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Qui a sa place sur terre ?

photo : Edward Sheriff Curtis (1868-1952), photographe ethnologue américain

Si nos systèmes politiques étaient ce qu’ils prétendent être, on serait en train de discuter maintenant dans tous les parlements d’une image graphique élaborée par Mathis Wackernagel, chercheur du Global Footprint Network (Californie). Mais il ne semble pas que le sujet ait vraiment attiré l’attention. Et pourtant, l’image s’avère être destructrice des plus fortes certitudes de notre classe politique et, bien sûr, des critères les plus évidents des électeurs. Surtout dans un monde politique dans lequel la gauche et la droite se délectent avec suffisance des objectifs du "développement durable" .

La question est bien simple. L’axe vertical représente l’indice de Développement Humain (IDH), élaboré par les Nations Unies pour mesurer les conditions de vie des citoyens en prenant comme indicateurs l’espérance de vie à la naissance, le niveau d’éducation et le PIB par personne. Le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) considère l’IDH « élevé » lorsqu’il est égal ou supérieur à 0,8, en précisant qu’en situation contraire, les pays ne sont pas « suffisamment développés ». Dans l’axe horizontal on mesure la quantité de planètes Terre qu’il faudrait utiliser au cas où se généraliserait dans le monde entier le niveau de consommation d’un pays donné.

Wackernagel et son équipe firent les calculs sur 93 pays entre 1975 et 2003. Les résultats sont bouleversants et surprenants. Par exemple, si on parvenait à généraliser le style de vie du Burundi, plus de la moitié de la planète serait de trop. Mais le Burundi est bien au dessous du niveau satisfaisant de développement avec un IDH de 0,3. Par contre, le Royaume Uni par exemple possède un excellent IDH. Mais pour l’atteindre, et c’est là tout le problème, il faut consommer tellement de ressources qu’il nous faudrait, de se généraliser ce style de vie, trois planètes Terre. Les Etats-Unis obtiennent aussi une bonne note en matière de développement humain, mais leur « empreinte écologique » est telle qu’il faudrait plus de cinq planètes pour généraliser leur style de vie.

En révisant le reste des 93 pays, on comprend qu’il y ait des raisons pour que le travail de Wackernagel s’intitule "Le monde échoue en matière de développement durable" . Comme il n’y a qu’une seule planète Terre, il est clair que seuls les pays qui se situent dans la partie coloriée de l’image - au-dessus de 0,8 en IDH, sans dépasser le numéro 1 de planètes disponibles - ont un développement durable. Seuls les pays situés dans cette partie seraient un modèle politique à imiter, au moins pour les politiques qui veulent préserver le monde dans un délai acceptable ou qui ne sont pas disposés à défendre leur droit - racial, divin ou historique, peut-être ? - de vivre indéfiniment très au dessus du reste du monde.

Mais voilà , il s’avère que la partie en question de l’image est pratiquement vide. Il y a un seul pays au monde qui, pour le moment au moins, a un développement acceptable et durable en même temps : Cuba.

Ce résultat bien sûr fait beaucoup réfléchir. Parce que, pour commencer, il est facile de faire remarquer que la plus grande partie des boat people cubains ont fui et fuient le pays en recherchant cet autre niveau de consommation qui ne peut pas être généralisé sans détruire la planète, c’est-à -dire en revendiquant leur droit d’être si globalement irresponsables, criminels et suicidaires comme nous le sommes, les consommateurs étasuniens ou européens. Nous aurions bien peu de vergogne, cela va de soi, si nous condamnions la prétention des autres d’imiter la façon avec laquelle nous dévorons impunément la planète. Mais il faut reconnaître que l’image médiatique du sujet change de manière radicale : ce dont ils fuient réellement c’est de la consommation responsable pour le Paradis de la consommation suicide et, tenant compte des intérêts stratégiques du harcèlement imposé à Cuba, on les reçoit comme des héros de la Liberté au lieu de leur fermer les portes comme on le fait avec ceux qui fuient la misère, par exemple du Burundi (et que l’on traite comme une épidémie dont il faut se protéger).

Au niveau général, la chose est beaucoup plus intéressante. Que le seul pays durable au monde soit un pays socialiste, c’est très significatif. Pour les économistes c’est un lieu commun le fait que le socialisme se soit avéré ruineux et inefficace du point de vue économique. Il est surprenant que dans un monde comme celui-ci, le manque de compétitivité puisse être considéré comme une accusation de poids. En matière de développement durable, l’économie socialiste cubaine semble être compétitive au maximum. En termes de développement suicide, pas de doute, le capitalisme l’est beaucoup plus.

Le plus grand reproche qu’on puisse faire au système capitaliste, c’est précisément le fait qu’il soit incapable de s’arrêter et même de ralentir sa marche. Le capitalisme est un système prisonnier de sa propre impulsion. L’économiste J. K. Galbraith disait que « parmi les nombreux modèles de ce que devrait être une bonne société, personne n’a jamais proposé la roue de l’écureuil » Cependant, bien que personne ne l’ait proposé, cette situation absurde semble s’être imposée de fait : dans le capitalisme chacun essaie de s’imposer dans la compétition en augmentant sa productivité pour ne pas perdre du marché, mais, en se trouvant tous dans la même course, le moment n’arrive jamais au cours duquel puisse s’arrêter cette augmentation croissante ininterrompue du rythme et de la dilapidation conséquente des ressources.

Face à cette dynamique absurde, nous devons exiger le droit à nous arrêter. Nous ne pouvons pas permettre que nos ministres de l’Economie continuent de nous convaincre que « croître » au dessous du 2 ou 3 % c’est catastrophique, et nous ne pouvons pas permettre que nos politiques continuent de proposer comme solution aux pays pauvres qu’ils imitent les riches. C’est matériellement impossible. La planète ne produit pas pour autant. Quand ils proposent ce modèle ils savent que, en réalité, ils défendent quelque chose bien différent : que nous nous enfermions dans des forteresses, protégés par des murs toujours plus hauts, pour pouvoir littéralement dévorer la planète sans que personne nous dérange ni nous imite. C’est notre solution finale, un nouvel Auschwitz inverti dans lequel, au lieu d’enfermer les victimes, nous nous enfermons en nous préservant de l’arme de destruction massive la plus puissante de l’histoire : le système économique international.

Carlos Fernández Liria
professeur titulaire de Philosophie à l’Université Complutense de Madrid

Article orignal
http://blogs.publico.es/dominiopublico/267/%C2%BFquien-cabe-en-el-mundo/

trad. : RM - reçu par courrier

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