile négligé des vieilles femmes qui a disparu lui aussi de la circulation face à des Djellabas incolores. Alors, que vend le vieillard d’Oran ? « Quelques pièces à certaines femmes. Les prix ? 600 à 1600 DA pour les meilleures pièces ». Les clientes sont celles d’une catégorie que l’on ne devine pas du premier abord : « el marioulettes ». Du français : mariole. Femmes légères, entremetteuses ou vendeuses de charmes dans certains milieux très fermés. Pas plus.
Face à cette industrie morte - « el haïk, c’est nous : il éclairait les rues des villes algériennes », nous répète le vieillard avec regrets - il y a l’explosion de l’industrie du hidjab. Il suffit de deux idées et de 100 DA pour assurer la « conversion ». Celle de milliers et de milliers de femmes algériennes, « capturées » par la tendance lourde du siècle et ses confortables démissions. Le hidjab étant un signe « ostentatoire » moins risqué politiquement que la barbe qui a mauvaise presse depuis deux décennies. Une femme voilée arrangeant tout le monde : le mari, le frère, le père ainsi que l’Etat. Du coup, la mode investit même les signes des classes sociales : entre le hidjab à 100 DA et celui, importée d’Inde, de Syrie, vendu jusqu’à 3 000 DA, il y a des moyens pour exprimer son rang, même dans le cadre égalitaire de la servitude face à Dieu. C’est dire que la barbe se cache désormais sous le voile !
Esprit bavard