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Paris nous appartient : où nous mène le Grand Paris ?

Pendant que les candidats aux municipales, bientôt aux européennes, battent l’estrade, les choses sérieuses se décident en coulisses, et dans un parfait consensus entre droite et gauche (depuis l’accord de janvier 2011) : le Grand Paris tisse sa trame, étendant l’urbanisation de l’Ile de France, aux dépens de riches terres agricoles, et repoussant ouvriers et classes moyennes toujours plus loin.

La Mairie de Paris a ouvert une exposition sur le Grand Paris non loin de la Bastille : mais on n’y trouve que de belles photos publicitaires ; dans ce cadre, tout ce qui est neuf est bon, il n’y a aucun problème. Pour réfléchir sur le Grand Paris, il fallait aller au théâtre voir “ Paris nous appartient ”, du Moukden-théâtre ; à vrai dire, il n’était pas si facile de le voir, les municipalités ne se bousculant pas pour recevoir la troupe, qui a sauté, pour quelques jours chaque fois, de Bagnolet à Montpellier, et de Sartrouville à Béthune. C’est là que nous l’avons finalement rattrapée, alors que la fête foraine battait son plein, remplissant la grand’place, le beau temps aidant, de cette ambiance conviviale qu’on attribue aux gens du Nord et qui n’est décidément pas une légende.

Cette ambiance bon enfant faisait encore mieux mesurer les dégâts occasionnés à Paris et sa proche couronne par la gentrification, que le Grand Paris vise à étendre jusqu’à 30 km de la capitale.

Mais comment parler sur scène d’une politique urbanistique et de ses aspects les plus techniques sans faire lourd et ennuyeux ? Les auteurs, Eve Gollac et O. Coublon-Jablonka ont eu une brillante idée : intercaler les éléments d’information dans l’intrigue de La Vie Parisienne d’Offenbach. Il faut d’abord saluer la performance des acteurs qui, pour l’occasion, deviennent chanteurs et s’acquittent avec brio, et pour le plus grand plaisir du spectateur, des grands airs de l’opérette : “ Je suis Brésilien ”, “ Je veux m’en fourrer jusque-là ”, “ Frou-frou ” ...

Mais l’opérette n’apporte pas que son dynamisme : tout le montage repose sur un parallèle entre les grands travaux d’Haussmann et le projet du Grand Paris ; déjà, en 1853, la même logique était à l’oeuvre : éloigner les "classes dangereuses" et insuffisamment consommatrices, faire de Paris, la "Ville Lumière", un parc d’attractions et y attirer les riches du monde entier, remplaçant la population locale par une population hors-sol. C’était aussi les mêmes techniques de spéculation sur les sols déjà exposées par Zola, en 1871, dans La Curée) : des terrains situés dans des zones enclavées sont acquis bon marché et revendus avec de juteux bénéfices, une fois que l’Etat y a réalisé des infra-structures (routes, lignes de métro) voire un édifice de prestige comme le Stade de France. Le Grand Paris prévoit la construction de 72 gares, qui vont apporter un maillage dense et déterminer des parcelles facilement aménageables et revalorisables.

Le résultat sera grandiose : toute l’agglomération parisienne sera à considérer comme une seule ville, avec ses quartiers spécialisés, comme la Silicon Valley de Saclay. Pourquoi ce changement d’échelle ? pour rivaliser avec Londres, Berlin, Shangaï, c’est-à-dire mettre en concurrence les grandes capitales, mais aussi, dans chacune, les diverses zones : il y aura les zones riches et dynamiques, pour les riches, hautement qualifiés, et, dans les interstices des premières, ou au-delà, les cités-dortoirs pour chômeurs et travailleurs peu qualifiés. On peut aussi se demander ce que deviendra le territoire français, hors quelques "pôles d’excellence", reliés à Paris par le TGV, comme Toulouse, qui ne seront que des antennes de Paris.

Toute la pièce est encadrée par deux grands monologues, qui opposent les grands discours prophétiques des dirigeants sur les bienfaits attendus du projet, et ses résultats concrets, vérifiant là encore la pertinence du parallèle entre le Second Empire et notre actualité.

Le premier est un discours pompeusement utopique, dans lequel la science et le progrès technique doivent apporter la justice, la prospérité et le bonheur de l’humanité : "Au vingtième siècle, il y aura une nation extraordinaire... Elle sera plus que nation, elle sera civilisation... Unité de langue, unité de monnaie, unité de mètre... aucune exploitation, ni des petits par les gros, ni des gros par les petits (sic)...l’égalité sortant toute construite de l’instruction gratuite et obligatoire ... la politique résorbée par la science ... Une vaste marche en avant de la foule Idée conduite par l’esprit Légion." On reconnaît dans ce fatras de clichés saints-simoniens, hérité du libéralisme des Lumières, le style amphigourique de Victor Hugo. On le croyait drapé dans une farouche opposition à Napoléon III, mais il avait accepté d’écrire un texte publicitaire pour l’Exposition Universelle de 1867, qui devait répandre dans le monde entier les réussites et la gloire du règne de ce même Napoléon III.

Mais la science n’est pas pure, elle est l’instrument des dirigeants, et sert en fait à creuser les inégalités, elle est indissociable de la Révolution industrielle et de la grande misère ouvrière du XIXe siècle. Aussi la pièce suit-elle le Second Empire jusqu’au bout : après la fête, la crise économique,la guerre, et, finalement la guerre civile et les massacres ; “ Paris nous appartient ” se clôt sur une magnifique récitation du passage du livre de Prosper-Olivier Lissagaray qui raconte les derniers jours de la Commune. Et les résidus de la fête impériale (la scène est jonchée des plumes d’un oreiller éventré par des fêtards) deviennent les débris des barricades emportées par les troupes versaillaise au cours de la Semaine Sanglante qui fit, du 21 au 28 mai 1871, des milliers et sans doute des dizaines de milliers de morts parmi le peuple parisien.

"Où veux-tu en venir ?", se demandent à plusieurs reprises les personnages de la pièce ? Où nous mènent la folie de la spéculation et la logique du "Tout pour les riches, les pauvres dehors !" ?

Dans une programmation terne et répétitive, où on ressasse sans fin les mêmes pièces, Le Bourgeois Gentilhomme, l’Ile des esclaves, La Cantatrice chauve (comble du théâtre muséal), Huis clos ..., le Moukden-théâtre fait passer un peu d’air frais, et donne l’exemple de ce que devraient faire les théâtres nationaux : affronter les grands problèmes du moment, en donnant au public le recul qu’apporte la représentation, surtout lorsque l’actualité est éclairée, comme ici, par l’Histoire : c’est aussi ce que faisait Brecht lorsque, dans La Résistible Ascension d’Arturo Ui, il invitait à réfléchir sur la prise de pouvoir par Hitler en la coulant dans le moule du Richard III de Shakespeare.

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