Nous publions ci-dessous cet article paru le 8 octobre 2006 sur le site Rebelion. Il est possible de débattre de l’analyse de H. Dietrich. Toutefois, les menaces qu’il souligne participent d’un processus que d’aucuns veulent ignorer, dans la conjoncture présente, en Amérique latine. La solidarité avec les travailleuses et travailleurs de Bolivie motive la publication la plus rapide de cet article. (réd)
Des sources dignes de confiance issues des cercles les plus élevés du gouvernement bolivien ont révélé que la première tentative de coup d’Etat contre Evo Morales est planifiée pour le mercredi 11 octobre 2006. L’utilisation de francs-tireurs lors de la tuerie de Huanuni [1], qui a causé la mort de 16 personnes [et blessé plus de 60], indique l’utilisation de spécialistes de coups de force lors de l’affrontement entre mineurs. Des militaires chiliens seraient incorporés à cette conspiration.
1. A la recherche de généraux tueurs
Depuis quelques semaines, des officiers de la police bolivienne se sont approchés de généraux des Forces armées de Bolivie (FAB), afin d’évaluer leurs dispositions à se joindre à un coup d’Etat. Comme cela s’est produit au Chili avec le général constitutionnaliste René Schneider, et au Venezuela, avec le général Raul Baduel, en Bolivie aussi un des militaires ayant un poste clé pour assurer le succès de l’entreprise s’est refusé à y participer. Et il en a informé le Président Evo Morales. Actuellement, les préparatifs se poursuivent sans lui. Et les annonces faites à la radio se multiplient qui font l’éloge de « l’armée patriotique qui a tué Che Guevara et liquidé la subversion ».
Les militaires ne font jamais un coup d’État en l’air, m’a dit il y a sept ans mon ami le Général Alberto Mueller Rojas, aujourd’hui membre de l’Etat-major présidentiel de Hugo Chávez. C’est cette logique dont on observe actuellement le déroulement en Bolivie. Tout un bloc conspiratif, composé de différentes forces sociales et de l’Etat, travaille de manière accélérée pour en finir avec le Président Evo Morales.
2. La conspiration institutionnelle
Les préfets (gouverneurs) des départements producteurs d’énergie et séparatistes du Beni, de Pando, de Santa Cruz de la Sierra et de Tarija encouragent la formation de ce que l’on appelle les « Comités civiques », qui sont le fer de lance de la subversion politique visible. Aussi bien les préfets que les « Comités civiques » sont entrés en rébellion ouverte contre le gouvernement constitutionnel d’ Evo Morales, en déclarant qu’ « ils ne se soumettront pas à la Constitution politique de l’Etat qui sortira de l’Assemblée constituante, si cette constitution n’est pas approuvée dans tous ses articles par les deux tiers des voix » des constituants. Ils préviennent qu’ils avanceront sur la voie des « autonomies départementales » si cette condition n’est pas remplie.
Ils bénéficient évidemment de l’appui de la Cour suprême de justice de la Nation - aussi réactionnaire et corrompue que ses autres homologues bourgeoises dans le monde - qui procure à l’insubordination envisagée l’apologie du délit.
Face à la récente déclaration de l’Assemblée constituante [2], qui se considère « originaire, plénipotentiaire et fondatrice », en d’autres termes, non limitée par les règles existantes dans sa construction du nouvel État, les magistrats (juges) soutiennent la position des préfets factieux. Ils jugent que, selon le droit constitutionnel, le pouvoir de l’Assemblée constituante n’est pas « originaire-fondateur », mais « dérivé-réformateur » et, partant, soumis à la législation en vigueur qui exige les deux tiers des voix pour l’adoption d’une nouvelle constitution.
3. La conspiration sociale
Les « Comités civiques » bénéficient du financement du patronat et de la collaboration de hauts officiers de la police, par exemple, des colonels. Leurs actes et prises de position sont amplifiés et diffusés par les médias privés, souvent sur le modèle de la propagande fasciste qui fut utilisé au Venezuela contre le gouvernement d’Hugo Chavez. Certains des médias les plus importants sont entre les mains de magnats capitalistes qui ont effectué de gros investissements agricoles dans les provinces séparatistes [ils exportent, entre autres, au Venezuela !] et qui craignent la réforme agraire du gouvernement.
Pour ce qui est de la « mobilisation sociale », les associations de pères de famille - généralement réactionnaires et contrôlées par l’Église en Amérique latine - sont en alliance avec les secteurs privés de l’enseignement primaire, des collèges et des universités. Ces derniers encouragent les grèves, les barrages et les manifestations contre le gouvernement. Les secteurs de l’énergie tentent de provoquer une pénurie de diesel et d’essence, afin de susciter un malaise dans la population.
4. Le modèle chilien
Tout comme au Chili, les entreprises de transport ont la possibilité de mettre à genoux l’économie et de briser la paix publique au moyen d’une grève nationale, convoquée pour le début de la semaine prochaine, dans l’intention de faire converger tous les secteurs antigouvernementaux en un grand front déstabilisateur. Faisant explicitement référence à la grève subversive des transporteurs chiliens contre Salvador Allende (1972), financée par la CIA des États-Unis, Evo Morales a qualifié, il y a deux jours, la grève bolivienne de grève « idéologique » : « C’est la lutte pour le pouvoir », a déclaré le leader populaire. Et il a bien précisé ce qui est en jeu : « ou les groupes de caciques, ou les mouvements populaires ».
Evo Morales a raison, comme le révèlent, aujourd’hui, les documents du Church Committee (1976) ainsi que les récents Mémoires publiés par le dirigeant militaire de l’organisation fasciste chilienne « Patrie et Liberté », Roberto Thieme, sur la collaboration subversive entre la Marine de guerre et les camionneurs chiliens dans le but de détruire le gouvernement d’Unité populaire.
5. Le coût politique de Huanuni
Utilisant l’affrontement armé entre membres des coopératives minières et mineurs salariés de Huanuni, dans le département de Potosi, qui a fait quelque 15 morts, la Centrale ouvrière bolivienne (COB) et la Centrale ouvrière régionale (COR) de El Alto [qui sont en conflit avec le gouvernement d’Evo Morales] dérivent dangereusement en direction de ce front déstabilisateur et antagonique avec le gouvernement. Cela alors que la Fédération des Coopératives de mineurs (Fencomin) a rompu son alliance avec le Mouvement pour le socialisme (MAS), qui est le parti du gouvernement.
Le conflit de Huanuni est d’origine économique. Il résulte de l’intention de quelque quatre mille mineurs de coopératives, proches du ministre des Mines, Walter Villarroel, de se réserver l’exploitation de la mine d’étain la plus riche de Bolivie, Possokoni (près d’Oruro) en expulsant de manière violente un millier de mineurs salariés de l’entreprise étatisée, la COMIBOL.
La Fencomin est une organisation petite-bourgeoise qui, sous les gouvernements faibles de Calos Mesa et Rodriguez Veltzé, s’est transformée en un pouvoir économique expansionniste et prédateur. Déjà en mai 2004, elle s’est emparée des mines de Caracoles et de Colquiri, délogeant par la force des mineurs du secteur étatique et leurs familles.
Le gouvernement d’Evo Morales a été surpris [3]par le déchaînement de la violence à Huanuni. Face à l’alternative de faire tuer des mineurs par les Forces armées, d’une part, ou d’être accusé de « négligence et d’absence de l’État », d’autre part, il a laissé s’écouler 30 heures au cours desquelles ne s’est pas exprimée une réponse énergique, heures qui se sont converties en un avantage énorme pour la propagande et la politique de la droite. Cette dernière a exploité au maximum son hégémonie sur les médias et, dans des conditions très semblables à la manipulation médiatique survenue pendant le coup d’État au Venezuela (en 2002), n’a pas cessé de tirer sur le gouvernement.
6. La phalange internationale
En Bolivie, on suit minutieusement le manuel de la subversion des États-Unis. La machine factieuse est lubrifiée avec de l’argent, des parrains propagandistes et une programmation politique par l’impérialisme des États-Unis qui, depuis le 11 septembre 2001, a mis Evo Morales sur la liste des terroristes possibles.
Les complices de l’Union européenne et les transnationales de l’énergie complètent la phalange subversive. "BP-Tony", premier Ministre britannique et agent politique de la British Petroleum, a suggéré aux entreprises de l’énergie du Royaume-Uni de ne pas investir dans le pétrole bolivien.
Ce que Tony Blair fait dans les couloirs obscurs du 10 Downing Street, la transnationale brésilienne, Petrobras, le fait dans une transparence obscène. Administrée de fait par les banquiers de Wall Street et de la City de Londres, elle a développé une attitude prédatrice et néo-coloniale face à la Bolivie et aux autres pays latino-américains qui fait paraître bien pâle le comportement de certaines autres transnationales occidentales. A l’identique de l’espagnole Repsol, et antérieurement de la PVDSA (du Venezuela), Petrobras est avant tout un cheval de Troie pour la pénétration de la pétrocratie et du capital financier anglo-américain, avec une politique néo-coloniale qui requiert d’urgence l’organisation d’un boycott de tous ses produits dans l’ensemble de l’Amérique latine, afin de briser sa technocratie chauviniste parasitaire et, de même, pour renforcer le gouvernement de Lula.
La disparition de Jorge Julio Lopez en Argentine [un témoin clé pour le procès de tortionnaires argentins] met en relief, à nouveau, une vérité d’évidence que l’opinion publique ne veut pas écouter, et encore moins reconnaître : le pouvoir des oligarchies créoles continue, intact, dans toute l’Amérique du Sud. Et ce pouvoir, comme je l’ai écrit, ne sera pas touché sérieusement par les gouvernements développementistes de la région.
Un élément clé de ce pouvoir est représenté par les militaires et les réseaux continentaux du terrorisme de Washington qui, dans de nombreux cas, renvoient à l’« opération Condor » [opération de poursuite et d’assassinats des militant·e·s dans toute la région après le coup de Pinochet en 1973]. La récente tentative d’assassinat du Président Chavez, dans la province de Zulia, au cours de laquelle le sicaire a réussi à s’échapper en Colombie, tout comme la participation de militaires chiliens dans des réunions de conspirateurs boliviens, conforte ce scénario.
Le Chili a, naturellement, un intérêt vital à maintenir l’approvisionnement du gaz bolivien à bas prix [4], intérêt menacé, comme pour ce qui concerne la Petrobras et Repsol, par la politique de Evo qui cherche à récupérer des conditions meilleures de commercialisation des hydrocarbures nationaux.
7. Faire avorter le coup d’État
Tous veulent déplacer l’ « Indien » Evo qui perturbe les affaires, tout comme le « Noir » Chavez au Venezuela. Pour Chavez, après l’échec du coup d’Etat militaire, le moyen de « changement » choisi est le poison ou l’accident. En Bolivie, les « gamonales » (l’élite) et leurs parrains impériaux sont d’accord sur le fait qu’un coup d’Etat militaire pourrait être le moyen adéquat. Seulement un coup d’Etat militaire, comme le dit l’ami Mueller Rojas, ne peut pas se faire dans le « vide ». Ce que nous voyons en Bolivie est la tentative de la droite mondiale de remplir ce vide.
Mais, le coup d’Etat militaire est comme le cambriolage de banque : il est seulement couronné de succès s’il conserve le moment de la surprise. Les Boliviens subversifs ont perdu ce moment. C’est un devoir éthique de divulguer leur projet de coup d’Etat de la manière la plus ample possible, pour le faire avorter.
Aujourd’hui, plus que jamais, la révolution bolivienne a besoin de notre solidarité mondiale.
Heinz Dietrich, intellectuel allemand, spécialiste de l’Amérique latine, actif au Venezuela.
– Traduction : A l’encontre
– Source : A l’encontre http://www.alencontre.org
Bolivie : Une autre cible pour Washington ? par Juana Carrasco Martin.
Les premiers pas du gouvernement Morales, par Hervé Do Alto.
Les USA encaissent un nouveau coup : La Bolivie, Le Venezuela et Cuba signent le Traité de Commerce des Peuples.
[ La « guerre de l’eau » d’abord, et la « guerre du gaz » maintenant - qui est la vraie raison du conflit - font de la Bolivie un des pays les plus existants au monde. Un pays très moderne et d’avant-garde. Parce que c’est là que se joue la partie entre la mondialisation néo-libérale et la mondialisation des droits et des ressources humaines. ]
La guerre juste d’un pays à l’avant-garde, par Maurizio Matteuzzi.