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Remarques du ministre des Affaires étrangères Sergey Lavrov à la 30e assemblée du Conseil de la politique étrangère et de la défense

Moscou, le 14 mai 2022

M. Lukyanov,

M. Karaganov,

Chers collègues,

Je suis heureux d’être à nouveau ici, à l’occasion de cette assemblée anniversaire. La dernière fois, nous nous sommes réunis dans cette salle le 2 octobre 2021. Mais j’ai l’impression que c’était à une époque historique totalement différente.

Je tiens à vous féliciter pour le 30e anniversaire du Conseil de la politique étrangère et de défense. Ses activités sont un bel exemple de l’implication des experts russes dans le processus de politique étrangère. Dès le début, le Conseil a rassemblé des professionnels, notamment des politiciens, des fonctionnaires, des journalistes, des universitaires et des entrepreneurs. Tout au long de ces années, cela a permis de combiner de manière efficace et enrichissante une expérience pratique et une connaissance irréprochable du sujet. C’est là que réside la clé de la compréhension des processus internationaux les plus complexes, en particulier dans des phases comme celle que nous vivons actuellement. Les conseils, les documents d’analyse et les débats (parfois passionnés et contradictoires) nous sont d’une grande utilité. Nous les prenons invariablement en considération dans nos activités de politique étrangère.

C’est un cliché de dire que cette réunion se déroule à un tournant historique. Je suis d’accord avec les experts (M. Karaganov et M. Lukyanov ont beaucoup écrit à ce sujet), qui disent que nous devons à nouveau choisir une voie historique, comme nous l’avons fait en 1917 et en 1991.

Les circonstances extérieures n’ont pas seulement changé radicalement ; elles changent chaque jour plus profondément et plus largement (sans pour autant s’élever davantage, malheureusement). Et notre pays change en même temps qu’elles. Il tire ses conclusions. Le choix que nous avons fait est facilité par le fait que l’"Occident collectif" a déclaré une guerre hybride totale contre nous. Il est difficile de prévoir combien de temps cela va durer. Mais il est clair que ses conséquences seront ressenties par tous sans exception.

Nous avons fait tout ce qui était en notre pouvoir pour éviter un conflit direct. Mais ils ont lancé un défi et nous l’avons accepté. Nous sommes habitués aux sanctions. Cela fait longtemps que nous vivons sous l’une ou l’autre forme de sanctions. Ce qui est surprenant, c’est la montée d’une russophobie forcenée dans presque tous les pays "civilisés". Ils ont jeté aux orties le politiquement correct, les convenances, les règles et les normes juridiques. Ils utilisent la « cancel culture » [culture de l’annulation] contre tout ce qui est russe. Toutes les actions hostiles contre notre pays sont autorisées, y compris le vol. Les personnalités culturelles, les artistes, les athlètes, les universitaires, les hommes d’affaires et les citoyens ordinaires russes sont exposés au harcèlement.

Cette campagne n’a pas épargné les diplomates russes. Ils doivent souvent travailler dans des conditions extrêmes, parfois au péril de leur santé ou de leur vie. Nous n’avons pas souvenir que l’expulsion massive et synchronisée actuelle de diplomates se soit produite, même dans les années les plus sombres de la guerre froide. Cela détruit l’atmosphère générale des relations avec l’Occident. D’un autre côté, cela libère de l’énergie et des ressources humaines pour le travail dans les domaines auxquels le développement futur de notre pays devrait être associé.

Conformément aux exigences de l’époque, nous nous acquittons de nos devoirs professionnels consciencieusement et dans toute la mesure du possible. Il n’y a pas de traîtres parmi nos diplomates, bien que de telles tentatives aient été faites depuis l’étranger et à l’intérieur du pays. Nous faisons de notre mieux pour défendre les droits et les intérêts des citoyens russes à l’étranger. Lorsque l’Occident a réagi de manière hystérique au début de notre opération militaire spéciale et que tous les vols ont été annulés, nous avons immédiatement aidé les Russes qui se trouvaient à l’étranger à ce moment-là à rentrer chez eux. Les services consulaires de routine aux Russes (qui ont toujours été nombreux) sont fournis comme toujours. Il est clair que la situation exige que le service diplomatique travaille dans un régime spécial. Cela est exigé par les nouvelles tâches fixées par les dirigeants du pays pour protéger les intérêts nationaux.

Il ne s’agit pas seulement et pas tellement de l’Ukraine, qui est utilisée comme un instrument pour contenir le développement pacifique de la Fédération de Russie dans le cadre de leur cours pour perpétuer un ordre mondial unipolaire.

Les Américains ont commencé à préparer la crise actuelle il y a longtemps, juste après la fin de la guerre froide, ayant décidé que la voie de l’hégémonie mondiale était alors ouverte. L’expansion de l’OTAN vers l’est a été l’un des éléments clés de cette voie. Nous nous sommes efforcés de les convaincre de ne pas le faire. Nous avons montré où et pourquoi nos lignes rouges sont tracées. Nous nous sommes montrés flexibles, prêts à faire des concessions et à chercher des compromis. Tout cela s’est avéré futile. Le président Vladimir Poutine nous l’a rappelé une fois de plus dans son discours du 9 mai sur la Place Rouge.

Aujourd’hui, les pays occidentaux sont prêts à s’opposer à la Russie, comme ils le disent maintenant, "jusqu’au dernier ukrainien". À première vue, c’est une position très commode, surtout pour les États-Unis, qui gèrent ces processus depuis l’autre côté de l’océan. Dans le même temps, ils affaiblissent l’Europe en libérant ses marchés pour ses marchandises, ses technologies et ses produits technico-militaires.

En fait, la situation comporte de nombreuses strates. La Russie, les États-Unis, la Chine et tous les autres se rendent compte que c’est aujourd’hui que se décide si l’ordre mondial deviendra équitable, démocratique et polycentrique, ou si ce petit groupe de pays pourra imposer à la communauté internationale une division néocoloniale du monde entre ceux qui se considèrent comme "exceptionnels" et les autres - ceux qui sont destinés à se plier aux exigences de quelques élus.

Tel est l’objectif du concept d’"ordre fondé sur des règles" qu’ils cherchent à mettre en circulation depuis des années. Personne n’a vu, ni discuté, ni approuvé ces "règles", mais elles sont imposées à la communauté internationale. À titre d’exemple, permettez-moi de citer une récente déclaration de la secrétaire américaine au Trésor, Janet Yellen, qui a appelé à un nouveau cadre de Bretton Woods et a déclaré que les États-Unis pratiqueraient "la délocalisation amicale des chaînes d’approvisionnement vers un grand nombre de pays de confiance" qui partagent "un ensemble de normes et de valeurs [libérales] sur la manière de fonctionner dans l’économie mondiale". L’allusion est absolument claire : les dollars américains et les "avantages" du système financier international sont réservés à ceux qui suivent ces "règles" américaines." Les dissidents seront punis. Il est clair que la Russie n’est pas la seule cible, d’autant plus que nous nous défendrons. L’attaque vise tous ceux qui sont capables de mener une politique indépendante. Prenez, par exemple, la stratégie indo-pacifique de Washington, qui est dirigée contre la Chine. Parallèlement, elle cherche à arrimer l’Inde de manière ferme et fiable aux États-Unis et à l’OTAN. Dans l’esprit de la doctrine Monroe, les États-Unis veulent dicter des normes à l’Amérique latine. La question qui se pose inévitablement est de savoir si les Américains sont réellement capables de suivre le principe clé de la Charte des Nations unies, qui stipule que "L’Organisation est fondée sur le principe de l’égalité souveraine de tous ses membres."

L’"ordre fondé sur des règles" n’envisage ni la démocratie, ni le pluralisme, même au sein de "l’Occident collectif". L’exemple le plus frappant est le renouveau de la discipline rigoureuse des blocs et la soumission inconditionnelle des "alliés" au diktat de Washington. Les Américains ne feront pas semblant avec leurs "partenaires juniors". L’UE perdra finalement tout attribut d’indépendance et se joindra docilement aux plans anglo-saxons d’affirmation de l’ordre mondial unipolaire, tout en sacrifiant la qualité de vie et les intérêts clés des Européens pour complaire aux États-Unis. Il suffit de se rappeler comment Victoria Nuland a défini la place de l’UE dans les plans de Washington pour reformater l’Ukraine dans sa conversation avec l’ambassadeur américain à Kiev en décembre 2013, au plus fort des émeutes de Maidan. Sa prédiction s’est réalisée dans son intégralité. En matière de sécurité, l’UE se fond également dans l’OTAN, qui, à son tour, revendique de plus en plus fort ses ambitions mondiales. Quelle alliance défensive ? On nous dit et on nous assure encore aujourd’hui que l’expansion de l’OTAN est un processus défensif et ne menace personne. La ligne de défense de la guerre froide longeait le mur de Berlin - réel et imaginaire - entre les deux blocs militaires. Depuis lors, elle a été déplacée cinq fois vers l’est. Aujourd’hui, le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, la ministre britannique des Affaires étrangères, Liz Truss, et d’autres nous disent que l’OTAN a la responsabilité mondiale de résoudre les problèmes de sécurité, principalement dans la région indo-pacifique. Si je comprends bien, la prochaine ligne de défense sera déplacée vers la mer de Chine méridionale.

On insinue que l’OTAN, en tant qu’avant-garde de la communauté des démocraties, devrait remplacer l’ONU en matière de politique internationale, ou du moins placer les affaires mondiales sous son emprise. Le G7 devrait intervenir pour gérer l’économie mondiale et, de temps à autre, inviter avec bienveillance les figurants dont l’Occident a besoin à tel ou tel moment.

Les politiciens occidentaux devraient accepter le fait que leurs efforts pour isoler notre pays sont voués à l’échec. De nombreux experts l’ont déjà reconnu, même si c’est à voix basse et en catimini, car le dire ouvertement est "politiquement incorrect". Mais c’est ce qui se passe en ce moment même. Le monde non-occidental se rend compte que le monde devient de plus en plus diversifié. On ne peut pas échapper à ce fait. De plus en plus de pays veulent avoir une réelle liberté de choisir leurs modes de développement et les projets d’intégration auxquels ils souhaitent se joindre. Un nombre croissant de pays d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine refusent d’abandonner leurs intérêts nationaux et de payer les pots cassés pour les anciens pays colonisateurs. Une majorité écrasante de nos partenaires, qui ont ressenti les effets du colonialisme et du racisme occidentaux, ne se sont pas joints aux sanctions anti-russes. L’Occident, que le président Poutine a qualifié d’"empire du mensonge", n’est plus considéré depuis longtemps comme un idéal de démocratie, de liberté et de bien-être. En pillant les biens matériels d’autres pays, les pays occidentaux ont détruit leur réputation de partenaires fiables qui respectent leurs engagements. Personne n’est à l’abri de l’expropriation et de la "piraterie d’État" désormais. C’est pourquoi, non seulement la Russie mais aussi de nombreux autres pays réduisent leur dépendance à l’égard du dollar américain et des technologies et marchés occidentaux. Je suis sûr qu’une démonopolisation progressive de l’économie mondiale n’est pas un avenir lointain.

Nous avons pris note de l’article de Fyodor Lukyanov publié dans le journal Kommersant (le 29 avril 2022), dans lequel il écrit, à juste titre, que l’Occident ne nous écoutera pas et n’entendra pas ce que nous avons à dire. C’était une réalité il y a longtemps, avant l’opération militaire spéciale, et une "réorientation radicale des ressources de l’Ouest vers d’autres fronts est une nécessité naturelle." Je voudrais vous rappeler que Sergey Karaganov promeut systématiquement cette philosophie depuis de nombreuses années. Il est parfaitement clair pour tout le monde que le processus a commencé, non pas par caprice - nous avons toujours été ouverts à un dialogue égalitaire - mais en raison du comportement inacceptable et arrogant de nos voisins occidentaux, qui ont suivi l’incitation de Washington à "annuler la Russie" dans les affaires internationales.

Le resserrement des liens avec des forces partageant les mêmes idées en dehors de ce que l’on appelait autrefois le "milliard d’or" [Le milliard d’or est un terme, dans le monde russophone, qui fait référence aux personnes relativement riches des pays industrialisés ou de l’Occident - Wikipedia - NdT] est un processus absolument inévitable et mutuellement bénéfique. Les relations entre la Russie et la Chine n’ont jamais été aussi bonnes. Nous renforçons également nos partenariats stratégiques privilégiés avec l’Inde, l’Algérie et l’Égypte. Nous avons porté nos relations avec les pays du golfe Persique à un tout autre niveau. Il en va de même pour nos relations avec l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est, ainsi qu’avec d’autres pays de la région Asie-Pacifique, du Moyen-Orient, d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine.

Nous sommes pleinement conscients du fait que c’est à ce moment, qui se prête parfaitement à être appelé un tournant, que sera déterminée la place de la Russie et de tous les autres pays et forces dans la future architecture internationale.

Nous pensons que l’objectif de la diplomatie russe est, d’une part, d’agir avec une grande détermination pour repousser toutes les attaques adverses contre nous et, d’autre part, de renforcer constamment, calmement et patiemment nos positions afin de faciliter le développement durable de la Russie de l’intérieur et d’améliorer la qualité de vie de son peuple. Il y a beaucoup à faire, comme d’habitude. Nous avons toujours un ordre du jour chargé, mais dans le contexte actuel, nous sommes témoins d’un sérieux changement d’état d’esprit chez nombre de nos camarades dans toutes les sphères de la vie en Russie. C’est pourquoi les réunions du Conseil de la politique étrangère et de la défense sont particulièrement utiles, car elles contribuent à nourrir les idées qui font leur chemin dans la politique étrangère de la Russie.

Source : https://mid.ru/en/foreign_policy/news/1813377/?lang=en

Traduction "pour servir votre droit de savoir" par Viktor Dedaj avec probablement toutes les fautes et coquilles habituelles

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