S’il vous vient l’envie de rire dans un cimetière, surfez sur Internet et lisez la littérature qu’on y trouve à propos d’un organisme baptisé « G5 Sahel », ou « G5S ». Un « machin » qui doit sauver le destin de l’Afrique de l’Ouest en éradiquant le terrorisme, tout en fixant sur place – grâce à un « développement concerté » - ces satanés migrants. La terre promise pour la Mauritanie, le Mali, le Burkina Faso, le Niger et le Tchad, tous membres de ce « G5 ». Bien sûr, ce paradis est un décor. Et il a un envers. Comme le disent les joueurs de belote, cette union exemplaire n’est qu’un outil de la France pour se défausser, ici sur le dos de ces peuples du Sahel. Le tout par le biais de dirigeants qui, le plus souvent, sont à la démocratie ce que Dutroux est à la protection de l’enfance. Paris aimerait trouver un relais à sa calamiteuse Opération Barkhane. Qui, là-bas, coûte si cher en hommes et en argent. Alors qu’elle n’est que la mécanique d’un Sisyphe qui serait soldat. Serrez les jugulaires : « Il faut que les Africains prennent leur destin en main », affirment les parrains du « G5S ». Air ancien déjà chanté dès 1950 par le secrétaire d’Etat à la France d’Outre-Mer, François Mitterrand.
Donc, depuis le 19 décembre 2014, sur le papier, le « G5 Sahel » a belle allure. Avec son siège établi en Mauritanie, pays des droits de rien où l’esclavage est toujours vivant. Mais on ne va pas finasser, les Droits de l’Homme c’est bien, mais rien qu’à Genève les pieds dans le lac. Ici, ils sont dans le sable et « la menace djihadiste » efface la démocratie comme la craie du tableau. Magnifique blanc-seing accordé par la France, et l’Europe, à des êtres aussi humanistes que Mohamed Ould Abdel Aziz, potentat de Nouakchott ou Idriss Déby qui exerce le même métier au Tchad. Puisqu’ils sont priés de chasser al-Qaïda, le MUJAO, al-Morabitoun et Boko-Haram, ces messieurs ont tant de djihadistes sur la planche que tout leur est permis. Notons qu’avec Ould Addel Azziz l’entorse au droit est interdite puisque ses conseillers intimes sont des juristes aussi vétilleux que l’ex-juge Bruguière ou l’avocat des chapelles cathodiques, William Goldnadel. Nous voilà rassurés : on ne charrie pas au pays de la charia.
Bien sûr, un tel engagement mérite salaire. Heureusement le « G5 Sahel » a été pensé comme un outil magique pour moissonner des crédits. En équivalent géopolitique c’est la copie du jeu télévisé « Qui veut gagner des millions ». Et, même putatives, pleuvent les promesses de dons. Les experts les plus laxistes ignorent où vont vraiment les sommes versées... Visiblement pas aux soldats qui, nombreux, devraient théoriquement occuper leurs jours et leurs nuits à traquer les barbus. Car dans les dunes ou derrière les balanites, on ne les voit que peu nombreux. Mais, promesse de « G5 S », par un prompt renfort ils devraient être « bientôt » 10 000 ; et la carcasse d’al-Qaïda va alors trembler.
Faut-il préciser que tous ces encouragements occidentaux, donnés aux maîtres du Sahel, sont de très mauvaises nouvelles pour leurs opposants. Dans le passé quereller un potentat exigeait un grand courage : aujourd’hui le rebelle doit être fou. Et une nouvelle arme de destruction massive des lanceurs d’alerte vient d’être mise entre les mains des croisés du « G5 » : le recours à Interpol. Utiliser Interpol pour attraper un homme ou une femme qui ne vous convient pas ? On ne peut rêver mieux. Interpol contient, en creux, le mot police. Une institution neutre, dévouée au bien de l’humanité qui ne traque que les terroristes, les assassins, voleurs, mafieux, pédophiles. Jamais les opposants exprimant leur douleur sous le joug. Ces patrons du « G5S » sont si dévoués, si désintéressés, si méritants et utiles à l’Occident, qu’on ne va pas mégoter pour quelques bavures humaines. Laissons-les jouer, scotchons-les sur leurs trônes.
Le 16 mai dernier, le siège d’Interpol à Lyon a reçu une délégation du Sahel suprême : Sambo Sidikou, Secrétaire permanent du « G5S » et Jean-Bosco Kienou le président du Comité de Défense et Sécurité. Interpol et le Sahel vont « développer la coopération technique, l’entrainement et la capacité de construire et d’échanger des expertises ». Des mots qui, à eux seuls, devraient suffirent à faire entrer al-Qaïda dans le rang. Charles Pasqua nous l’a enseigné jadis : « terrorisons les terroristes ». En réalité, le séjour lyonnais de nos leaders sahéliens, outre l’obtention de nouveaux crédits venus d’Allemagne, a eu pour premier objectif d’établir avec Interpol un « climat de confiance » qui fasse que les « notes rouges » émises par le « G5 » n’aillent pas, dès réception, à la poubelle. Les « Notes rouges » sont les signalements adressés à Interpol, ceux, nous l’avons dit, de délinquants chevronnés ou de malfaiteurs dangereux, tous en fuite.
Les pays du Sahel ne sont pas les seuls à avoir compris qu’Interpol était, dans le genre « Exterminator », un magnifique outil politique. Et l’organisme international a déjà fait l’objet de dénonciations répétées. En 2017 le Conseil de l’Europe déclarait « Les réfugiés politique méritent la protection spéciale d’Interpol. Nécessaire pour protéger les réfugiés des Etats membres qui abusent des canaux d’Interpol pour persécuter les opposants politiques et autres victimes de poursuites pénales corrompues ». Car les dictateurs et potentats, frottés à l’apparence démocratique, sont malins. Quand ils expédient une « Note rouge » à Interpol, ils demandent au préalable à leur justice, forcément soumise, de fabriquer un dossier pénal justifiant que l’on poursuive comme délinquant un simple militant de la liberté. Au gré des humeurs le malheureux « fugitif » devient trafiquant d’enfants, blanchisseurs de fonds, considérable bandit voir terroriste.
Un exemple, il y a quelques jours, dans une vidéo sur Internet Hama Amadou, un opposant nigérien, affirme que le gouvernement profite de l’argument sécuritaire pour « délibérément » envoyer à la mort une « certaine catégorie de soldats nigériens ». Pour Niamey cette déclaration n’est « qu’un encouragement aux forces terroristes. » Et peut alors justifier d’une « Note rouge ».
Actuellement cette facilité qu’a Interpol de lancer ses lassos vers tous les postes de contrôle de la terre, sans s’interroger davantage, remonte à l’Elysée. La famille d’un citoyen français, Mathias Echène emprisonné à Bali, demande un recours d’Emmanuel Macron. Cet homme de 49 ans vit l’enfer au paradis. Pour protester contre son enfermement, qu’il juge arbitraire, ce constructeur de villas à Bali a, depuis deux mois, entamé une grève de la faim. Et il va mal. Alors que tout allait bien pour le bâtisseur jusqu’à ce que ses partenaires, des chinois de Hong Kong et Singapour, soulèvent un litige. En avril 2012 ils lancent des poursuites civiles contre lui, suivies en octobre 2013, d’une demande de mandat d’arrêt international, document bientôt accompagné de la fameuse « Note rouge » d’Interpol. En son absence l’homme d’affaires est condamné par un tribunal de Hong Kong. Alors qu’à Paris la Cour d’appel refuse d’appliquer la décision du tribunal chinois. Mais, Interpol oblige, en 2017 Mathias Echène est arrêté à Bali, là où il est encore aujourd’hui.
Pour éteindre le feu et calmer les accusations d’atteintes au droit, en 2014 Interpol a été contraint d’établir un recueil de pratiques relatives à ces « Notes rouges » abusives. Hélas ce document est resté secret. Finalement en 2015, sous la pression d’une ONG comme « Fair Trials », ces fameuses « Notes » peuvent être retirées sur demande, par exemple s’il est prouvé que la personne visée a bien le statut de réfugié. Et Jürgen Stock, le Secrétaire général d’Interpol, affirme maintenant qu’il est en mesure « d’établir un équilibre entre le renforcement de la coopération policière et la mise en place de garanties efficaces pour les réfugiés ». Mais rien n’oblige à croire ce dirigeant sincère. D’autant que cet homme austère tient un langage paradoxal puisque sa « réforme » a aggravé la situation. En réalité la nouvelle norme vise d’abord à mettre en doute le statut de réfugié (celui de l’individu visé) pour « éviter que des malfaiteurs ou terroristes n’abusent du statut de réfugié ». Choix qui a fait hurler « Fair Trials ». Autrement dit, c’est Interpol qui dirige la planète, face à des Etats qui délivrent faussement des statuts protecteurs. En France, Alain Bauer qui se présente comme « criminologue », et qui connait d’expérience l’institution judiciaire pour être confronté à deux « enquêtes préalables » conduites sur son compte par des magistrats, est dans le camp d’Interpol, celui de la répression d’abord. Ce vieux compagnon de Manuel Valls ne déclare-t-il pas : « Sauf à nuire à ce pourquoi la machine est faite, Interpol n’est qu’un organe de transmission de l’information. Et il est vrai qu’il y a d’authentiques criminels dans les dictatures ».
« Organe de transmission de l’information » très contesté. Oublions la tragicomédie qui met en scène l’ancien président de l’organe de coopération policière, un Chinois jamais revenu à son poste puisque mis en prison en Chine pour « corruption ». Vint alors le problème de son remplacement. La candidature d’un général russe déclenche une salve de missiles : « Poutine va utiliser Interpol pour chasser ses opposants »... En contre-champ personne n’évoque la politique « pénitentiaire » américaine, d’Abou Ghraib à Guantanamo, ou le sort fait à Julian Assange. Sous les étoiles de la bannière tout est démocratique. Et les pays occidentaux ne se réveillent que lorsque le déni de droit touche à leurs intérêts. Ainsi Angela Merkel s’est soudain émue qu’une « Note rouge » ait provoqué l’incarcération, en Espagne, de l’écrivain germano-turc Dogan Akhanli, réclamé par Erdogan. Mais si vous avez la malchance d’être un Africain qui n’écrit pas de livres, c’est l’indifférence.
Observons pour finir qu’Interpol est vraiment la honte des organismes internationaux. Le public imagine une sorte d’ONU alors qu’il s’agit trop souvent d’un club. Il faut savoir qu’Interpol est, comme le remorqueur le fait du cargo, accompagné de la « Fondation Interpol ». Une société, habilement installée à Genève, qui s’appuie sur le prestige de la police internationalisée pour jongler avec de considérables sommes d’argent en nous promettant « un monde plus sûr ». Des sous qui, nous dit-on, servent à aider Interpol dans certains investissements.
Ainsi, aux plus belles heures du « FIFA Gate », celles des turpitudes de Sepp Blatter et de sa bande, la Fédération Internationale de Football abondait à la Fondation Interpol. Imaginez ensuite l’empressement mis par l’organisme basé à Lyon pour aider à la traque des corrompus du foot ? Mais il y a d’autres belles figures dans ce panel mondial des gens qui comptent, par exemple Carlos Ghosn. Eh oui, l’excellent amateur de fêtes au château de Versailles était, naguère encore, un membre tutélaire de la Fondation. Le cheikh Mansour bin Zayed, demi-frère du roi émirati, a versé 50 millions d’euros à la Fondation, sans doute pour qu’elle s’attache à l’abolition de la charia... La « dream team » de la Fondation compte aussi Olivier Dassault, député français qui vient de rédiger un projet de loi anti-pauvres (tout bénéficiaire d’une aide sociale coincé dans le maelstrom d’une manif verra ses allocations supprimées). Et comment oublier Elias Murr, un politicien libanais qui rêve, selon Wikileaks, de réactiver la guerre dans son pays. Pour finir le panier garni, citons enfin Ségolène Royal et le prince de Monaco, l’une qui a failli être reine de France et l’autre qui est le roi d’un pays sans malfaiteurs. Toute cette formidable équipe acharnée à faire avancer liberté et justice a été placée sous la houlette d’un étonnant directeur, Jean-Bernard Schmid, ancien procureur de Genève et grand ami des magistrats du Parquet Financier made in France.
Il est acquis qu’avec une telle structure et de tels appuis, Interpol ne peut quitter les rails qui guident son destin vers toujours plus de transparence, de vérité, de démocratie et de respect pour ceux qui s’opposent aux Etats et aux tyrans.
Jacques-Marie BOURGET