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Quand le changement climatique se joue en Bourse

La conférence internationale d’Accra (Ghana) sur le changement climatique s’est achevée le 27 août dernier. Le constat, à l’heure de sa clôture, était le même que pour les rencontres précédentes : quelques avancées timides, mais aucun accord global de réduction des gaz à effet de serre en vue. Et malheureusement, cette conclusion pourra sans doute resservir pour la prochaine rencontre, qui se déroulera à Poznan (Pologne) du 1er au 12 décembre. Car, face à cette menace écologique gravissime, la communauté internationale est littéralement prise au piège des choix politiques qu’elle effectue depuis près de trente ans.

L’histoire de la prétendue lutte contre le changement climatique est en fait l’histoire d’un hold-up...

Dans les années 90, l’opinion publique découvre ce phénomène et, si l’on se réfère au constat des spécialistes, ses origines humaines : la production, les déplacements, les consommations d’énergie rejettent des gaz à effet de serre qui perturberaient le climat.

Il faut donc agir pour réduire ces émissions. Mais sans réglementer, bien-sûr, puisque l’on vit une époque libérale où la réglementation, la contrainte, l’action politique même, sont des reliques des temps anciens...

Alors, de géniaux économistes préconisent un solution « optimale », avec le marché des droits à polluer. Il faut donner des droits à émettre des polluants (en l’occurrence, le dioxyde de carbone, principal gaz à effet de serre émis par l’homme), établir des titres de propriété, et permettre aux acteurs de vendre et d’acheter ces titres sur un marché. Dès lors, on donne un « prix » à la pollution, prix qui sera le fruit de l’équilibre entre l’offre et la demande.

Les décideurs, largement acquis aux intérêts des multinationales, retiendront cet outil lors des négociations du protocole de Kyoto. Les grandes entreprises pousseront un « ouf » de soulagement. Pas de normes, quasiment pas d’obligation contraignante, rien de brutal... Rien qui n’entrave la concurrence économique acharnée, fort heureusement.

Mais, avec la Bourse du carbone, se met en place ce qui est le corollaire de tout marché prometteur, « libre » et dérégulé : la spéculation. Certains achètent la tonne de carbone le moins cher possible et la vendent au meilleur prix, réalisant des bénéfices juteux, à l’image du géant de la chimie Rhodia. Juteux, mais « verts », ce qui est semble-t-il l’essentiel...

Des fonds se créent spécialement pour boursicoter sur les gaz à effet de serre. Des fonds en pleine expansion, où l’argent provient de groupes privés mais aussi de gouvernements. Des fonds dont l’objectif ultime est identique à celui des autres fonds : réaliser des profits. « Valoriser », comme on le dit pudiquement... Ainsi, la Banque mondiale, premier gestionnaire de fonds carbone, investit très majoritairement en Chine, là où le rendement financier est - de loin - le meilleur.

C’est également l’histoire d’une course au rachat par des grands groupes (AREVA, EDF, Vivendi...) de producteurs d’équipements pour les énergies renouvelables, afin de maîtriser le secteur hautement stratégique des énergies « vertes ». Et d’en tirer tous les bénéfices financiers possibles.

C’est l’histoire, après la poudre aux yeux du développement durable, de l’émergence de l’écolo-libéralisme. Une réponse ultra-libérale à la crise écologique, qui prône la « croissance verte » et qui marchandise encore un peu plus la société, jusqu’à la caricature. Un modèle conçu sans le moindre débat démocratique, en violant ouvertement des textes internationaux sur le droit des citoyens.

Enfin, c’est l’histoire d’un échec cuisant, que tout le monde s’emploie à cacher sous le tapis. Car depuis la finalisation du protocole de Kyoto en 1997, les émissions mondiales de gaz à effet de serre ont augmenté de 35%,... et la tonne de carbone valait, en décembre 2007, deux centimes d’euros au comptant sur le marché !

Il y a quelques années, lors d’un sommet dédié au développement durable, un célèbre chef d’Etat déclarait « notre maison brûle et nous regardons ailleurs ». Il faut aujourd’hui convenir que l’incendie a redoublé, et que nos dirigeants ont fait le choix de rémunérer les pyromanes.

Voici ce que raconte le livre « Le climat otage de la finance ». Et bien d’autres choses encore, qui lui donnent parfois des allures de polar économico-écologique. Mais l’essentiel est simple à résumer : non content d’avoir produit un désastre social, le néo-libéralisme produit un désastre environnemental. Et mieux vaut ne pas compter sur lui pour réparer les dégâts...

Aurélien Bernier

Auteur du livre « Le climat otage de la finance », Paris, 2008, Editions Mille-et-une-nuits.

http://abernier.vefblog.net/8.html#Le_climat_otage_de_la_finance

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COMMENTAIRES  

10/09/2008 18:53 par kounet

Et le troupeau de veaux continue de regarder TF1 en attendant la fin !Cette espèce doit disparaitre .

11/09/2008 17:46 par Anonyme

Pour le moment cette espèce est en voie de prolifération et se reproduit à la vitesse de 80 millions d’individus supplémentaires tous les ans sur la planète.
C’est tout simplement l’espèce humaine qui n’a pas comprit qu’elle vit sur un support qui lui aussi ne peut croitre ....
Mais effectivement cette espèce disparaitra après avoir fait disparaitre bon nombre d’espèces du monde animal à l’exception des plus résistances qui auront enfin la paix.

11/09/2008 22:05 par Anonyme

En effet, ces marchés de permis d’émission négociable sont une belle saloperie ! Bon, mais le constat est là , implacable. Faut-il encore revenir dessus ?

Là où je m’interroge par contre - car c’est moins évident -, c’est sur la responsabilité des élites universitaires dans leur développement et leur promotion (ou au moins d’une partie d’entre elles). Car ce sont bien elles qui ont lancé cette idée à la con dès les années 50/60. Tout un courant de pensée s’est forgé autour de la micro-économie de l’environnement qui est une insulte pure et simple au bon sens et à la discussion entre gens ayant un gramme d’imagination et d’esprit critique ! J’en sais quelque chose, j’ai été contraint de faire mon mémoire sur ces permis d’émissions négociables pourris à Toulouse 1 (fac ultra-ultra libérale). Tout cela pour dire qu’il y a peut-être, en plus des gouvernements et du Capital, une force réactionnaire largement aussi hostile au changement et aux solutions simples et sensées : les universités. Ce qui n’est guère réjouissant pour notre avenir étant donné le conformisme viscéral de cette institution.

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