Ce très grand universitaire britannique vient de mourir à l’âge de 96 ans. Il fonda, dans les années cinquante, les cultural studies, en compagnie de Raymond Williams et Stuart Hall.
Il était né en 1918 dans un quartier ouvrier de la ville industrielle de Leeds. Un jour, par facétie, je lui posai la question suivante :
— Il me semble que votre patronyme signifie quelque chose de franchement populaire.
— Bien vu, Bernard, me répondit-il. Il signifie en effet « gardien de cochons ». Le peintre William Hogarth portait à l’origine le même nom que moi.
Hoggart perdit sa mère alors qu’il n’avait que huit ans. Il fut élevé par une de ses grands-mères dans une maison minuscule. Sa tante Ethel repéra ses capacités intellectuelles et l’encouragea à tenter le lycée. Il put poursuivre ses études grâce à diverses bourses. À l’époque, un enfant sur 200 seulement en bénéficiait.
En 1939, il obtient une licence en littérature anglaise à l’université de Leeds. Il fait la guerre dans l’artillerie, puis, de 1946 à 1959, enseigne la littérature anglaise dans des cours pour adultes à l’université de Hull.
Il publie en 1957 ce qui allait devenir l’un des livres les plus importants du XXe siècle : The Uses of Literacy (publié en France en 1970 sous le titre La Culture du pauvre). Dans cet ouvrage nourri de sa propre vie, il analysait, de l’intérieur, la culture populaire anglaise, ses modes de fonctionnement, son discours, ses résistances face à la culture bourgeoise et aristocratique. Il avait voulu saisir cette culture au moment précis où la classe ouvrière accédait aux médias de masse (en en devenant peu ou prou prisonnière) et où elle s’américanisait. Cet ouvrage, à la fois érudit, touchant et profondément honnête, était celui d’un très grand moraliste, ce que crurent lui reprocher certains sociologues pur sucre.
Hoggart enseigna ensuite, comme maître-assistant, la littérature anglaise à l’université de Leceister (de 1959 à 1962). Il fut ensuite nommé professeur à l’université de Birmingham où il exerça de 1962 à 1973 (pas question, à l’époque, qu’un fils de prolo – il ne connut quasiment pas son père mort de brucellose – soit recruté à « Oxbridge »). Il y fonda en 1964 le Centre d’études des cultures contemporaines. Il fut ensuite directeur adjoint de l’UNESCO de 1971 à 1975. En 1976, il fut nommé directeur du Goldsmith College de l’université de Londres où il acheva sa carrière universitaire en 1984.
Il fut, avec E.M. Forster, l’un des témoins principaux du « procès du siècle » (pour les Britanniques) qui opposa la justice aux éditions Penguin lorsqu’elles publièrent L’amant de Lady Chatterley. Face à un procureur qui osait affirmer qu’il ne permettrait pas à sa femme ou à sa bonne de lire un tel livre, Hoggart démontra de magistrale manière que, malgré l’usage répété du verbe fuck et malgré une ou deux scènes de sodomie, la valeur artistique du livre était considérable. Il expliqua par ailleurs, ce qui en surprit plus d’un, pourquoi D.H. Lawrence était en fait un … puritain. Penguin eut gain de cause (j’ai relaté cet épisode insensé de l’histoire de la justice britannique dans mon livre Censure et libertés au Royaume-Uni).
Son humour était aussi chaleureux que cinglant. Sa compagnie était une merveille.
Il eut la grande gentillesse de préfacer mon livre sur Orwell et d’y écrire deux ou trois choses que je ne méritais pas.
Richard Hoggart a beaucoup compté pour moi.