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Bolivie : Les premiers pas du gouvernement Morales, par Hervé Do Alto.





La nationalisation des hydrocarbures réalisée le 1er mai 2006 par le gouvernement d’Evo Morales met un terme à un premier cycle de réformes d’à peine trois mois. Cette troisième nationalisation de l’histoire de la Bolivie - après celles de 1937 et 1969 - n’a en effet pas seulement attiré les projecteurs des médias internationaux sur le plus pauvre des pays d’Amérique du Sud : elle a également démontré la prédisposition du gouvernement Morales à conduire ce processus nationaliste et populaire vers des transformations structurelles de l’économie et de la société boliviennes, comme en témoignent les premières mesures prises en matière de politiques économiques et sociales, ou encore de politique étrangère. Au grand dam des États-Unis, des gouvernements sociaux-libéraux sud-américains et des « partenaires » économiques de l’Union européenne qui, chacun à leur manière, ont fait montre des limites de leur solidarité à l’égard de Morales et de sa politique.



Inprecor, juin 2006.


Nationalisation des hydrocarbures

La promulgation du Décret Suprême (DS) 28701, dit décret « Héroes del Chaco » [1], rendue publique par le président Morales depuis le champ gazier de San Alberto, dans le département de Tarija, au moment même où les Forces Armées boliviennes occupaient la totalité des zones de production hydrocarburifères du pays, est de première importance, tant symboliquement qu’économiquement. Si la consigne de nationalisation des hydrocarbures figurait dans le programme du Mouvement vers le Socialisme (MAS) pour les élections générales de décembre 2005, un sens commun semblait s’être instauré, y compris au sein du MAS, pour considérer que la nationalisation à venir ne ferait que correspondre à l’application effective de l’actuelle Loi sur les hydrocarbures (Loi 3058), votée sous Carlos Mesa en mai 2005 en vertu des résultats du Référendum de juillet de l’année précédente. Le DS 28701, à la surprise générale, va pourtant beaucoup plus loin que la Loi dont il reprend certaines des dispositions.

Ce décret, qui reste dans la ligne d’une « nationalisation sans expropriation » proposée par le MAS lors de la campagne électorale, vise à instaurer un modèle d’exploitation des ressources naturelles par le biais d’un partenariat public/privé dont l’État devient l’associé majoritaire, chargé à ce titre de définir une politique nationale en matière d’hydrocarbures, dans le domaine de la prospection et de la commercialisation notamment. De ce fait, si les compagnies pétrolières présentes en Bolivie conservent leurs actifs et voient leurs investissements demeurer intacts, elles sont réduites au rôle de « prestataires de service », dont l’unique fonction sera d’exploiter le pétrole et le gaz.

S’agit-il dès lors d’une véritable nationalisation, dans la mesure où ces compagnies restent relativement épargnées par ce décret, qui non seulement leur permet de demeurer dans le pays, mais laisse également la quasi-totalité de leurs biens entre leurs mains ? Il est intéressant de constater qu’à part quelques cercles - très restreints et sans influence sur le débat public, qu’ils soient nationalistes, réunis autour de la figure du journaliste spécialisé sur les hydrocarbures, Mirko Orgáz [2], ou issus de la gauche sociale, autour du secrétaire de la Centrale Ouvrière Bolivienne (COB), Jaime Solares - le caractère « radical » de la nationalisation est très peu discuté au sein de l’ensemble des mouvements sociaux, qui pour leur grande majorité ont accueilli la mesure avec joie. De fait, s’il reprend la structure de la Loi 3058 - qui, soit dit en passant, ne fut jamais appliquée - du point de vue de la récupération de la propriété et du contrôle des hydrocarbures, et de la refondation de l’ancienne compagnie d’État YPFB (Gisements Pétrolifères Fiscaux Boliviens), privatisée et fragmentée en plusieurs compagnies (Chaco, Andina et Transredes) en 1996 sous l’ère néolibérale imposée alors par Gonzalo Sánchez de Lozada, le décret 28701 entend redonner à l’État bolivien le premier rôle dans la chaîne productive des hydrocarbures, tout en lui assurant un partage des profits liés au gaz qui lui soit avantageux.

Lors de la capitalisation d’YPFB et de sa fragmentation, deux types d’actionnaires se retrouvent aux commandes des compagnies nouvellement créées : d’une part, les compagnies pétrolières étrangères, majoritaires, et d’autre part, les Fonds de Capitalisation Collective (FCC), des fonds de pension chargés de gérer des actions qui ne sont que formellement détenues par les Boliviens. Si la Loi 3058 prévoyait de refonder YPFB par le biais du transfert gratuit des actions gérées par les FCC, le décret 28701, lui, va plus loin en imposant la nationalisation des actions nécessaires pour faire de l’État l’actionnaire majoritaire de ces trois entreprises, via la possession de 51 % d’actions. Dès lors, au-delà de la propriété des hydrocarbures, la Bolivie peut déterminer une politique en matière d’hydrocarbures avec la garantie de pouvoir la faire appliquer par des compagnies chargées des opérations d’exploitation, dont le contrôle est désormais détenu par YPFB. Parallèlement à la récupération du contrôle de ces trois entreprises capitalisées, le décret prévoit également la nationalisation des actions de deux entreprises, Petrobras Bolivia Refinación, chargée des opérations de raffinage, et de la Compañia Logà­stica de Hidrocarburos de Bolivia, chargée du transport. De la sorte, c’est toute la chaîne productive, de la prospection jusqu’au transport, qui se retrouve contrôlée par l’État, grâce à la nationalisation des actions de ces compagnies dont la création fut le fruit de l’introduction d’une logique de sous-traitance parallèle à la capitalisation.

La deuxième forte involution réside dans le partage des profits générés par les hydrocarbures. Alors que la Loi 3058, adoptée dans un climat de conflit croissant entre les mouvements sociaux venus de l’Occidente et les groupes d’intérêt patronaux liés au Comité Civique Pro-Santa Cruz, ne prévoyait qu’un partage des royalties 50/50 entre État et compagnies pétrolières, le décret impose quant à lui une participation à la refondation d’YPFB de 32 % sur ces profits sur les deux méga-champs d’exploitation de San Alberto et Sávalo, qui représentent à eux seuls 70 % de la production d’hydrocarbures en Bolivie, haussant de la sorte la part des bénéfices revenant à l’État à 82 %.

Outre qu’elle permettra à l’État bolivien d’accroître ses revenus de 300 millions de dollars additionnels, pour un bénéfice total dépassant les 700 millions, cette disposition renverse symboliquement le partage des profits antérieur à la première « guerre du gaz » d’Octobre 2003, à savoir 18 % pour l’État bolivien et 82 % pour les compagnies pétrolières. En dépit du caractère provisoire de cette répartition tel que le prévoit le décret, Morales s’est d’ores et déjà engagé à ce que la négociation avec les compagnies pétrolières des nouveaux contrats répondant à cette nouvelle norme ne puisse pas remettre en cause cette répartition.

En fait, toute limitée soit-elle au premier abord, cette nationalisation est en partie le fruit d’un contexte politique, économique et social dont les critiques font généralement abstraction. Ainsi, le journal nationaliste bolivien Hora 25 déclare-t-il que la mesure de nationalisation avec expropriation et sans indemnisation est la seule qui aurait pu « retenir 100 % de la rente gazifère pour le développement de la Bolivie » [3], et qu’elle était possible via l’application du droit international (thèse 1803 des Nations Unies) et de la Constitution (article 22), comme le firent par le passé le Mexique (1938), le Venezuela (1975), l’Iran (1979) et le Koweït (1984), ainsi que la Bolivie elle-même en 1937 et en 1969. Ces affirmations, aussi justes soient-elles, oublient cependant un certain nombre d’éléments relatifs aux rapports de force actuels dans la région, ainsi qu’à la nature de la présente nationalisation.


Effets géopolitiques

A l’heure actuelle, non seulement les États-Unis sont présents via Exxon, mais également la France (Total), l’Espagne (Repsol-YPF), les Pays-Bas (Shell), et la Grande-Bretagne (British Gas et British Petroleum), sans oublier bien sûr le Brésil, dont la compagnie Petrobras est sans conteste la plus présente et la plus impliquée tant dans la production que dans la prospection du gaz bolivien. Autrement dit, une nationalisation absolue des hydrocarbures aurait impliqué un bras de fer avec la quasi-totalité des pays impérialistes occidentaux, auquel il faut ajouter le Brésil, dont les prétentions hégémoniques sur l’Amérique latine n’ont guère été freinées par les orientations du gouvernement social-libéral de Lula.

Les dirigeants des pays dont les compagnies étaient les plus affectées par le décret 28701 n’ont pas tardé à réagir, et quelques minutes à peine après l’annonce de la nationalisation, Lula da Silva dénonçait « un geste non amical » de la part du voisin bolivien, tandis que José Luis Zapatero, le premier ministre espagnol, faisait part de sa « préoccupation ». C’est dans un climat d’union sacrée nationaliste derrière leurs compagnies pétrolières respectives que la plupart des PDG et chefs d’État - engagés selon les termes de bon nombre d’entre eux, comme Lula, à se faire « le[s] défenseur[s] le[s] plus intransigeant[s] de [leurs] intérêts » - ont réagi à la nationalisation bolivienne. Ainsi, Thierry Desmarets, PDG de Total, réagissait dès le lendemain en indiquant au journal Le Monde qu’en dépit de la faible importance de la Bolivie dans les investissements de sa compagnie (de l’ordre de 3 % seulement), il était hors de question de laisser l’État bolivien piétiner ses intérêts.

Dès le 4 mai, Lula, faisant pression sur le président argentin Nestor Kirchner pour faire front commun face à la Bolivie, provoquait de son côté une réunion d’urgence dans la ville de Puerto Iguazú (Argentine), à la frontière du Paraguay et du Brésil, pour discuter de l’avenir du gaz bolivien en compagnie de Morales et du chef d’État vénézuélien Hugo Chávez. Ce gaz est en effet de première importance pour les deux pays : l’Argentine en est complètement dépendante du point de vue énergétique, tandis qu’au Brésil, cette ressource représente 70 % de la consommation de la région industrielle de Sao Paulo, ce chiffre atteignant 100 % dans les trois États du sud du Brésil (Paraná, Santa Catarina et Rio Grande do Sul). A ces deux pays, il faut ajouter le Chili, pays au sujet duquel on sait depuis peu que l’Argentine lui revend une partie du gaz qu’elle achète à la Bolivie, via Repsol-YPF.

Jusque-là , la Bolivie vendait son gaz à un prix, dit « prix solidaire », bien inférieur aux prix du marché, soit à peine plus de 3 dollars le mètre cube au lieu de 7 dollars. Alors même que la pénurie de gaz, due à des faits de contrebande au sujet desquelles la responsabilité des compagnies pétrolières elles-mêmes n’est toujours pas écartée, est un mal chronique en Bolivie, et que les connexions domestiques au gaz ne sont que le privilège d’une infime minorité de la population, c’est à un prix au rabais que les gouvernements précédents cédaient cette ressource à des voisins qui, en dépit d’une orientation politique prétendument progressiste, ne pratiquaient la solidarité que dans la mesure où celle-ci leur bénéficiait directement.

La pax romana scellée à l’issue de ce mini-sommet de Puerto Iguazú [4], laissant en suspens la question de l’augmentation des prix du gaz (non résolue par le décret) et permettant d’afficher une unité entre les quatre leaders dont plus personne ne doutait qu’il s’agissait d’une unité de façade, éclata de fait quelques jours plus tard, lors du sommet Union Européenne (UE)/Amérique latine et Caraïbes (ALC), tenu à Vienne du 11 au 13 mai 2006. Evo Morales fut alors exposé à une offensive généralisée de la part de l’ensemble des chefs d’État présents, aussi bien européens que latino-américains, chacun y allant d’un commentaire sur la nécessité de « ne pas politiser l’économie », comme le suggérait le président péruvien Alejandro Toledo. Les accusations de contrebande que Morales porta alors à l’encontre de Petrobras provoquèrent la colère de Celso Amorim, chancelier brésilien, qui se livra à un véritable plaidoyer en défense de la compagnie brésilienne. A l’heure où s’ouvrent les négociations relatives au prix du gaz bolivien pour l’Argentine et le Brésil, Lula et Amorim ont fait connaître leur intention de rendre leur pays indépendant du point de vue énergétique à partir de 2008, cherchant ainsi à mettre la pression sur le gouvernement Morales et à regagner une crédibilité dans l’opinion publique brésilienne face à une droite qui a profité de ces tensions pour dénoncer l’incapacité de Lula à tenir son turbulent voisin bolivien en respect.


Vers la reconstruction de l’État

La nationalisation des hydrocarbures conduit la Bolivie à adopter des conditions d’exploitation finalement très similaires à celles du Venezuela, où PDVSA s’est ouvert à la coopération avec les compagnies pétrolières (le partage de la rente étant de l’ordre de 80 % pour l’État et 20 % pour ces dernières). Elle permet temporairement à la Bolivie de conserver une main-d’oeuvre dotée d’un savoir-faire dont une expropriation aurait pu la priver. Car sans doute la grande difficulté rencontrée par Morales depuis son accession au pouvoir, et ce dans tous les secteurs, est d’avoir pris possession d’un État que vingt ans de néolibéralisme ont rendu exsangue, tant en termes de ressources que de personnel compétent. Dans le domaine des hydrocarbures, il n’est effectivement pas dit que la compagnie YPFB aurait été capable de reprendre en charge seule le contrôle de l’ensemble de la chaîne productive, tant le processus de capitalisation en a fait une coquille vide qui se serait sans doute retrouvée désemparée face au scénario de départ massif de cadres techniques en cas d’expropriation. Une telle option aurait donc constitué un véritable pari, dans un contexte où l’hostilité à l’égard du régime de Morales se serait trouvée décuplée.

Pour autant, cela signifie-t-il que l’actuel décret était le meilleurs choix possible ? Ce décret étant le fruit d’une conjoncture, il est tout à fait envisageable que Morales, à moyen terme, décide de ne pas en rester là et de s’en prendre aux pétrolières qui ne se conformeraient pas aux règles qui leur sont imposées. Tant les soupçons pesant sur certaines compagnies quant à des actions de contrebande, que le fait que Morales évoque un « processus de nationalisation », laissent penser que ce gouvernement, s’il venait à se renforcer, pourrait aller plus loin dans la réappropriation sociale des ressources naturelles.

C’est d’ailleurs selon la même tactique de mise en place d’entreprises mixtes contrôlées par l’État que l’actuel gouvernement compte procéder à la nationalisation de nouvelles ressources naturelles. Ainsi, dans le domaine des mines, c’est peu ou prou la même stratégie qui sera mise en place. Une refondation progressive de la COMIBOL (Corporation Minière de Bolivie), par le truchement d’une augmentation significative des impôts versés par les compagnies exploitantes, et l’expropriation des concessions qui, au terme d’un audit, seraient jugées improductives ou ne respecteraient pas les nouvelles règles du jeu, sont annoncées. Le but est ici de pouvoir redonner peu à peu un rôle de premier plan à la COMIBOL dans l’ensemble de la chaîne productive, et d’améliorer le statut des travailleurs de la mine qui, salariés ou coopérativistes, ont connu une extrême précarisation de leur condition.

Dès le 1er mai, jour de la nationalisation, Morales annonçait publiquement que ce processus de nationalisation concernerait bien d’autres ressources encore, telles que le bois et l’eau, dont la privatisation de la gestion fut le motif d’intenses luttes sociales, tant à Cochabamba en 2000 qu’à El Alto en 2005. Un plan agraire a également été rendu public récemment : basé sur la récupération et la redistribution des terres ne remplissant pas une fonction économique et sociale, la mesure devrait concerner entre 11 et 14 millions d’hectares, soit rien de moins que 10 % de la terre. Un premier pas dans un pays où 90 % de la terre est aux mains d’à peine 10 % de la population. Ce plan, qui n’en est pourtant qu’au stade de projet, provoque d’ores et déjà la réaction de l’oligarchie de Santa Cruz qui, à travers la Chambre Agricole de l’Est bolivien (en espagnol, CAO), entend défendre les propriétés de ses membres.

Au terme d’à peine plus de trois mois de gouvernement, l’équipe d’Evo Morales s’est donc attaquée à plusieurs chantiers à la fois, au risque de voir se multiplier les fronts d’opposition à sa politique. Orientée vers la reconstruction d’un État capable de coordonner et d’intervenir dans la sphère productive, la politique économique du gouvernement du MAS a pour but de générer une croissance qui puisse se concrétiser par l’amélioration la plus rapide possible des conditions de vie de la majorité des Boliviens et des Boliviennes. La réussite de cette politique à générer de la croissance sera en effet la condition pour embrayer à moyen terme sur une politique sociale plus ambitieuse. Si l’envoi massif de médecins cubains dans les campagnes, ainsi que les plans d’alphabétisation et d’émission de cartes d’identité, font l’objet d’une forte médiatisation, ils ne cachent que difficilement le faible bilan du gouvernement sur ce point, partiellement illustré par une augmentation modérée du salaire minimum d’à peine plus de 15 %.


Panorama politique dégagé

Si les pressions externes exercées sur le gouvernement du MAS sont nombreuses, comme le prouvent les déclarations tenues par le président états-unien George W. Bush qui, le 23 mai 2006, s’est dit préoccupé par l’érosion de la démocratie en Bolivie, la scène politique locale est pour sa part marquée par une certaine apathie.

A un mois de l’élection de l’Assemblée Constituante, il n’existe pratiquement aucun débat public d’ampleur, et pour dire vrai, la campagne elle-même n’a pas réellement commencé. Sans doute la nationalisation des hydrocarbures y est-elle pour quelque chose : les sondages d’opinion montrent une large approbation quant à cette nationalisation, y compris dans les bastions généralement marqués à droite, tels que le département de Santa Cruz. Tandis que le gouvernement Morales y a gagné en légitimité, les différents mouvements sociaux, de droite comme de gauche, qui manifestaient une certaine autonomie à l’égard du pouvoir exécutif, ont de fait perdu de leur capacité de mobilisation.

Ainsi, alors que le Comité Civique Pro-Santa Cruz appelait à une mobilisation le 4 mai pour réclamer des emplois publics pour le département, l’annonce de la nationalisation et ses répercussions ont contraint ses dirigeants à faire machine arrière et à se contenter d’une négociation avec le gouvernement, en dépit d’une satisfaction plus que limitée de leurs revendications.

Parallèlement, la gauche sociale non affiliée au MAS paraît quant à elle durablement marginalisée : tandis que Felipe Quispe annonçait fin avril son retrait progressif de la vie politique et syndicale, Jaime Solares appelait les syndicats membres de la COB à une grève générale, le 21 avril, pour protester contre le non-respect par le gouvernement du fameux « agenda d’octobre ». Ne réunissant qu’environ 200 personnes sur la Place San Francisco, la place centrale de La Paz qui fut le lieu de convergence des plus grandes mobilisations de ces dernières années, Solares n’apparut jamais aussi isolé. En décalage complet avec une écrasante majorité du mouvement ouvrier et populaire qui considère que le gouvernement est le sien et qu’il faut lui laisser du temps, Solares tenta une nouvelle fois de mobiliser ses troupes contre Morales à l’occasion du 1er mai : et une nouvelle fois, ce fut un véritable camouflet pour le leader syndical qui, après avoir conspué le gouvernement devant des troupes dépassant difficilement le millier de personnes, se fit copieusement insulter par celles et ceux qui participaient à la manifestation menée par l’État-major du Peuple (EMP). Fondé au cours du cycle de mobilisations qui se conclut, en 2005, par la crise de mai-juin et la démission de Carlos Mesa, avec comme objectif la coordination de l’ensemble des mouvements sociaux boliviens, l’EMP s’est converti en une structure de « défense du gouvernement par les organisations elles-mêmes », désormais dirigée par Hugo Moldiz et Román Loayza, l’ex-dirigeant de la Confédération paysanne bolivienne (CSUTCB). En somme, elle est devenue une instance de coordination des syndicats et associations membres du MAS, dont le but avoué est de prendre la tête de la COB qui, ces dernières années, était resté la seule organisation à résister aux tentatives de prise de contrôle. Notons d’ailleurs que l’EMP ressemble plus à une coordination de directions, et non à une instance permettant de générer des débats sur l’action gouvernementale à un niveau de base.

Sur le plan plus strictement politique, la disparition du Mouvement Indigène Pachakuti (MIP) de Felipe Quispe assure désormais au MAS un quasi-monopole sur la représentation de la gauche, et plus largement, du camp « nationaliste, indigène et populaire ».

La droite, quant à elle, semble devoir encaisser avec la nationalisation un second KO qui fait suite à la déroute électorale de décembre 2005. La marginalisation qui résulta des scores de cette échéance s’est en effet traduite par la quasi-disparition des leaders de la droite politique que sont Jorge « Tuto » Quiroga et Samuel Doria Medina. Au sein du Congrès, leurs partis sont inaudibles, et l’apathie généralisée qui règne en ce début de campagne électorale pour l’élection de la Constituante ne semble pas pouvoir leur permettre de rivaliser avec un MAS qui apparaît plus que jamais hégémonique.

Seuls les préfets se risquent parfois à se confronter au gouvernement, notamment à Tarija et Santa Cruz où l’on semble ne pas vouloir attendre le Référendum sur les autonomies pour arracher des prérogatives au pouvoir exécutif. Cependant, ces attitudes demeurent largement minoritaires et laissent plutôt place à un grand pragmatisme de la part de préfets disposés à traiter avec le gouvernement pour obtenir une réalisation plus aisée des politiques qu’ils souhaitent mettre en place.

Dans ce contexte, le parti de Morales paraît s’acheminer tranquillement vers un succès significatif à la Constituante, en dépit d’une Loi de convocation limitée, qui ne devrait pas lui permettre d’obtenir une majorité absolue. Si cette loi relative à la Constituante et l’approbation de la convocation du Référendum sur les autonomies étaient apparues comme des concessions à l’oligarchie cruceña, il n’en a pas pour autant résulté une soumission des organisations sociales membres du MAS aux consignes initiales de sa direction. En effet, alors qu’au lendemain de la promulgation des lois convoquant la Constituante et le Référendum, à lvaro Garcà­a comme Evo Morales appelaient à soutenir le « oui » aux autonomies - avec comme stratégie une approbation massive qui viderait de son contenu l’autonomie à la cruceña - certains syndicats, principalement les organisations basées dans le département de Santa Cruz qui luttent précisément contre les velléités autonomistes de l’oligarchie depuis maintenant plusieurs années, ont commencé à contester la consigne en interne. Cette contestation gagne actuellement de plus en plus de militants, ce qui a d’ores et déjà provoqué un changement dans le discours de l’exécutif, qui a déclaré vouloir rester neutre dans cette campagne.

Malgré les concessions qu’ont représenté la convocation de ces deux consultations électorales, il semble pourtant que la double échéance du 2 juillet puisse confirmer l’hégémonie du MAS sur la scène politique bolivienne. Si un tel plébiscite avait lieu, il devrait non seulement encourager le gouvernement à poursuivre et approfondir les réformes entamées depuis maintenant trois mois, mais également à repenser son rapport aux organisations et mouvements sociaux, dont la place demeure relativement marginale au sein d’un processus qui se construit autour de l’omniprésente figure de Morales. L’enjeu est d’importance, d’autant qu’on ignore jusqu’où ira le soutien des Forces Armées boliviennes, qui semblent pour l’instant séduites par la geste nationaliste du régime, au processus en cours.

Hervé Do Alto, doctorant en science politique, est le correspondant d’Inprecor en Bolivie.


 Source : Inprecor www.inprecor.org


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[1L’intitulé du décret fait référence aux troupes boliviennes qui participèrent à la guerre du Chaco (1932-1935), guerre qui opposa la Bolivie au Paraguay dans ce qui fut connu comme la « guerre du pétrole ». La sanglante défaite de la Bolivie eut pour conséquence la cession du territoire du Chaco à Asunción. S’en suivit une forte montée du sentiment national qui s’exprima par l’arrivée au pouvoir du colonel German Busch, qui confisquera les concessions pétrolières de la Standard Oil Company en 1937, réalisant ainsi la première nationalisation des hydrocarbures de l’histoire bolivienne.

[2Mirko Orgáz est l’auteur de deux livres sur les hydrocarbures en Bolivie : La guerra del gas, Nación versus Estado transnacional, La Paz, Ofavin, 2002, et La nacionalización del gas, La Paz, C&C Editores, 2005.

[3« La nacionalización está en las manos del pueblo boliviano », Hora 25 n° 39 du 11 mai 2006.

[4Le seul acquis de ce mini-sommet pour la Bolivie fut la promesse de son intégration au projet « d’anneau énergétique sud-américain », obtenue en grande partie grâce à la médiation de Chávez.


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