L’Otan s’est réunie en sommet à Varsovie les 8 et 9 juillet 2016. On notera que c’est la première fois qu’un sommet de l’Otan se tient dans un pays de l’est européen. Ce choix est symbolique de l’orientation prioritaire que l’on entendait donner à une telle rencontre. Si l’agenda comportait les réactions à un arc d’insécurité et d’instabilité existant aujourd’hui, en particulier au Moyen-Orient, il se voulait centré tout particulièrement sur l’attitude à adopter vis-à-vis de la Russie, en réaffirmant une position commune.
Dès le début du sommet l’accent fut porté sur le relationnel avec la Russie et la nécessité d’établir une réelle dissuasion à son égard, laquelle serait garante de la sécurité collective en Europe. Les termes employés à ce sujet pouvaient rappeler les motivations qui avaient présidé à la création de l’Otan en 1949 vis-à-vis de l’Union Soviétique. Aujourd’hui c’est de la Russie qu’il s’agit. Est-ce la découverte d’une machine à remonter le temps ? On peut penser qu’en panne de raison d’être et de missions, l’Otan pour justifier son existence a besoin de faire valoir une menace, un ennemi désigné, en l’occurrence la Russie.
« Fermeté », « dialogue » furent préconisés à son égard. Lors du débat quelques pays tendaient à privilégier le dialogue, mais, sans occulter le dialogue une majorité optait pour la fermeté. En définitive le consensus s’est établi sur cette base. Ainsi le communiqué présenté par les chefs d’Etat et de gouvernement motive ce choix en ces termes « les actions agressives de la Russie, y compris son activité provocatrice à la périphérie du territoire de l’Otan, sa volonté avérée d’atteindre des objectifs politiques sous la menace de la force, présentent un défi fondamental pour l’Alliance ». Ainsi la Russie représente une menace stratégique par ce qu’elle réagit contre les avancées de l’Otan dans sa zone d’influence. De fait l’Alliance dissuade mais ne veut pas être dissuadée. C’est dans cet esprit que la Russie est considérée comme une menace existentielle, la fermeté s’imposerait donc et certain pays comme la Pologne pensent que l’Otan « se doit de montrer les dents ».
Le plus gros déploiement militaire aux frontières de la Russie
Décision a été prise de déployer quatre bataillons dans les Etats baltes et en Pologne. Ce renforcement va se traduire, notamment par l’envoi de 4 000 hommes (encadrés par quatre pays, les États-Unis, la Grande-Bretagne, l’Allemagne, le Canada), au plus près de la Russie. Le secrétaire général de l’Otan a déclaré « ces bataillons seront robustes et multinationaux (...) une attaque contre un allié sera ainsi considérée comme une attaque contre toute l’Alliance ». Ces troupes seront appuyées par la force « fer de lance », force de réaction très rapide, comptant 5 000 hommes et capable d’arriver sur place en quelques jours. Par ailleurs les Etats-Unis se proposent de déployer en 2017 une brigade blindée de 4 200 hommes, dont le quartier général sera situé en Pologne. Comme l’a déclaré le président Obama « la Pologne verra une présence accrue du personnel de l’Otan et des Etats-Unis, avec les équipements militaires les plus modernes ». Dans le sud de l’Europe, l’Otan entend s’occuper de plus en plus de la sécurité de la Roumanie et de la Bulgarie qui s’inquiètent du renforcement du dispositif militaire russe en mer noire. Elle prévoit d’envoyer une force destinée à rassurer ces pays, car à souligné un responsable américain, « nous percevons dans la zone de la Mer noire des signes d’intimidation ».
Bouclier antimissiles
Le bouclier antimissiles est un projet américain de longue date. Sous la pression des États-Unis, l’Otan a pris en 2010 la décision de déployer un tel système sur le territoire européen. Le sommet a donné le coup d’envoi. Ce système disposera dorénavant d’une capacité opérationnelle initiale. Les installations basées en Turquie, en Roumanie et en Espagne sont maintenant en mesure de fonctionner. Le quartier général sera situé à la base de Ramstein en Allemagne. Il reste que ce bouclier pose questions au sein de l’Alliance. Les Etats-Unis maîtrisent totalement le projet, ils ont déjà investi 200 milliards de dollars. Le poids étasunien est donc déterminant. Dans cet esprit des craintes se sont exprimées sur le coût d’une telle réalisation à laquelle tous les membres seraient amenés à contribuer, et sur la fiabilité réelle du projet sur le territoire européen, que des experts tendent à remettre en cause. Le commandement du bouclier sera-t-il américain, plaçant de facto la sécurité des Européens sous la dépendance directe des États-Unis ? La question peut se résumer ainsi, qui décidera de l’interception et qui prendra la décision de réagir ? Dans le débat le secrétaire général de l’Otan a précisé « que ces installations fonctionneront sous commandement de l’Otan et sous son contrôle ». Lorsqu’on connait le leadership exercé par les Etats-Unis au sein de l’Organisation on ne peut qu’être septique sur cette affirmation. Les réserves françaises ne sont pas levées, concernant l’autonomie de sa force nucléaire. En effet le bouclier, compte-tenu des délais opératoires suppose une réponse unique. Sauf à intégrer la force nucléaire française dans un partenariat avec les dispositifs américain et britannique on ne voit pas la solution. La France s’est cependant rangée à la volonté américaine de déclarer opérationnelle la première brique du bouclier antimissiles de l’Otan.
Les réactions russes
Le chef de la diplomatie russe Serguei Lavrov a déclaré « lorsqu’une organisation qui fait de vous un ennemi s’approche, il faut réagir ». Ainsi la Russie déploie hommes et matériels, y compris des systèmes de défense anti-aériens et des missiles à Kaliningrad, l’enclave russe aux confins de la Pologne et de la Lituanie. L’armée russe mène des investissements dans les armes de précision et des équipements de déni d’accès, tels ses S400 qui créent une « bulle » au dessus de la Syrie. Ce sont ces capacités duales (conventionnelles et nucléaires) qui sont présentées par l’Otan comme une « sanctuarisation agressive ». Mesures défensives agressives de part et d’autres sont placées au centre du débat. Par ailleurs depuis des années le projet de bouclier antimissiles constitue avec l’élargissement de l’Otan jusqu’aux frontières de la Russie une pomme de discorde entre l’Otan et Moscou. Ce dernier y voyant une rupture de l’équilibre stratégique et par conséquent une menace pour sa sécurité. C’est un redoutable problème stratégique, d’autant que le Pentagone prépare le lancement d’un programme de missiles de croisière nucléaires intercontinental. La Russie réagira. A ce rythme on s’achemine vers la reprise de la course aux armements nucléaires après 2021, date de l’expiration de l’unique accord de désarmement encore en vigueur (traité START) c’est à cette escalade que conduisent les décisions prises au sommet de l’Otan.
Coopérations Otan-UE renforcées
Jens Staltenberg a déclaré que le moment était venu de faire évoluer la relation entre l’Otan et l’Union européenne. En ce sens furent invités au sommet Donald Tusk et Jean-Claude Junker, respectivement président du Conseil européen, et de la Commission européenne. En marge du sommet ils ont rencontré Barack Obama, pour une réunion des dirigeants de l’Union européenne et des États-Unis. Ils ont signé une déclaration commune préconisant un renforcement de la coopération pratique dans certains domaines, telles que « le développement de capacités de défense cohérentes, complémentaires et interopérables ». Selon Jens Staltenberg « l’Otan et l’Union européenne ayant les mêmes intérêts stratégiques sont confrontées aux mêmes défis. Composées en grande partie des mêmes Etats (22 membres en commun), elles partagent les mêmes valeurs ». La démarche est claire, par le biais de l’Otan, les Etats-Unis font pression pour entrainer toujours davantage les Européens dans leur sillage afin d’adopter leur conception purement militaire de la sécurité européenne. Cette conception serait-elle la seule voie ? Une autre conception serait possible, plus réaliste, moins dangereuse, plus pacifiste, celle d’une sécurité paneuropéenne. Mais dans cet esprit l’Otan est un obstacle à lever pour permettre aux Européens d’acquérir une véritable autonomie stratégique. La France se grandirait à la faire valoir, en préconisant notamment la sortie de l’Otan, du moins pour elle-même. C’est une démarche à faire grandir dans l’opinion
Jacques Le Dauphin
Directeur de l’Institut de documentation et de recherche sur la paix.
Juillet 2016
Cette chronique est réalisée en partenariat rédactionnel avec la revue
Recherches internationales à laquelle collaborent de nombreux universitaires ou chercheurs et qui a pour champ d’analyse les grandes questions qui bouleversent le monde aujourd’hui, les enjeux de la mondialisation, les luttes de solidarité qui se nouent et apparaissent de plus en plus indissociables de ce qui se passe dans chaque pays.
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