RSS SyndicationTwitterFacebookFeedBurnerNetVibes
Rechercher

Pour une lecture profane des conflits

Georges Corm, économiste et historien, est l’auteur de nombreux ouvrages consacrés aux problèmes du développement et du monde arabe. Il répond à nos questions alors que paraît son dernier ouvrage : « Pour une lecture profane des conflits - Sur le « retour du religieux » dans les conflits contemporains du Moyen-Orient » (Editions la Découverte - 2012).

Vous appelez à une lecture profane des conflits. Qu’entendez-vous par là  ?

Il s’agit de revenir à une politologie classique et multifactorielle qui ne tient pas compte de la mode idéologique à travers laquelle on justifie un conflit. Cette dernière a changé au cours des deux, trois derniers siècles. Au XIXe siècle, les conflits étaient analysés en termes de luttes nationales, par exemple en Europe, qui déboucheront sur les deux grands conflits mondiaux. Par la suite, on a eu tendance à tout analyser en termes de lutte des classes et en termes de lutte contre le capitalisme-impérialisme. Enfin, dernière étape dans laquelle nous sommes aujourd’hui, on invoque l’anthropologie politico-religieuse, soit les valeurs judéo-chrétiennes quand il s’agit de l’Occident, et à l’opposé les valeurs arabo-musulmanes. On a donc des vapeurs religieuses, émotionnelles, qui empêchent de faire une analyse objective de la complexité du réel. J’appelle lecture ou approche profane d’un conflit le fait de regarder toutes les données d’un conflit, qui sont à facettes multiples, et non pas de s’arrêter sur une grille de lecture du type : « Il y a des bons et il y a des méchants ».

La religion -l’islam en particulier- tient une grande place dans votre livre. S’agit-il ici d’un ennemi « utile » depuis l’effondrement du bloc soviétique dans l’imaginaire collectif ?

J’essaie justement de montrer que si on fait appel au religieux, celui-ci n’est pas la source du conflit. Nous avons toute cette idéologie débilitante de conflit des civilisations, de non-dialogue des civilisations, qui brouille tout regard sur les ambitions de puissance et les hégémonies d’Etats très puissants, qui sont normales. Il y a également le fait qu’aujourd’hui, aussi, des Etats à prétention religieuse prétendent défendre une religion ou des valeurs religieuses à l’échelle internationale, tels Israël, le Pakistan, ou encore l’Arabie Saoudite qui se prétend défenseur des musulmans dans le monde entier. Ceci est une aberration : si l’on accepte que des Etats se servent de religions pour affirmer, en réalité, des hégémonies qui leur sont propres, c’est toute la vie internationale qui devient absolument insupportable, et c’est ainsi que l’on attise des conflits. Alors, effectivement, on a assisté à un glissement. Autrefois dans cette lutte supposée entre le Bien et le Mal, l’URSS était l’Empire du mal ; aujourd’hui, l’Empire du mal, ce sont les radicalismes islamiques qui s’expriment par des actes de violence sur le terrain. Le plus souvent d’ailleurs, ces actes de violence frappent d’autres musulmans, plus qu’ils ne frappent des armées occidentales occupantes.

Vous faites grand cas de l’héritage révolutionnaire français au Proche-Orient. A partir de quand peut-on dater cet « héritage » révolutionnaire et lesquelles de ses conséquences se font encore sentir aujourd’hui ?

Aussi bien dans la Turquie ottomane que dans le monde arabe, qui s’appelait à l’époque les Provinces arabes de l’Empire ottoman, la révolution française a eu un impact extrêmement rapide. En Egypte, Méhémet Ali, qui était le dirigeant au début du XIXe siècle, envoya en mission, à Paris, de 1826 à 1831, des étudiants égyptiens et leur imâm dont résultera un livre, devenu un classique de la Renaissance moderne arabe, « L’or de Paris » (qui a eu une traduction française), et dans lequel tous les concepts républicains qu’a apporté la révolution française sont exposés de façon très positive.

Ainsi, le concept de citoyenneté rentre déjà , dès les années 1830, dans le monde arabe. Ensuite, on oublie combien, dans les luttes anticoloniales il a été fait appel à l’esprit citoyen et républicain, à un nationalisme laïc. Tout cela est finalement arrivé à maturité au moment du mouvement des non-alignés, qui a un langage totalement laïc. Il y a notamment Nasser en Egypte, qui sera ce dirigeant adulé dans tout le monde arabe. A ce moment-là , les forces coloniales et impériales, anglaises comme françaises, vont avoir pour souci principal de liquider ce type de discours et vont chercher à favoriser, déjà à l’époque, la montée d’un discours islamique.

On observe cette conjonction très bizarre qui se manifeste à nouveau aujourd’hui consistant à dévoyer les révolutions arabes de leurs aspirations libertaires, où des Etats occidentaux sont alliés avec les pétromonarchies, lesquelles diffusent une idéologie très autoritaire en se basant sur une interprétation très spécieuse de l’islam, alors que, jusqu’au début des années 50-60, l’islam présentait un visage de libéralisme tout à fait exceptionnel. C’est le développement d’une Arabie Saoudite wahhabite et d’un Pakistan tendant vers un islam de même tendance, qui fait qu’on se retrouve aujourd’hui avec une force contre-révolutionnaire, qui a permis aux mouvances islamiques diverses de gagner des élections libres, en Egypte ou en Tunisie par exemple.

Georges Corm

Source : Affaires stratégiques http://www.affaires-strategiques.info/spip.php?article7327

URL de cet article 18282
  

CHE, PLUS QUE JAMAIS (ouvrage collectif)
Jean ORTIZ
Recueil d’interventions d’une vingtaine d’auteurs latino-américains et européens réunis à Pau en avril 2007 pour un colloque portant sur l’éthique dans la pratique et la pensée d’Ernesto Che Guevara, une pensée communiste en évolution, en recherche, qui se transforme en transformant, selon les intervenants. Quatrième de couverture On serait tenté d’écrire : enfin un livre sur le Che, sur la pensée et la pratique d’Ernesto Guevara, loin du Che désincarné, vidé d’idéologie, doux rêveur, marchandisé, (...)
Agrandir | voir bibliographie

 

"On pourrait penser qu’un pays qui peut équiper chaque flic comme un soldat pourrait équiper chaque médecin comme un médecin"

Jeff Bercovici

"Un système meurtrier est en train de se créer sous nos yeux" (Republik)
Une allégation de viol inventée et des preuves fabriquées en Suède, la pression du Royaume-Uni pour ne pas abandonner l’affaire, un juge partial, la détention dans une prison de sécurité maximale, la torture psychologique - et bientôt l’extradition vers les États-Unis, où il pourrait être condamné à 175 ans de prison pour avoir dénoncé des crimes de guerre. Pour la première fois, le rapporteur spécial des Nations unies sur la torture, Nils Melzer, parle en détail des conclusions explosives de son enquête sur (...)
11 
L’UNESCO et le «  symposium international sur la liberté d’expression » : entre instrumentalisation et nouvelle croisade (il fallait le voir pour le croire)
Le 26 janvier 2011, la presse Cubaine a annoncé l’homologation du premier vaccin thérapeutique au monde contre les stades avancés du cancer du poumon. Vous n’en avez pas entendu parler. Soit la presse cubaine ment, soit notre presse, jouissant de sa liberté d’expression légendaire, a décidé de ne pas vous en parler. (1) Le même jour, à l’initiative de la délégation suédoise à l’UNESCO, s’est tenu au siège de l’organisation à Paris un colloque international intitulé « Symposium international sur la liberté (...)
19 
Le fascisme reviendra sous couvert d’antifascisme - ou de Charlie Hebdo, ça dépend.
Le 8 août 2012, nous avons eu la surprise de découvrir dans Charlie Hebdo, sous la signature d’un de ses journalistes réguliers traitant de l’international, un article signalé en « une » sous le titre « Cette extrême droite qui soutient Damas », dans lequel (page 11) Le Grand Soir et deux de ses administrateurs sont qualifiés de « bruns » et « rouges bruns ». Pour qui connaît l’histoire des sinistres SA hitlériennes (« les chemises brunes »), c’est une accusation de nazisme et d’antisémitisme qui est ainsi (...)
124 
Vos dons sont vitaux pour soutenir notre combat contre cette attaque ainsi que les autres formes de censures, pour les projets de Wikileaks, l'équipe, les serveurs, et les infrastructures de protection. Nous sommes entièrement soutenus par le grand public.
CLIQUEZ ICI
© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.