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Robert Chaudenson. Putain ! Trois ans ! (mai 2012-mai 2015).

Un homme qui élabore mentalement ses articles de blog, le matin, en promenant son chien, ne peut pas être totalement mauvais. C’est le cas de Robert Chaudenson, linguiste de renommée internationale, qui a la courtoisie de ne pas trop nous éclabousser de sa science mais, en revanche, de nous faire profiter de son immense culture.

Je déguste tous les matins son blog Mediapart en me demandant comment il fait pour nous apporter une réelle substance, en se renouvelant, à chaque fois qu’il s’installe devant son clavier.

Agrégé de lettres, docteur d’Etat, Chaudenson s’est spécialisé dans le créole, langue de contact, langue de synthèse, surgeon d’autres langues. Bien souvent langue des dominés. Et, justement, lorsqu’il rassemble, pour l’écrit, 150 de ses textes, il nous donne à voir l’image d’un homme à l’écoute – pour qu’un créole existe il faut bien partir de l’écoute d’une autre langue – et d’un homme qui, sans être dominé, ne se place jamais du côté du manche. Sur le site de L’Obs, Robert Chaudenson signe ses interventions du pseudonyme Usbek, le philosophe persan de Montesquieu, le penseur au regard « étranger », l’un des fondateurs du relativisme culturel, une démarche qui pose que l’individu, dans ses actes, dans ses croyances, est déterminé en priorité par sa culture. Raison pour laquelle Chaudenson se cantonne, brillamment, à la surface des choses et – on le regrette parfois – se maintient toujours au bord d’une explication supérieure qui nous donnerait une vision réellement globale du monde. Ecoutons-le, par exemple, railler Jacques Delors, « ce syndicaliste de gauche farouche » qui envoie sa fille Martine au « Collège privé Notre-Dames-des-oiseaux ». C’est là que le bât comportemental blesse. Delors n’a jamais été farouchement de gauche. Il a milité au début des années cinquante dans un syndicat de droite avant de chercher sa voie dans une expression plus progressiste. Il est donc au centre d’énormes contradictions qui le dépassent, d’autant qu’il envoie sa fille – à moins qu’elle ne s’envoie toute seule, ce qui est à mes oreilles encore plus parlant – en sciences économiques à la fac d’Assas dominée par l’extrême droite. Mais, comme on dit à La Réunion, île qui est si chère à notre blogueur, « Foutan i angress pa koshon  » : la critique est facile, l’art est difficile (les paroles ironiques n’engraissent pas les cochons).

Alors, ne boudons pas notre plaisir et lisons cet homme dont l’attitude (la posture comme on dit désormais) me fait un peu penser à celle de Dickens, vu par Orwell qui se regardait lui-même : un moraliste qui avance que si les hommes étaient « décents » le monde serait « décent », un observateur qui rejette les « petites orthodoxies nauséabondes », un écorché qui souffre d’une « colère généreuse », un auteur à la recherche du « détail superflu » mais ô combien parlant, qui voudrait que les personnes d’en haut ou d’en bas soient « finies et parfaites », un essayiste qui aurait sûrement souhaité retourner d’URSS avec un livre semblable à celui d’André Gide.

On l’a compris, Chaudenson n’est pas franchement de gauche (dix exemples de fraude sociale commis par des salariés contre un exemple de fraude patronale). Et pourtant, il offre des analyses qui frôlent le marxisme. Tout ce qu’il écrit sur la condition des immigrés en France, qu’ils soient de la première, deuxième ou troisième génération, leur exploitation par ce qu’il dénomme après d’autres « le Grand Capital » (l’expression lui écorche la bouche mais il l’utilise à maintes reprises parce qu’il n’y en a pas vraiment de meilleure) relève d’une analyse “ classiste ”. On lira également dans la même veine les propos toniques sur les carrières post-syndicales des hauts responsables de la CFDT.

Universitaire sa vie durant, Chaudenson produit des textes très pertinents sur la loi LRU, sur les pouvoirs exorbitants de présidents d’université (« à vendre ») que Pécresse puis Fioraso ont alléchés par de vulgaires mais très substantielles pépettes (les primes dans la Fonction publique font sourire les bénéficiaires de parachutes dorés dans le privé mais elles sont un scandale en soi, une insulte à la démocratie). Il faut écouter le linguiste Chaudenson déconstruire les illusions “ francophonistes ” de notre cher et vieux pays (son analyse sur « email, mail ou courriel » est un modèle du genre). Il faut également suivre ce consommateur dans les dédales où se perdent les canassons roumains transformés en viande innommable et innommée.

Les articles de Chaudenson sur la traite des Noirs sont remarquables. Il s’appuie sur les très bons auteurs, Serge Daget, par exemple, et il pose les bonnes questions, par delà l’approche politiquement correcte de la repentance. Il ne craint pas de poser la question qui tue : le rôle « considérable » joué par les Africains eux-mêmes dans la traite des esclaves avant même les débuts de la colonisation, qui n’a pas arrangé les choses, on le sait. Si, en 1999, l’ancien président du Bénin en visite à Baltimore est tombé à genoux en implorant le pardon des Afro-Américains pour le rôle que les Africains avaient joué dans la traite, ce ne fut pas simplement pour faire joli sur la photo. Spécialiste chevronné de l’étude des textes, Chaudenson nous propose une longue critique d’un texte de loi dont tout le monde rira dans vingt ans, rédigée par Christiane Taubira en 2001, sur le « crime contre l’humanité » commis par la République française, texte qui comporte cinq postulats aberrants en cinq lignes.

Mais là où Robert Chaudenson est au sommet de son art, c’est quand il s’en prend à la figure – dérangeante au point d’en devenir malsaine – de Jacques Vergès. Auteur de l’indispensable Vergès père, frères & fils : une saga réunionnaise, notre blogueur ne part pas sans biscuits pour narrer, en commençant par l’intra-utérin de ce descendant de marchand d’esclaves, la vie d’un homme que l’on peut définir par un seul mot : le mensonge. Mensonge dans sa vie politique, mensonge dans sa vie privée, à commencer par le mystère de sa naissance. Les deux sont en coalescence. Concernant ce bifron, je m’en tiendrai à une seule question posée par Chaudenson à propos de la disparition de huit années de ce proche de François Génoud, d’Eyadéma, de Tshombé : « Jacques Vergès a toujours refusé de dire où il était allé pour détourner l’attention de la seule vraie question qui tient, non pas au lieu où il était réfugié mais aux raisons réelles de cette disparition qui en indiqueraient naturellement les causes, probablement peu avouables. » A propos de ce lieu, Chaudenson émet une hypothèse assez inattendue que je vous laisse le soin de découvrir.

Et puis, parmi mille autres points toujours intéressants, vous vous remettrez en mémoire les sinuosités grotesques et glaçantes de la carrière de Dieudonné M’bala M’bala et vous réfléchirez avec l’auteur à une question qui, mine de rien, n’est pas sans importance : pourquoi dans les sphères intellectuelles et politiques le mot “ genre ” (théorie du “ genre ”) a-t-il remplacé le mot “ sexe ” ?

Je souhaite une longue vie au chien de Robert Chaudenson.

Paris : Les Impliqués Editeur, 2015.

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