Via Campesina, Yakarta, mai 2006.
Un rapport sur les cas et les caractristiques des violations en 2006.
La Via Campesina est un mouvement international de paysans, de petits et moyens producteurs,d’agriculteurs sans terre, de femmes et de jeunes du monde rural, d’indigènes et de travailleurs agricoles.
C’est un mouvement autonome, pluraliste, indépendant de toute affiliation d’ordre politique, économique ou autre. Nous avons des membres en Asie, en Afrique, en Europe et dans les Amériques.
Pendant la Sixième Conférence Ministérielle de l’Organisation Mondiale du Commerce tenue à Hong Kong en décembre 2005, une délégation internationale de La Via Campesina était présente pour faire entendre notre voix. Les négociations commerciales de l’O.M.C. obligent tous les pays, notamment les pays en développement, à ouvrir leurs marchés alimentaires, leur économie de la pêche, leur sylviculture et leurs services publics aux multinationales, ce qui va avoir des effets catastrophiques pour des millions de paysans, de petits agriculteurs, de travailleurs et d’indigènes du monde entier. Tout en étant confrontés à un accroissement de leurs importations agro-alimentaires, les pays en développement voient les prix de leur production nationale baisser.
Les paysans n’arrivent pas à écouler leur production sur leur marché local et national et l’économie locale s’effondre. Il y a eu de nombreux suicides chez les agriculteurs de Corée du Sud, d’Inde et de Chine. Un grand nombre de travailleurs et de pauvres perdent actuellement leur emploi car les multinationales spolient les ressources naturelles, halieutiques et sylvicoles des familles indigènes et rurales. Ces négociations ont pour unique objet de brader la vie et le gagne-pain des indigènes, des paysans, des travailleurs et des pauvres du monde entier.
La lutte de Hong Kong ne nous empêchera jamais de continuer à nous battre contre les politiques néolibérales et pour la protection des droits humains. La nuit du 17 décembre, des manifestants ont été battus, électrocutés et gazés par la police et 1.300 personnes ont été arrêtées, pour la plupart des agriculteurs. Lors de ces arrestations, les droits humains ont été bafoués. Deux agriculteurs de la Ligue Paysanne Coréenne (KPL) étaient toujours retenus par les tribunaux de Hong Kong en mars 2006, alors que bien d’autres ont été libérés.
Depuis des années, La Via Campesina fait campagne pour la reconnaissance des droits des paysans. Dans beaucoup de pays, nos membres ont des difficultés à faire respecter ces droits et à obtenir la protection des droits de l’Homme par l’Etat. En Indonésie, par exemple, la police a tiré sur les paysans rassemblés à Tanak Awuk, Lombok, Nusa Tenggara de l’Ouest. Au Guatemala, la répression a frappé les paysannes et les paysans qui manifestaient contre l’accord de libre-échange. Les agriculteurs de Peyongteak, en Corée du Sud, se battent pour reprendre leurs terres à la base militaire américaine.
Ce rapport sur la violation des droits des paysans est le troisième rapport rédigé par La Via Campesina. Il se divise en deux parties, la première porte sur des cas présentés par tous les membres de La Via Campesina, la seconde constitue une contribution de FIAN International qui analyse les droits de l’Homme et la réforme de l’ONU. Outre cette analyse, le rapport inclut aussi les cas présentés par la Campagne Mondiale pour la Réforme Agraire. Le Rapport annuel sera présenté à Genève au moment de la session annuelle de la Commission des Droits de l’Homme des Nations Unies.
Jakarta, 13 mars 2006
Via Campesina
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Introduction
Ce rapport sur les « violations des droits des paysans en 2006 » est le troisième d’une série de rapports annuels visant à faire connaître la situation quotidienne des paysans dans le monde. La plupart des rapports internationaux omettent de traiter de cette réalité. Or, malgré leur diversité, les paysans sont confrontés à des problèmes très similaires. Il suffit d’étudier les problèmes auxquels les petits paysans font face aujourd’hui dans différentes parties du monde pour se rendre compte que de nombreux problèmes sont communs à tous, par exemple la sécurisation du droit à la terre, les difficultés à s’organiser, l’oppression politique, etc. Ce rapport permet de montrer que de nombreux problèmes auxquels les petits paysans sont confrontés ne sont pas « seulement » des conflits locaux entre différents groupes qui luttent pour le contrôle des terres ou qui contestent les titres de propriété.
Si on regarde les choses de manière globale, on s’aperçoit qu’il existe un certain nombre d’éléments caractéristiques des violations des droits fondamentaux des petits paysans. C’est justement parce que ces éléments caractéristiques existent qu’il est nécessaire de mettre en place des réponses politiques systématiques pour apporter des solutions adaptées.
Les petits paysans représentent un des groupes les plus marginalisés dans le monde. Le rapport de 2005 traite en profondeur de cette question et il est important de rappeler que la moitié des personnes qui souffrent de la faim dans le monde sont des petits paysans. Selon un des derniers rapports de l’ONU sur ce sujet le rapport du « Détachement Spécial sur le Faim » du Projet Millenium 2004, les deux tiers des paysans vivent dans les conditions de pauvreté extrême.
Ce rapport étudie la situation socio-économique des petits paysans. Beaucoup vivent dans des zones marginalisées et ne disposent ni des ressources productives nécessaires ni d’un accès adéquate aux services publics, que ce soit l’eau, les services de santé, les voies de communication, la formation agricole ou seulement l’accès à l’information. Souvent il n’existe même pas une voie d’accès aux marchés locaux. Le fait qu’ils ne disposent pas de preuves qu’ils possèdent la terre explique souvent qu’on leur refuse un crédit. C’est encore plus difficile pour les femmes, qui sont confrontées à une double discrimination : on concède encore plus difficilement un certificat de propriété, la reconnaissance et la protection des droits à la terre, à l’eau ou aux semences aux paysannes qu’aux hommes.
La marginalisation est souvent également une marginalisation politique. Dans beaucoup de pays, on ne s’occupe que très peu des problèmes des petits paysans. D’autres sujets prennent une importance beaucoup plus grande pour les dirigeants politiques qui sont pour la plupart des urbains. Selon les chiffres de l’Organisation de l’Alimentation et de l’Agriculture (FAO) des Nations Unis, les pays en développement ont divisé par deux leur soutien au développement agricole et rural au cours de la dernière décennie.
Le fait que les budgets agricoles soient réduits est le signe d’un grave problème : les besoins urgents des petits paysans ne sont pas pris en compte dans les décisions politiques nationales et internationales. Des questions clés, telles celle de la répartition du capital productif, ne sont quasiment jamais abordées. Or, les conflits liés à l’accès à la terre se multiplient dans plusieurs régions du monde, d’une part du fait de la concentration croissante (souvent acquise par la force) des richesses produites entre les mains des grands propriétaires, et d’autre part du fait de la concurrence accrue pour l’acquisition des terres et l’eau pour le développement de sites industriels autour des villes ou pour d’autres projets d’infrastructures touristiques, d’aéroports, de terrains du golf etc. On donne rarement la priorité aux projets de développement rural au profit des paysans de la région quand ils entrent en concurrence avec des projets liés à ce genre d’intérêt, bien que ces derniers créent souvent moins d’emplois. Et lorsque ces projets se réalisent, c’est très souvent aux dépens des droits économiques, sociaux et culturels des petits paysans.
Ce rapport montre que la marginalisation politique s’accompagne souvent d’une répression vis-à -vis des organisations paysannes. Les violations des droits économiques, sociaux et culturels vont de pair avec les violations des droits civiques et politiques. Les leaders paysans, les militants de la réforme agraire, les femmes qui mènent les luttes, sont confrontés à une répression féroce et très souvent à des persécutions, surtout si des intérêts importants sont en jeu.
La liberté d’expression, les libertés syndicales, le droit de manifestation et le droit d’agir en tant que mouvement social, sont régulièrement attaqués. Lorsque des mouvements comme les organisations paysannes commencent revendiquer leurs droits, ils risquent la persécution et même l’assassinat, comme le montrent de nombreux exemples rapportés dans ce rapport.
Il est temps d’apporter des réponses adéquates aux problèmes extrêmement difficiles que rencontrent les petits paysans dans le monde entier. Ils ont besoin d’être mieux protégés sur le plan légal et politique. Ils doivent être traités avec équité lors des conflits et des négociations sur les biens économiques.
Enfin, il est nécessaire d’améliorer leurs accès aux moyens de production, de façon qu’ils puissent se nourrir et gagner leurs vies décemment. En bref, ils faut que leurs droits fondamentaux soient mieux respectés et mieux appliqués.
Ce rapport commence par souligner l’augmentation dramatique et alarmante de la répression contre les leaders paysans dans le monde entier. Ensuite, le rapport analyse les changements actuels dans le système des droits de l’homme et ce que cela implique pour les organisations paysannes. Il souligne combien il est important que les leaders des organisations paysannes soient reconnus en tant que défenseurs des droits de l’homme et aient par là droit à une protection appropriée aux niveaux national et international. Un chapitre rend compte des résultats relativement positifs des deux conférences internationales de l’ONU en mars 2006 : La Conférence Internationale sur la Réforme Agraire et le Développement Rural (CIRADR), organisée par la FAO, et le groupe de travail à la Convention sur la Biodiversité à la COP 8 au Brésil. La seconde partie du rapport traite des cas de violation constatés cette année.
- Lire le rapport (pdf) www.confederationpaysanne.fr
OMC et Agriculture : ruine et exode rural pour des millions de paysans du Sud, par Meena Raman.
L’USAID : comment faire pour que le monde ait faim de cultures génétiquement modifiées.
[Dans le monde, le nombre de malnutris chroniques est passé de 826 à 852 millions entre 1995-1997 et 2000-2002. Pour les trois quarts d’entre eux, il s’agit de ruraux, essentiellement des agriculteurs. Ils sont 204 millions en Afrique subsaharienne, où l’espérance de vie recule depuis vingt ans. Les agriculteurs y constituent les deux tiers des actifs - soit 110 millions de plus qu’en 1969-1971 -, et les malnutris représentent un tiers de la population.
Plutôt que le protectionnisme, la souveraineté alimentaire, par Jacques Berthelot, Le Monde Diplomatique..]