Madame la Rédactrice en chef
Je prends connaissance de votre dossier « avoir 20 ans à Jérusalem » paru dans le numéro du mois de novembre de « Phosphore ».
Sans doute part-il de l’idée de présenter de façon équilibrée les points de vue en présence. Du moins est-ce avec cet a priori que j’en ai abordé la lecture.
Il m’apparaît malheureusement après coup procéder d’une lecture biaisée de la réalité qui intériorise totalement un certain point de vue israélien.
Ainsi la légende de la carte présentée p. 34 nous indique les « territoires conquis en 1967 par Israël ». « Conquis » ? Que signifie ce terme alors que les résolutions de l’ONU (à commencer par la résolution 242) demandent l’évacuation des « territoires occupés » et que le Droit international ne saurait reconnaître de territoires acquis par la force. Quant aux colonies implantées en toute illégalité sur ces territoires, elles n’apparaissent pas ou sont devenues de simples « points de peuplement », au même titre que les autres zones de population !
Le texte de présentation du reportage nous apprend que la visite d’A. Sharon sur l’esplanade des mosquées « a précipité le déclenchement de l’Intifada préparée par les Palestiniens ». Le rédacteur de l’article aurait-il eu un scoop sur cette « préparation », alors que tous les journalistes ont pu constater son caractère spontané ? Il n’est pas indifférent par ailleurs qu’il glisse sur sa répression brutale : au soir du 4ème jour 53 morts palestiniens et ...3 israéliens.
De même parler de « l’impossible partage de Jérusalem », c’est porter un jugement qui disqualifie (sans qu’il soit besoin d’argumenter) les revendications palestiniennes.
La carte qui présente le « Grand Jérusalem » nous montre en légers pointillés « l’ancienne frontière israélo-jordanienne » et qualifie en toute innocence de « limite municipale de Jérusalem réunifiée » (comme Berlin ?) ce qui est la zone annexée illégalement par Israël et que ne reconnaissent ni la France, ni aucun Etat européen, ni même me semble-t-il les Etats-Unis.
J’en viens à la présentation des « témoignages ».
Côté israélien, les jeunes ne cèdent pas à la peur. Ils veulent vivre tout simplement. Je note qu’il n’est pas fait allusion au mouvement de ceux qui refusent d’aller servir dans les territoires occupés. Ils sont certes minoritaires mais posent à la société des questions qu’elle ne peut désormais plus éluder.
Côté palestinien, « la haine des Palestiniens est telle qu’ils adhèrent facilement à la propagande la plus extrême ». Ce type d’affirmation générale qui pourrait être contredite par la première interview venue m’apparaît extrêmement grave, d’autant qu’on s’adresse à des jeunes, et relève carrément du fantasme et de la désinformation. Les journalistes de terrain présents sur place pourraient en témoigner.
Quant aux « témoignages » eux-mêmes, j’en pointerai deux. Celui de Djihad à qui vous faites dire « Arafat ne vaut pas mieux que Sharon ». Certes, nombreux sont les Palestiniens qui exprimeront leurs réserves, voire leur opposition à Yasser Arafat, mais en trouver un qui affirme qu’il ne vaut pas mieux que Sharon relève d’une sorte d’exploit journalistique qui laisse songeur.
Et celui de Myrna qui demande un Etat palestinien et dont on nous dit qu’elle est née à Jérusalem-Est, annexée en 67. Et que de ce fait elle possède la nationalité israélienne et le droit de vote. Si cela était exact, elle ferait partie de l’infime pourcentage de Palestiniens de Jérusalem qui se sont vu attribuer la nationalité israélienne. L’immense majorité d’entre eux dispose d’un laisser-passer qui ne porte aucune mention de nationalité : Israël a annexé la terre, pas les habitants (contrairement à ce qui avait eu lieu pour les Palestiniens restés sur leurs terres en 1948). Les Palestiniens de Jérusalem sont donc « de nationalité indéterminée » ou possesseurs d’un passeport jordanien !
Sans doute n’est-il pas simple de présenter en quelques pages, pour des jeunes, un conflit comme celui-ci. Cela n’en impose que davantage de règles déontologiques qui, en l’occurrence ne semblent guère avoir été respectées.
Pourtant, nombreuses sont les associations qui oeuvrent sur le terrain au service des populations et pour tenter de construire un avenir de paix avec des partenaires israéliens et palestiniens. Je songe au CCFD, à Caritas, à Pax Christi, à Enfants réfugiés du monde, Enfants du monde droits de l’homme... et bien d’autres qui auraient pu donner à votre équipe un éclairage d’expérience et de vérité.
Avec l’espoir que vous reprendrez ce nécessaire travail d’enquête pour rendre compte de la réalité et la donner à voir sans faux-semblants à vos lecteurs, je vous adresse mes salutations attentives et vigilant .
Jean-Paul Roche, Angers