Washington D.C., 11 février 2020 - La communauté étasunienne du renseignement a activement surveillé pendant des décennies les communications diplomatiques et militaires de nombreuses nations d’Amérique Latine par le biais de machines de cryptage fournies par une société suisse qui appartenait secrètement à la CIA et à l’agence [ouest-] allemande de renseignement, le BND, selon une enquête publiée aujourd’hui par la chaîne de télévision publique allemande, ZDF et le Washington Post.
Les documents déclassifiés publiés aujourd’hui par [-notre site-] le National Security Archive montrent que parmi les pays ainsi secrètement surveillés se trouvaient des régimes militaires faisant partie de l’Opération Condor - dirigée par le Chili, l’Argentine et l’Uruguay – lesquels ont conduit des actions de répression et de terrorisme au niveau régional et international contre des opposants politiques.
L’enquête révèle que le réseau mis en place au milieu et à la fin des années 1970 par des régimes militaires d’Amérique du Sud pour cibler et éliminer des opposants dans le monde entier a effectué ses communications codées au moyen de dispositifs de cryptage fabriqués par la société suisse Crypto AG, contrôlée par la CIA, c’est à dire sans se rendre compte que les États-Unis pouvaient les intercepter.
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Au plus fort de son activité, Crypto AG a vendu des milliers de machines de cryptage très sophistiquées à plus de 100 pays. En Amérique Latine, des pays comme le Mexique, l’Argentine, le Brésil, le Chili, l’Uruguay, le Pérou, la Colombie, le Venezuela et le Nicaragua figuraient parmi ses clients. L’utilisation de ces dispositifs a permis à la CIA et à la NSA de décoder des milliers de messages, couvrant potentiellement une série d’épisodes historiques dramatiques, parmi lesquels : le coup d’État militaire de 1973 au Chili ; le coup d’État militaire de 1976 en Argentine ; l’assassinat à la voiture piégée d’Orlando Letelier et de Ronni Moffitt à Washington en septembre 1976 ; l’attentat terroriste à la bombe d’un avion de ligne cubain au large des côtes de la Barbade en octobre 1976 ; la révolution sandiniste et le conflit avec les Contras au Nicaragua (que les forces de sécurité argentines ont secrètement soutenues) ; et la guerre des Malouines de 1982 entre l’Argentine et la Grande-Bretagne, parmi beaucoup d’autres.
Comme les pays membres de l’Opération Condor ont bâti tout leur réseau de communication secret en utilisant les technologies de Crypto AG, les services de renseignement américains ont potentiellement pu surveiller les plans et les missions de l’Opération, y compris les multiples complots d’assassinat dans la région, en Europe et aux États-Unis.
Les communications brutes, et les rapports de renseignement qui en découlent, auxquels le Washington Post et la ZDF n’ont pas eu accès, représentent une mine d’archives encore secrètes qui pourraient éclairer de manière significative les ombres de l’histoire de la région ainsi que ce que les États-Unis savaient des opérations qui s’y déroulaient et, le cas échéant, ce que les responsables américains ont fait ou pas de ces informations. « Les révélations contenues dans ces documents peuvent fournir des éléments permettant de réévaluer si les États-Unis étaient en mesure d’intervenir face aux atrocités commises, ou au moins de les exposer », note le Washington Post, qui ne fait aucune référence directe à l’Opération Condor, « et s’ils ont choisi de ne pas le faire parfois pour préserver leur accès à de précieux renseignements ».
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Par le biais de la Freedom of Information Act (loi sur la liberté d’information), le [centre de recherche] National Security Archive cherche à obtenir la déclassification complète du dossier secret de la CIA concernant le « projet Minerva » ainsi que les documents relatifs aux liens entre la CIA/NSA [Central Intelligence Agency – National Security Agency] et la société Hagelin - Crypto AG. Le [centre de recherche] National Security Archive a demandé au gouvernement allemand de rendre publiques ses propres archives sur sa collaboration avec les États-Unis dans le cadre des opérations Minerva.
« Ces renseignements peuvent aujourd’hui jouer un rôle important pour éclaircir certains aspects de notre histoire ainsi que pour écrire l’histoire de nos relations avec la région latino-américaine », a fait remarquer Peter Kornbluh, analyste principal du [centre de recherche] National Security Archive. « Il est temps que ces documents fassent partie de l’histoire officielle ».
Traduit par Luis Alberto Reygada (@la_reygada).
– Enquête du Washington Post : https://www.washingtonpost.com/graphics/2020/world/national-security/cia-crypto-encryption-machines-espionage/
– et de la chaîne de télévision publique allemande ZDF : https://www.zdf.de/nachrichten/heute-sendungen/videos/crypto-karte-100.html
Source : The CIA’s ‘Minerva’ Secret
https://nsarchive.gwu.edu/briefing-book/chile-cyber-vault-intelligence-southern-cone/2020-02-11/cias-minerva-secret
Article publié par le National Security Archive (https://nsarchive.gwu.edu/) le 11 février 2020. . Fondées en 1985 par des journalistes et des universitaires pour contrer la montée du secret gouvernemental, les National Security Archive combinent une gamme unique de fonctions : centre de journalisme d’investigation, institut de recherche sur les affaires internationales, bibliothèque et archives de documents américains déclassifiés ("la plus grande collection non gouvernementale au monde" selon le Los Angeles Times), principal utilisateur à but non lucratif de la loi américaine sur la liberté d’information (Freedom of Information Act), cabinet d’avocats d’intérêt public défendant et élargissant l’accès du public aux informations gouvernementales, défenseur mondial de la transparence gouvernementale, et indexeur et éditeur d’anciens secrets. (Source : A propos du National Security Archive ; https://nsarchive.gwu.edu/about). Le National Security Archive est un centre faisant partie de l’Université George Washington, située à Washington D.C.