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Récit d’une garde-à -vue indigne d’un Etat de droit

J’ai fait l’objet d’une garde-à -vue à la suite d’un test d’alcoolémie au volant il y a quelque temps. Je vous contacte pour diffuser et médiatiser une expérience que vivent de plus en plus de personnes chaque année. Car le légitime combat pour faire diminuer le nombre de morts sur les routes ne justifie pas tous les comportements. Je ne suis qu’un humble citoyen. Je ne suis encarté dans aucune association ni aucun parti. Je m’inquiète simplement de la dérive de notre société vers un Etat policier. Je crois que vous trouverez dans l’actualité récente un écho significatif à ce récit.

Vous trouverez ci-dessous et ci-joint l’histoire de cette nuit de garde-à -vue.

Merci d’avance,

Monsieur tout le monde

PS : pour toute précision, vous pouvez me joindre via ce mail toutlemondeypasse@gmail.com

La route de la garde-à -vue

Récit d’une garde-à -vue indigne d’un Etat de droit

Le récit qui suit est un compte-rendu précis d’une histoire qui m’est arrivée. En dehors des faits reprochés, certains détails ont été modifiés pour éviter toute poursuite ultérieure à l’encontre de ma personne. Le récit est certes un peu long mais je le recommande vivement à tout citoyen qui souhaite se renseigner sur une procédure devenue au fil des ans très commune : la garde-à -vue. Depuis 2000, le nombre de GAV a plus que doublé. Et l’année dernière, 577 816 personnes y sont passées.

Avant d’entrer dans le vif du sujet, je tiens à préciser que j’accepte parfaitement les sanctions de la justice en ce qui concerne les délits routiers. Tant qu’elles restent proportionnées, en particulier pour quelqu’un dont c’est la première infraction au code de la route et qui n’est pas connu des services de police. 6 points en moins, une lourde amende, immobilisation du véhicule, d’accord. Une suspension de permis qui me fait perdre mon travail pour 0,3 gramme d’alcool par litre de sang au dessus de la norme et une garde-à -vue injustifiée : NON.

La bière de trop, tout le monde connaît. On revoit des amis, on se laisse aller. Et on est tenté par une dernière, pour la route. L’ivresse au volant est certes un mal à combattre. Mais la course contre la mort justifie-t-elle tous les moyens et tous les comportements ? Sous couvert de faire diminuer le nombre de morts sur les routes françaises, tout est-il possible au mépris de la loi et de la dignité des personnes ?

Un soir en région parisienne, je me dirige vers mon « home sweet home » avec ma compagne. Il est presque 4 heures du matin. Avec quatre bières en quatre heures, loin de moi l’idée d’avoir dépassé la fatidique limite de 0,5 gramme d’alcool par litre de sang. Là , 15 à 20 policiers attendent tranquillement. Deux fourgons et deux voitures sont mobilisés pour une opération d’envergure. Et le zèle des policiers ne va pas tarder à se faire jour.

Fébrilement, je souffle dans l’alcootest. Peut-être suis-je à 0,52 ou 0,55 qui sait. Le doute s’installe et le voyant rouge s’allume. « Veuillez coupez le contact, me donnez les papiers du véhicule et nous suivre ». Premier éthylotest positif à 0,43 mg par litre d’air expiré, soit 0,86 gramme d’alcool par litre de sang. Un deuxième test confirme le premier : 0,44 mg/L. « Peut être est-ce dû à la marge d’erreur ? » me hasarde-je. Aucun test sanguin ne sera fait pour confirmer le taux. Pour seule réponse : « Vous êtes en phase ascendante. On va devoir vous embarquer ». En dessous de 0,40, je m’en serais tiré avec une simple amende et un retrait provisoire de permis - m’apprend-t-on. Pourtant, nulle loi n’implique cette pratique. Voir à ce propos l’article de Bakchich : http://www.bakchich.info/Alcool-au-volant-la-plupart-des,06573.html.

Le véhicule est « immobilisé ». Comprendre qu’un agent des forces de l’ordre gare la voiture où il le souhaite sans que je puisse l’apercevoir. Et si elle est mal garée, la fourrière menace ? Heureusement pour moi, la personne qui s’en occupe la gare sur une place de livraison avec une étiquette mentionnant « véhicule immobilisé ». Le problème : je ne l’ai appris qu’une journée plus tard.

Le même sort qu’un dealer ou qu’un cambrioleur

Très rapidement, je me retrouve dans une voiture de police pour être conduit au poste. Ma conjointe qui assiste à la scène est plantée au beau milieu du trottoir sans qu’on lui ait laissé le temps de me parler, sans qu’on lui indique la suite des événements pour moi - ou pour elle. Après quelques rapides questions à un policier, elle explique qu’elle ne peut pas se rendre à pied jusqu’à son domicile qui est situé à environ 20 km de là . Et elle ne peut pas se permettre financièrement de faire appel à un taxi. Les transports sont fermés. Pourtant, nul ne s’inquiètera de son sort. Inutile de rappeler combien il est dangereux pour une femme de rester seule dans la rue en pleine nuit.

Dans la voiture, aucune information précise sur ce qui m’attend. Mais avant cela, un test au coton-tige présenté comme un dépistage pour les stupéfiants. Précision : la loi n° 2003-87 du 3 février 2003 (http://www.legifrance.gouv.fr/html/actualite/actualite_legislative/decrets_application/2003-87.htm) indique que dans ce cas précis les officiers de police peuvent procéder à ce test mais n’en sont pas dans l’obligation. D’ailleurs, les drogues ne se détectent précisément que dans l’urine, le sang et éventuellement par les cheveux. Encore une fois, une procédure laissée initialement à l’appréciation des policiers est rendue systématique. Je n’ai cependant aucune raison de ne pas m’y soumettre. Le test est évidemment négatif : je ne consomme aucun stupéfiant.

Je demande à l’un des agents ce que je risque. Je lui explique que c’est ma première infraction et que je dispose de mes 12 points. Aucune importance à ses yeux. 6 points, amende, suspension de permis. Mais ce qui choque c’est le traitement que l’on me réserve, le même que celui d’un cambrioleur, d’un dealer, de n’importe quel délinquant récidiviste.

Détail « amusant » au passage qui en dit long sur la politique du chiffre. Une fois dans la voiture, l’un des policiers balance : « on en attend encore un autre et on y va ». La durée de l’opération ne se mesure pas en heures. Elle est conditionnée par le nombre de personnes arrêtées.

C’est surtout en dégrisement que le système policier dérape. Après avoir retiré toutes les affaires de mes poches et effectué un rapide inventaire, me voilà en cellule. Une pièce lugubre d’environ trois mètres sur trois avec des tâches suspectes sur le sol. Une banquette étroite fait office de lit pour deux personnes, tandis que des toilettes à la turque agrémentent l’autre partie de la cellule. Avec mon « co-dégrisé », on se partage à tour de rôle le « lit » car impossible de dormir à deux en même temps. Premier détail gênant : j’ai pu garder mes lacets sur mes chaussures. Impensable. Heureusement que je n’ai pas de tendances suicidaires. Passons. Pas de montre, rien n’indique l’heure puisqu’il n’y a aucune fenêtre sur l’air extérieur. La fameuse rupture spatio-temporelle pour épuiser les esprits.

On me parle vaguement de 6 heures de dégrisement. Pourtant, cette mesure n’est pas justifiée. Je ne suis pas sobre mais pas saoul non plus. Je peux parfaitement répondre aux questions qu’on ne me posera pas pour le moment. Ensuite, on passe au « signalement ». Dans un ordre arbitraire, qui n’a aucun rapport avec l’heure d’arrivée des joyeux participants de cette fête entre quatre murs. En fait si, l’ordre a un sens. On réveille systématiquement ceux qui commencent à fermer l’oeil. Moi je ne trouve pas le sommeil. Et, bien qu’arrivé dans les premiers, je ne passe qu’en dernier. Le signalement, c’est l’une des premières humiliations qui n’a rien d’obligatoire dans mon cas. Prise d’empreintes, photos à la « Dalton ». Suis-je un criminel en cavale qu’on a peur de perdre ? Je me plie à l’exercice avec un certain étonnement et admire en même temps le matériel High-tech payé généreusement par les contribuables.

Faire valoir ses droits est irrespectueux

L’attente continue, ponctuée de temps à autre par la valse des dégrisés. Après avoir joué le jeu pendant près de 4 heures, je m’impatiente et décide de faire valoir mes droits. « Je demande un avocat, un appel à un membre de ma famille et un médecin ». Au départ, on me rit au nez sans me répondre. Avec insistance, je reviens à la charge. « Non, ca ne marche pas en dégrisement ça, juste en garde à vue » m’explique-t-on avec dédain. Je reprends avec sérieux : « Pouvez vous me donnez l’article de loi qui précise ce que vous me dites ? ». Nouvel éclat de rires. J’insiste à plusieurs reprises dès qu’un « surveillant » passe. Finalement, on me rétorque sèchement : « On n’a pas à connaître l’article de loi, on a l’habitude de le faire ». Edifiant. Effectivement, lorsque vous êtes en dégrisement, vous n’avez plus aucun droit. Mais cet exemple est un symbole. Le symbole d’une pratique qui se substitue à la loi. Le symbole de personnes qui s’occupent d’ivresse au volant toute la journée mais qui ne connaissent absolument pas les articles de loi. Inquiétant.

Les 6 heures de dégrisement écoulées, je demande à ce qu’on me précise si je suis toujours en dégrisement ou bien en garde à vue. J’aurai alors la possibilité de faire valoir mes droits. Malheureusement « on n’en sait rien pour l’instant ». Je redemande alors à voir un médecin et un avocat. Je sens que j’agace. Pas de réponse. Après 8 heures de privation totale de liberté, on me reçoit enfin pour m’auditionner. On me précise que je suis en garde à vue à partir de cet instant sans me dire pour quels motifs. Pour 24 heures renouvelable une fois. Et les deux heures de battement entre le dégrisement et la GAV, c’était quoi ? Tout se passe plutôt bien ensuite jusqu’à ce qu’on me notifie mes droits de faire appel à un avocat, à un médecin et de donner un « coup de fil à un ami ». Je réponds que cela dépend de la longueur de la GAV qui me reste à faire avant qu’un juge soit appelé à décider de mon sort. « Dans environ deux heures ». Je prends alors le package. Changement de ton. On interrompt sans raison les notifications. Alors que les trois quarts des procès verbaux sont déjà faits. Finir aurait pris une à deux minutes seulement. Non, il semble que ma visite chez un médecin soit devenue d’une extrême urgence. Je vais pourtant attendre près de 30 minutes avant qu’on m’emmène à l’hôpital.

C’est une chose à retenir. Tant que l’ensemble des procès verbaux n’est pas fait, l’officier de police judiciaire n’appelle pas de juge pour qu’il statue sur le cas d’un dégrisé. Or, aller aux urgences prend énormément de temps - et l’officier de police judiciaire le sait très bien. Si on avait fini les procès verbaux et envoyé une requête au juge, j’aurais pu sereinement me rendre chez un médecin et voir un avocat avant que le juge ne donne sa réponse. Non. Faire valoir ses droits est irrespectueux chez les zélés policiers. C’est même ressenti comme une provocation. Alors, on stoppe l’entretien. On le reprendra plus tard, bien plus tard : trois heures après. Entretemps, j’ai pu « joindre » quelqu’un. Autre surprise, je ne peux parler directement à la personne : un policier fait l’intermédiaire.

Un agent assermenté parle à un délinquant

Le passage aux urgences restera gravé dans ma mémoire. On me menotte. Pourquoi ? « Pour vous protéger de vous-même et pour nous protéger également ». Ravissant abus de pouvoir. Je n’ai pourtant jamais montré de résistance et j’ai toujours parlé avec tact. De plus, les policiers possèdent mon permis de conduire, mon adresse confirmée au téléphone par un proche et même mon lieu de travail. Aucune chance pour que je m’enfuie donc puisqu’on me retrouverait avant même que je rentre chez moi, à pied… Y-a-t-il chose plus humiliante que de voir le regard d’enfants qui marchent dans la rue se poser sur vous comme si Billy the Kid venait de débarquer ? En route dans la voiture de police pour l’hôpital, toute sirène hurlante alors qu’aucune urgence médicale ne le justifie. La « bonne » image de la police se confirme. Devant l’hôpital, des policiers fument, je demande poliment si je pourrais moi aussi tirer sur une cigarette. « Ben non ». N’y a-t-il donc aucune empathie chez certains policiers ? Une cigarette et c’est la mort de la procédure ? Nous parlons entre adultes pourtant ? Non. Un agent assermenté parle à un délinquant.

Revenu dans la cellule, la situation devient insupportable. Cela fait près d’une heure que j’attends pour finir un procès verbal. L’affaire de deux minutes et pour l’instant aucun juge ne peut statuer. Je fais venir un surveillant. « J’ai compris, dites à l’officier que je renonce à faire venir un avocat. Je veux en finir maintenant ou je vais me taper la tête contre les murs ». « Vous ne devriez pas, ça mettrait encore plus de temps et on devrait vous envoyer à l’asile ». Que de finesse psychologique. Je m’énerve tout en restant courtois. On me dit que non, il n’y a pas de rapport entre ce que j’ai demandé et le fait que la GAV dure aussi longtemps. Les surveillants consentent au bout d’un certain temps à ce que l’on transmette à l’officier ma volonté de renoncer à l’avocat. 30 minutes plus tard, j’étais dehors. Après plus de 11 heures dans une cellule pour 0,86 g d’alcool par litre de sang. Et sans avoir passé de tests pour savoir si mon taux d’alcoolémie était redevenu légal. Et d’après ce que j’ai pu apprendre, le tarif habituel pour une GAV de ce type se situe plutôt entre 15 et 24 heures.

De nos jours en France, les jugements de délits routiers représentent le premier type d’infractions traitées par les tribunaux correctionnels. Depuis le durcissement de la législation en 2003, le nombre de morts sur les routes françaises par an est passé d’un peu plus de 6000 à 4274 en 2008. A titre de comparaison, et même si comparaison n’est pas raison, chaque année en France, les accidents de la vie courante provoquent la mort de plus de 20 000 personnes.

Signé Monsieur tout le monde dans l’ancien pays des droits de l’homme

PS : Une réflexion pour finir. Si cette histoire m’était arrivée au Cameroun ou en Thaïlande par exemple, personne ne s’en serait offusqué ou étonné. Je suis sûr que des réflexions du type « vous savez, ces pays là et les droits de l’homme … » auraient fusées. Sauf que nous sommes en France. Il y a 10 ans, les sanctions qui auraient été prises à mon égard auraient sans doute été faibles, peut-être même trop faibles. Mais jamais je n’aurai été traité d’une façon aussi humiliante. Vous connaissez désormais la situation aujourd’hui. A ce rythme, qu’en sera-t-il dans 10 ans ?

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