(Les victimes d’Irak n’existent pas,
ces victimes sont seulement un espace vide de la conscience du monde.)
Le premier ministre Maliki exprime ses doléances envers Washington.
WSWS, 1er novembre 2006.
Les tensions augmentant entre l’administration Bush et le chef du gouvernement à Bagdad soigneusement choisi par Washington, le premier ministre Nouri al-Maliki, ont explosé à la surface lors d’une rencontre vendredi dernier entre Maliki et l’ambassadeur américain en Irak, Zalmay Khalilzad.
En réponse aux pressions américaines de plus en plus importantes pour que Maliki sévisse contre les milices chiites hostiles à l’occupation américaine et aux critiques publiques de Maliki par les dirigeants militaires et politiques américains, le premier ministre s’est plaint que Khalilzad et l’administration Bush minaient la fiction officielle qu’il était le chef souverain du gouvernement démocratique.
« Je suis l’ami des Etats-Unis, mais pas l’homme des Etats-Unis en Irak », a dit Maliki à Khalilzad, selon Hassan Senaid, un des conseillers de Maliki.
Les commentaires de Maliki ont été précédés par une conférence de presse le 24 octobre, organisée dans la zone verte de Bagdad par Khalilzad et le commandant des forces américaines en Irak, le général George Casey. Khalilzad a annoncé qu’une entente avait été conclue entre le gouvernement irakien sur un échéancier pour une série de mesures pour établir la stabilité en Irak.
Les Etats-Unis demandent que Maliki arrive à une entente sur le partage des revenus du pétrole et sur d’autres questions avec les représentants de l’élite sunnite, y compris les baasistes associés avec le régime déchu de Saddam Hussein. Ils ont aussi exigé que Maliki soutient les plans américains d’attaques sur le bastion de la milice Armée du Mahdi, dirigé par l’imam chiite Moqtada al-Sadr, le populeux quartier chiite de Bagdad, Sadr City. (N.d.l.r. Les chiites irakiens s’inquiètent des affinités sunnites des USA, Reuters, 1er Novembre 2006.)
Maliki a répondu à la presse de conférence de Khalilzad et Casey en déclarant que le gouvernement irakien « est un gouvernement soumis à la volonté populaire et personne n’a le droit de lui imposer un échéancier ». Il a dit que son propre gouvernement n’a été impliqué dans aucune négociation sur un échéancier et que « seul le peuple qui a élu le gouvernement a le droit d’imposer des limites de temps ou des amendements ».
Ces commentaires ne sont que la plus récente indication de conflits entre le gouvernement Maliki et les occupants américains. Durant l’attaque israélienne sur le Liban cet été et qui était soutenue par les Etats-Unis, Maliki a dénoncé l’agression israélienne et plus tard a eu une rencontre très médiatisée avec le président iranien Ahmadinejad à Téhéran.
Le 13 octobre, Maliki a donné une entrevue à USA Today dans laquelle il déclarait son opposition aux préparatifs américains pour un assaut sanglant sur Sadr City, disant « La façon dont les forces multinationales pensent régler cette question, ce sera la destruction d’un quartier entier. »
Le 25 octobre, les Etats-Unis ont organisé un raid sur Sadr City, provoquant une réponse coléreuse de Maliki, qui a demandé - et obtenu - la libération d’un adjoint de haut rang de Sadr qu’avaient arrêté les forces américaines.
Alors que l’administration Bush a affirmé avoir confiance en Maliki, en coulisse elle prépare activement un coup pour mettre au pouvoir un gouvernement militaire qui aura promis de se soumettre aux diktats de Washington.
United Press International (UPI), qui est la propriété des éditeurs du quotidien de droite le Washington Post, a publié un reportage le 23 octobre, un jour avant la conférence de presse de Khalilzad et Casey, intitulé « Un coup contre Maliki est prétendument en préparation ». L’article disait que « Des officiers de l’armée irakienne planifient prétendument l’organisation d’un coup d’Etat militaire avec l’aide des Etats-Unis pour chasser le gouvernement du premier ministre Nouri al-Maliki ». Un tel coup est préparé « au cas où les tentatives du gouvernement Maliki pour restaurer l’ordre échoueraient ».
Citant « des sources arabes et irakiennes basées au Caire », l’UPI écrit que « plusieurs officiers irakiens » ont visité Washington récemment « pour avoir des pourparlers avec des responsables américains sur des plans pour remplacer l’administration de Maliki par un gouvernement de "salut national" ».
L’article continuait, « Parmi les officiers [irakiens] les plus en vue, on trouve l’assistant du chef de l’état-major, un chiite musulman, le chef des services du renseignement, un sunnite et le commandant des forces de l’air, un Kurde. On croit que les trois pourraient constituer le noyau du prochain gouvernement après que l’armée prenne le pouvoir.
« Le plan qui est suggéré, selon la source, stipule que la nouvelle armée irakienne, avec l’aide des forces américaines, prendra le pouvoir, suspendra la constitution, procédera à la dissolution du parlement, et formera un nouveau gouvernement. L’armée prendra aussi le contrôle direct des diverses provinces et de l’administration après avoir imposé l’état d’urgence.
« Une source arabe a aussi déclaré à UPI que certains pays arabes avaient été informés du plan. On aurait demandé leur aide pour convaincre les anciens chefs du régime destitué du Parti baasiste résidant dans leur pays de ne pas nuire à la procédure et d’arrêter la violence perpétrée par le parti en Irak. En retour, ils seront invités à participer plus tard au gouvernement. »
L’article de UPI n’est que le plus détaillé d’une série de reportages d’un possible coup d’État conçu par les États-Unis. Peu importe si le coup d’État est vraiment mis à exécution, les reportages sur de telles préparations sont mis en circulation pour augmenter la pression américaine sur Maliki pour qu’il exécute les demandes de l’armée des États-Unis.
En exigeant de Maliki qu’il approuve un assaut sur les milices chiites, les États-Unis réclament de lui qu’il attaque un important appui politique de ce régime hautement instable. Le premier ministre irakien, un chef du parti islamique chiite Dawa, est dépendant à l’intérieur de l’Irak des milices chiites, et en particulier de Sadr, qui possède un large appui parmi la population chiite de Bagdad et du sud du pays.
Il y a un aspect de farce dans les protestations de Maliki. Il est, après tout un pantin entre les mains des Américains qui a obtenu le poste qu’il occupe actuellement suite aux manoeuvres de Khalilzad lui-même.
Washington a considéré que Maliki était plus malléable que le candidat initialement choisi par le Parti dawa, le parti dirigé par Ibrahim al-Jaafari. Maliki sait très bien que sa position dépend entièrement de l’appui des Etats-Unis - qu’il est, en fait, « l’homme des Américains en Irak ». Son régime n’a jamais été considéré par les États-Unis comme étant un pas vers la démocratie, mais plutôt un mécanisme assurant aux États-Unis le contrôle des ressources pétrolières de l’Irak et la consolidation de l’hégémonie militaire et politique américaine sur la région.
Mais dans sa tentative de sauver son gouvernement - et vraisemblablement sa tête - Maliki utilise le prétexte donné par l’administration Bush pour poursuivre l’occupation par les Américains après que l’argument de la présence d’armes de destructions massives et celui des supposés liens entre l’Irak et al-Qaïda se soient révélé n’être que des mensonges et s’effondrent : que Maliki est à la tête d’un État souverain démocratiquement élu, le produit et symbole de la mission de démocratisation de Washington en Irak, qui doit être défendu contre les ennemis « terroristes » de la démocratie, c.-à -d. les Irakiens qui résistent à la domination militaire américaine.
Alors que Washington commence à laisser tomber la « démocratie » en tant qu’objectif en Irak, y substituant plutôt la « stabilité », l’administration Bush s’est retenue de poser des gestes directs contre Maliki à la veille des élections américaines du 7 novembre. Un tel geste, accompagné d’une offensive dirigée par les Etats-Unis contre la milice sadriste, pourrait avoir des conséquences militaires et politiques explosives, incluant un possible soulèvement de la population chiite en Irak et l’érosion déjà dramatique de l’appui domestique en faveur de l’occupation.
Samedi, Bush a tenu une vidéoconférence avec Maliki afin de faire baisser la tension et affirmer l’appui des États-Unis au premier ministre.
Néanmoins, il y a plusieurs signes qui indiquent qu’une escalade majeure de la violence en Irak, particulièrement à Bagdad, est en préparation, avec ou sans Maliki, pour la période suivant les élections de la semaine prochaine, et qu’elle va recevoir un appui bipartisan des démocrates aussi bien que des républicains, quelque soit le résultat du vote. Les militaires américains ont déjà commencé à faire des incursions dans Sadr City sous prétexte de retrouver un soldat manquant.
L’élite dirigeante américaine est préoccupée par la puissance de la milice chiite pour deux raisons. Premièrement, il y a une énorme opposition parmi les masses chiites à l’occupation américaine. Deuxièmement, ces groupes ont des liens étroits avec le régime iranien.
En éliminant le gouvernement baasiste, les États-Unis ont créé un vide du pouvoir politique que l’Iran doit combler, même si les États-Unis poursuivent une stratégie parallèle de miner l’Iran et préparer de nouvelles attaques militaires contre ce pays. Cependant, une action prise contre l’Iran, va obliger les États-Unis à créer un nouveau régime client basé sur une combinaison différente de forces politiques, religieuses et ethniques au sein de l’Irak.
Joe Kay
– Article original publié le 31 octobre 2006.
– Source : WSWS www.wsws.org
Revirement tactique de la politique US. Une conférence de presse à Bagdad donne les grandes lignes de l’intensification de la guerre américaine, par James Cogan.
Irak : Demandes plus pressantes de Washington pour un changement de cap, par James Cogan.