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Poésie et exil (5)

On peut être mécréant et éprouver une réelle sympathie pour Félicité Robert de Lammenais.

Il est parti de la bonne vraie droite traditionaliste pour épouser les idées de gauche de la Révolution de 1848. Il refusera même les derniers sacrements avant de mourir en février 1854.

Lorsque la France s’industrialise durant la première moitié du XIXe siècle, Lammeanis dénonce l’arrogance du capitalisme et le sort qu’il réserve aux classes populaires.
Il désapprouve le Concordat de 1801 qui a fait des prêtres de simples fonctionnaires de l’État français et s’oppose au gallicanisme, une idéologie qui veut placer la religion sous la tutelle du gouvernement. En avance de deux génération sur les républicains laïcs, il réclame la séparation de l’Église et de l’État : « Nous sommes payés par ceux qui nous regardent comme des hypocrites ou des imbéciles et sont persuadés que notre vie tient à leur argent. Leur traitement est si injurieux que des hommes qui le souffrent tombent nécessairement au-dessous du mépris ».

Dans le texte qui suit, tiré de Paroles d’un croyant (1834), il exprime sa compassion pour les exilés :

Il s’en allait errant sur la terre. Que Dieu guide le pauvre exilé !

J’ai passé à travers les peuples, et ils m’ont regardé, et je les ai regardés, et nous ne nous sommes point reconnus. L’exilé partout est seul.

Lorsque je voyais, au déclin du jour, s’élever du creux d’un vallon la fumée de quelque chaumière, je me disais : Heureux celui qui retrouve le soir le foyer domestique, et s’y assied au milieu des siens. L’exilé partout est seul.

Où vont ces nuages que chasse la tempête ? Elle me chasse comme eux, et qu’importe où ? L’exilé partout est seul.

Ces arbres sont beaux, ces fleurs sont belles ; mais ce ne sont point les fleurs ni les arbres de mon pays : ils ne me disent rien. L’exilé partout est seul.

Ce ruisseau coule mollement dans la plaine ; mais son murmure n’est pas celui qu’entendit mon enfance : il ne rappelle à mon âme aucun souvenir. L’exilé partout
est seul.

Ces chants sont doux, mais les tristesses et les joies qu’ils réveillent ne sont ni mes tristesses ni mes joies. L’exilé partout est seul.

On m’a demandé : Pourquoi pleurez-vous ? Et quand je l’ai dit, nul n’a pleuré parce qu’on ne me comprenait point. L’exilé partout est seul.

J’ai vu des vieillards entourés d’enfants, comme l’olivier de ses rejetons ; mais aucun de ces vieillards ne m’appelait son fils, aucun de ces enfants ne m’appelait son frère. L’exilé partout est seul.

J’ai vu des jeunes filles sourire, d’un sourire aussi pur que la brise du matin, à celui que leur amour s’était choisi pour époux ; mais pas une ne m’a souri. L’exilé partout est seul.

J’ai vu des jeunes hommes, poitrine contre poitrine, s’étreindre comme s’ils avaient voulu de deux vies ne faire qu’une vie ; mais pas un ne m’a serré la main. L’exilé partout est seul.

Il n’y a d’amis, d’épouses, de pères et de frères que dans la patrie. L’exilé partout est seul.

Pauvre exilé, cesse de gémir ; tous sont bannis comme toi : tous voient passer et s’évanouir pères, frères, épouses, amis.

La patrie n’est point ici-bas ; l’homme vainement l’y cherche ; ce qu’il prend pour elle n’est qu’un gîte d’une nuit.

Il s’en va errant sur la terre. Que Dieu guide le pauvre exilé !

http://bernard-gensane.over-blog.com/

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