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OMC : de Cancun à Genève

12.12.03

Les choix européens

La 5e conférence ministérielle de l’OMC à Cancun s’est terminée le 14
septembre vers 15 H. sans qu’aucune décision ne soit prise, sauf celle de
réunir, à Genève, au plus tard le 15 décembre, le Conseil général de l’OMC
pour examiner la suite à donner au programme de négociations arrêté à Doha
en 2001, programme improprement baptisé « Agenda de Doha pour le
Développement » (ADD). Le Conseil général de l’OMC réunit les ambassadeurs
des Etats membres. « Dans l’intervalle entre les réunions de la Conférence
ministérielle, les fonctions de celle-ci sont exercées par le Conseil
général. » (article IV, § 2 de l’Accord de Marrakech instituant l’OMC).

Cancun : échec ou victoire ?

Echec, si on constate que la conférence n’a pas réussi à adopter des textes
suffisamment équilibrés pour que toutes les parties y trouvent leur compte.
L’OMC, encore et toujours instrumentalisée par les pays riches, n’est pas
devenue ce qu’elle prétend être : le cadre normatif d’un commerce
international régulé qui profite à tous de manière équilibrée mettant en
oeuvre une sorte de justice distributive qui prend en compte les différents
niveaux de développement des Etats membres.. C’est une nouvelle fois l’échec
d’une organisation dont la légitimité s’affaiblit de conférence
ministérielle en conférence ministérielle.

Victoire, si on considère que le projet de déclaration ministérielle dans sa
version du 13 septembre n’a pas été adopté. Il contenait de multiples
dispositions attendues par les firmes transnationales occidentales et
voulues par les pays riches et en particulier par l’Union européenne, les
Etats-Unis, le Japon et le Canada. Par exemple, figuraient dans ce projet :

 la prorogation de la « clause de paix » de l’Accord sur l’Agriculture
(article 13 de cet Accord qui interdit jusque fin 2003 aux pays qui le
respectent de déposer plainte contre les pays qui ne le respectent pas, c’
est-à -dire l’Union européenne et les Etats-Unis). Elle cessera dès lors ses
effets le 31 décembre de cette année.

 des dispositions relatives à l’Accord Général sur le Commerce des Services
(AGCS) qui entendaient obliger les Etats à formuler davantage d’offres de
libéralisation de services, qui n’excluaient aucun secteur à priori et qui
donnaient mandat pour accélérer l’adoption de « disciplines » (listes de
subventions ou de normes législatives et réglementaires nationales ou
locales, dans les domaines sociaux et environnementaux par exemple, à 
abroger dans chaque pays parce que considérées comme constituant des
obstacles au commerce).

 les fameuses « matières de Singapour », c’est-à -dire, scindé en quatre
sujets distincts, le retour de l’Accord Multilatéral sur l’Investissement
(AMI) : investissement, concurrence, marchés publics, facilitation des
échanges. L’opposition de 2/3 des Etats à l’ouverture de négociations sur
ces quatre matières a été au coeur des blocages de Cancun.

 la réduction des tarifs douaniers sur les produits non agricoles qui
aurait provoqué une dramatique perte de revenus pour les pays du Sud.

L’opposition d’une majorité d’Etats à ces propositions extrêmement
défavorables pour eux n’a pas été réduite, malgré les pressions en tous
genres des Américains et des Européens. Un nouveau rapport de forces est
ainsi apparu confirmant les positions affirmées au cours des mois précédant
Cancun par l’Union africaine, par le groupe des pays ACP (Afrique, Caraïbes,
Pacifique) et par les pays classés comme PMA (pays les moins avancés), mais
également par des pays comme le Brésil, la Chine ou l’Inde.

Les réactions après Cancun

Fidèles à leur franchise brutale, les Etats-Unis ont annoncé qu’ils allaient
désormais privilégier des accords bilatéraux.

Les différentes coalitions de pays du Sud qui s’étaient formées avant et
pendant Cancun pour organiser la résistance aux exigences des pays riches
ont confirmé leurs positions.

Les Européens - gouvernements, Parlement européen, parlements nationaux, -
se sont alignés sur les réactions successives de la Commission européenne ;
il n’est pas inutile d’en analyser les étapes :

a) La première production destinée à nourrir la pensée unique est venue de
la Commission elle-même. A Cancun comme à Bruxelles, la formule à diffuser,
à reproduire, à imprimer, à rapporter a été répétée par Lamy (le 14 sept.)
et par Prodi (le 15 sept.) : « L’Union européenne a fait de son mieux pour
contribuer à un compromis en particulier afin de rencontrer les demandes des
pays en développement. » Dégager l’Union européenne de toute responsabilité
dans l’échec de Cancun et faire croire qu’elle a été un modèle de
flexibilité a été le premier souci de la Commission. Or, jusqu’au dernier
jour de la conférence, le 14 sept., la position européenne s’est
caractérisée par la réaffirmation de ses positions, en particulier dans le
dossier agricole et dans le dossier des matières de Singapour. Ce n’est qu’à 
quelques heures de la fin programmée de la conférence que Pascal Lamy, à la
demande de la présidence mexicaine de la conférence, a proposé de différer
le début des négociations sur deux des quatre matières de Singapour. Les
négociateurs européens ont été, tout au long de la conférence, d’une surdité
absolue aux demandes des pays en développement, traitant celles-ci au mieux
avec condescendance (sur le coton), au pire avec sarcasme (sur l’
agriculture, sur les matières de Singapour). Relire à ce propos les « 
Nouvelles de Cancun »
pour se rafraîchir la mémoire (sur www.urfig.org).

b) Deuxième réaction, plus tactique : Lamy laisse entendre le 16 sept. que
les Européens vont avoir à réfléchir sur l’opportunité de « maintenir l’
approche multilatérale comme priorité de la politique européenne. » Et d’
affirmer que l’Union européenne s’est abstenue depuis 1999 d’engager des
négociations bilatérales ou régionales afin de privilégier le
multilatéralisme. En choeur, sans la moindre hésitation, la presse reproduit
cette affirmation totalement fausse. La complaisance des journalistes - en
particulier lorsqu’ils sont Français - à l’égard de Pascal Lamy les amène à 
reproduire sa propagande et à passer sous silence, par exemple, l’ accord
bilatéral UE-Chili, les négociations régionales en cours dans le cadre de l’
Accord de Cotonou et, peu avant Cancun, l’annonce de négociations
bilatérales avec les pays de l’ASEAN. La Commission européenne, qui s’est
opposée au nom d’une nécessaire flexibilité à toute réforme de l’OMC, accuse
celle-ci d’être « médiévale. » Devant le Parlement européen, Pascal Lamy, d’
une manière assez théâtrale, adresse quatre questions aux gouvernements, aux
parlements et à la « société civile » :

1. maintenons-nous un équilibre dynamique entre l’ouverture des marchés et l
’établissement de règles ?

2. restons-nous attachés en priorité à une approche multilatérale ?

3. à l’avenir, comment gérons-nous notre système de préférences commerciales
 ?

4. l’OMC est-elle une organisation adaptée aux besoins d’aujourd’hui ?

c) La troisième réaction vient sous la forme d’un document de 17 pages, daté
du 25 sept. et signé P. Carl, le Directeur général de la DG Commerce. Le
document est intitulé « L’Agenda de Doha pour le Développement après
Cancun ». Ce document est envoyé à tous les gouvernements européens ; il
exprime le point de vue formulé la veille par Pascal Lamy devant le
Parlement européen. Ce texte est très révélateur de la suffisance et de l’
arrogance d’une institution technocratique qui ne supporte pas qu’on s’
oppose à ses vues. On peut résumer cette analyse en 8 points :

1. à l’exception des Européens, tous les acteurs de la conférence de Cancun
sont à blâmer : la présidence de la conférence qui a refusé de prolonger les
discussions au-delà de la date prévue, les pays qui se sont opposés aux
positions européennes et américaines contenues dans le projet de déclaration
ministérielle et qui ont ressuscité la confrontation Nord-Sud (comme si elle
avait jamais cessé !), les Etats-Unis qui ont rejeté avec arrogance les
demandes des Africains de l’Ouest sur le coton ;

2. l’adoption des Accords de Marrakech a été possible grâce au consensus
créé par la conjonction de l’effondrement de l’Union soviétique et de l’
émergence de gouvernements davantage « market oriented » ; ce consensus n’
existe plus ; il y a désormais deux catégories de pays : ceux qui se
satisfont du statu quo et ceux qui veulent étendre les règles de la
libéralisation ; il en résulterait une division entre ceux qui voudraient
limiter l’OMC à une sorte de reproduction du GATT ou OMC I et ceux qui
voudraient une OMC II destinée à pousser plus avant la libéralisation ; l’
Union européenne se range résolument dans la deuxième catégorie ;

3. il faut renforcer les pouvoirs du Directeur général de l’OMC et
officialiser les réunions informelles ;

4. l’Union européenne doit maintenir son option en faveur du
multilatéralisme tout en ne négligeant pas les approches bilatérales et
régionales, les négociations avec les pays du Golf et avec la région Euromed
étant citées en exemples ;

5. l’Union européenne maintient que les matières de Singapour sont parties
intégrantes de l’ADD et qu’elles sont constitutives de l’engagement unique
(il n’y a d’accord sur rien aussi longtemps qu’il n’y a pas d’accord sur
tout). Le refus d’entamer des négociations sur ces matières constitue « une
rupture du contrat de Doha ; »

6. l’accord USA-UE sur l’agriculture est la seule option possible ;

7. le refus de réduire les tarifs douaniers sur les produits non agricoles
est le fait de pays qui pratiquent des politiques de limitation de leurs
importations qui sont contraires au développement de la croissance mondiale ;

8. l’Union européenne estime que les pays en développement ont profité des
accords de l’OMC et refuse que les accords sur les droits de propriété
intellectuelle, sur les services ou sur le mécanisme de règlement des
conflits soient considérés par ces pays comme des concessions qu’ils ont été
obligés de faire aux pays riches. En conséquence, l’Union européenne n’a pas
à faire de concessions pour obtenir, en échange, l’ouverture de négociations
sur les matières de Singapour. Au contraire, c’est aux pays en développement
d’ouvrir d’avantage leurs marchés aux produits européens.

En un mot, l’Union européenne a raison. Elle a fait preuve de flexibilité
dans tous les dossiers (agriculture, services, matières de Singapour) Tous
les autres sont dans l’erreur. Ils doivent se soumettre. Sinon, il faudra
envisager un nouveau cadre où ils ne participeront pas aux décisions et
auquel ils auront plus tard à se soumettre. Formulé en termes politiques, c’
est ce que j’ai entendu à Cancun, le soir du 14 septembre dans la bouche d’
un membre de la délégation européenne : « Nous allons nous passer d’eux et
après ils viendront à genoux manger dans notre main. » Des propos qui se
passent de tout commentaire.

Cette analyse avait fait l’objet d’une note transmise le 23 septembre aux
chefs des différentes missions diplomatiques européennes à Genève en
indiquant que la représentation de l’Union européenne adoptera une attitude
de « wait and see » et ne s’exprimera pas dans les débats à l’OMC jusqu’à 
nouvel ordre. Les Européens, auxquels il n’a pas été donné satisfaction à 
Cancun, décident de bouder. Le rapport de Peter Carl est présenté au Comité
133 le 3 octobre.

d) La quatrième réaction vient du Parlement européen. Le 25 septembre, la
sacro-sainte alliance des chrétiens, des socialistes et des libéraux a
adopté une résolution fourre-tout qui n’inquiète personne puisque tout en
appelant de ses voeux une réforme des méthodes de travail de l’OMC, elle
félicite la prétendue flexibilité des négociateurs européens (on sait ce qu’
il en fut) et exprime sa satisfaction pour la manière dont la Commission a
négocié ! Des négociateurs dont l’arrogance, l’intransigeance et l’
aveuglement ont contribué de manière décisive à l’échec d’une négociation
internationale sont félicités au lieu d’être désavoués ! Par contre, mais
malheureusement minoritaires, Francis Wurtz, au nom du groupe des Gauches
Unies Européennes (communistes et apparentés) et quelques parlementaires du
groupe des Verts (dont Paul Lannoye et Caroline Lucas) ont exprimé un point
de vue critique sur l’attitude des négociateurs européens et sur les
positions qu’ils ont défendues.

e) La cinquième réaction est observée à l’occasion d’un de ces « dialogues
avec la société civile » organisés par les services de Pascal Lamy pour lui
permettre d’affirmer en toutes circonstances qu’il bénéficient de l’appui de
cette « société civile ». Le 1 octobre, dans ce cadre, le patronat fait
entendre sa voix. L’European Services Forum (l’ESF qui regroupe les
prestataires privés de services des différents pays européens) insiste pour
que la Commission reste ferme sur les quatre matières de Singapour et sur la
libéralisation des services quitte à concéder davantage sur l’agriculture.
f) lors d’un colloque, le 9 octobre, Peter Carl indique que les concessions
de dernière minute avancées par les Européens à Cancun ont été formulées
dans le cadre de la conférence et appartiennent au passé.

g) A Bruxelles, plusieurs réunions du Comité 133 sont consacrées à la suite
de Cancun. La Commission dépose une note sur l’amélioration du
fonctionnement de l’OMC et une autre sur les matières de Singapour. Elle
fait savoir que sa position demeure inchangée sur l’agriculture, les
produits non agricoles et les services. Le 25 novembre les représentants de
l’ESF tiennent une rencontre informelle avec les membres du Comité 133
(services).

h) Le 26 novembre, la Commission rend public un document qu’elle présente
comme la base politique de l’Union européenne pour la reprise des
négociations. Intitulé « Redynamiser les négociations relatives au programme
de Doha pour le développement - l’optique de l’UE. » Cette communication de
la Commission formule la position européenne sur chacun des dossiers
négociés à l’OMC :

1. L’Union européenne continue à privilégier le multilatéralisme et l’OMC
doit demeurer au coeur de l’ouverture des marchés et du renforcement des
règles commerciales ; « L’OMC n’est pas un système structurellement
inéquitable qui a besoin d’être rééquilibré. »

2. Les grands objectifs que l’UE s’est fixés dans le mandat donné à la
Commission européenne le 9 octobre 1999 restent pertinents ; seule la
stratégie doit être légèrement modifiée pour les atteindre.

3. La Déclaration de Doha reste valable sur le fond, mais il faut que tous
les partenaires reviennent à la table des négociations en donnant des gages
de leur engagement en faveur du multilatéralisme.

4. Agriculture. La position européenne est inchangée et il n’y a aucune
raison de la changer. L’UE n’acceptera en aucun cas trois propositions : la
détermination d’une date pour l’élimination totale des subventions à l’
exportation ; une limite aux aides internes qui ne faussent pas le commerce
 ; une limite aux aides internes qui n’ont qu’un effet minimal de distorsion.
Il n’y a pas de consensus au sein de l’UE pour éliminer toutes les
subventions à l’exportation. Quant à la clause de paix, la Commission
considère qu’il faut continuer à protéger les subventions contre les
plaintes, mais convient que la clause de paix « actuelle » ne sera plus en
vigueur l’année prochaine. En bref, la Politique Agricole Commune européenne
est la mesure de toutes choses et le monde doit s’aligner sur ce que les
Européens, une fois qu’ils ont accordé leurs positions avec les Américains,
ont décidé pour eux-mêmes.

5. Coton : l’UE va supprimer ses subventions à l’exportation, elle va
réduire les soutiens internes et accorder un accès en franchise de droits et
sans contingentement aux exportations de coton provenant des PMA.

6. Réduction des taxes douanières (tarifs) sur les produits non agricoles :
l’approche européenne proposée pour Cancun « reste valable. » Ce qui était
en discussion à Cancun était « décevant. » Avec une confiance inébranlable
dans les dogmes libéraux, la Commission répète que « ’il n’y aura des
avantages importants en matière de commerce et de développement qu’en cas d’
ouverture sérieuse du marché au sein des pays en développement,
particulièrement des pays aux économies les plus avancées. » Et de confirmer
sa position en faveur d’une « réduction tarifaire simple, unique et non
linéaire appliquée à toutes les lignes tarifaires. »

7. Services : la Commission estime que les progrès dans la négociation de la
mise en oeuvre de l’AGCS ont été « très décevants » et déplore que peu de
pays en développement se soient engagés dans le mécanisme des offres et des
demandes Elle répète ce mensonge selon lequel l’ouverture du commerce des
services « peut et devrait être parfaitement compatible avec le maintien et
la protection des services publics dans l’UE et ailleurs. ». La Commission
reprend les dispositions qui se trouvaient dans le projet de déclaration
ministériel pour Cancun (voir ci-dessus) en insistant sur la nécessité de
négocier « la réduction ou l’élimination des obstacles à l’accès au marché
des services environnementaux. »

8. Matières de Singapour. « L’UE ne voit aucune raison d’abandonner l’
objectif fondamental et à long terme d’élaboration de règles pour ces quatre
sujets. » Elle considère comme inacceptable la modification du programme de
Doha qui consisterait à en retirer ces quatre sujets. Ceux-ci font partie de
l’engagement unique. Mais l’UE doit explorer les possibilités de négocier
avec les pays qui le désirent certains voire la totalité des sujets de
Singapour en dehors de l’engagement unique si elle vérifie qu’il n’y a pas
de consensus sur les modalités de négociation de ces quatre matières. En
clair, cela signifie qu’on renonce au multilatéralisme quand on ne peut y
imposer ses vues. L’UE rejette catégoriquement l’idée qu’en échange d’une
négociation multilatérale sur les matières de Singapour, elle devrait faire
des concessions sur d’autres dossiers.

9. Le document insiste aussi sur l’importance de négociations à l’OMC sur
les questions d’environnement afin que la réglementation internationale
environnementale soit « non protectionniste et la moins restrictive possible
sur le plan commercial. » Le document aborde également les questions des
indications géographiques, du traitement spécial et différencié ainsi que l’
amélioration du fonctionnement de l’OMC en formulant des propositions dont l
’effet sera de renforcer la maîtrise des procédures par les puissances qui
dominent l’OMC.

Ce document confirme la position de la Commission sur pratiquement tous les
dossiers ; plus la Commission invoque sa flexibilité, moins elle la
pratique. L’élément neuf - la « nouvelle approche » si médiatiquement
présentée - se trouve dans les propositions relatives aux matières de
Singapour ; plutôt que de prendre acte de l’absence du consensus requis, la
Commission veut coûte que coûte imposer une négociation en ayant recours à 
des négociations plurilatérales. La communication de la Commission répond à 
tous égards aux attentes des milieux d’affaires principaux interlocuteurs de
ce qu la Commission appelle « la société civile »

Le même jour, la Commission a déposé au Comité 133, avec le texte de sa
communication, le projet de conclusions que le Conseil des Ministres des
affaires étrangères devra adopter le 8 décembre à propos de cette
communication.Nouvelle illustration de la toute puissance de la Commission
dans les matières en rapport avec l’OMC. Ce projet résume en une phrase la
position européenne : « les objectifs fondamentaux que l’Union européenne s’
est assignés pour elle-même avant Seattle, tels qu’ils sont définis dans les
conclusions du Conseil d’octobre 1999 et tels qu’ils ont été réexaminés et
réaffirmés lors des conclusions du Conseil qui se sont succédé, demeurent
valables. »

i) Des groupes parlementaires réagissent : le groupe socialiste du Parlement
européen, tout en formulant un certain nombre de commentaires critiques fort
pertinents, « accueille avec chaleur » les avancées générales de la
communication. Les Verts déplorent que Pascal Lamy ait présenté « une
déclaration technocratique qui promeut les mêmes vieilles politiques
néolibérales avec des changements superficiels au niveau des procédures et
du contenu. » Francis Wurtz, au nom du groupe des Gauches Unies Européennes
demande un débat de fond au Parlement européen.

j) Le 28 novembre, le Comité 133 approuve le contenu de la communication.

k) Le 2 décembre, les ministres du commerce de l’Union européenne tiennent
une réunion informelle au cours de laquelle certains (Grande-Bretagne, Pays
Bas, Suède) auraient exprimé des points de vue divergents sur les matières
de Singapour. Plusieurs ministres auraient désapprouvé le ton du document
qui donne l’impression que seule l’Union européenne fait preuve de
flexibilité et que le tandem UE-USA veut diviser les pays en développement.
Par contre, un consensus se serait dégagé en faveur d’une position très
ambitieuse en matières de libéralisation des services et d’ouverture des
marchés aux produits industriels. Aucune décision formelle n’a été prise.

l) Le 3 décembre, Pascal Lamy déclare, lors d’une conférence de presse, qu’
il dispose du soutien du Conseil des Ministres et du Parlement européen aux
propositions formulées dans le document du 26 novembre.

m) Le 8 décembre, le Conseil des Ministres (affaires générales - c’
est-à -dire les ministres des affaires étrangères) adopte - sans débat, ainsi
qu’en atteste le procès-verbal - la communication de la Commission et « il
fait sienne les analyses et les approches que la Commission propose d’
explorer. »

Les discussions à l’OMC

Le 9 octobre, dans le cadre d’une réunion informelle limitée aux
représentants des Etats choisis par le Directeur général de l’OMC, l’Union
européenne et les Etats-Unis font savoir qu’ils sont disposés à reprendre
des négociations soit sur le projet de déclaration ministérielle initial,
soit sur celui du 13 septembre. L’un comme l’autre de ces documents n’ont
aucun statut puisqu’ils ont été chacun, rédigés sous la seule responsabilité
de leur auteur (soit le président du Conseil général de l’OMC, l’ambassadeur
de l’Uruguay Carlos Perez del Castillo, soit le président de la conférence
de Cancun, le ministre mexicain Luis Eduardo Derbez).

Ces textes ont été rejetés à Cancun parce qu’unilatéralement favorables aux
attentes des firmes transnationales et des gouvernements occidentaux qui en
sont les relais politiques. Comme le déclarait au Parlement des Pays-Bas le
ministre néerlandais du développement, M. van Ardenne, à propos de l’échec
de Cancun (où il était présent), « Je pense qu’il ne pouvait en être
autrement puisqu’il n’y avait rien pour les pays en développement. » Un
commentaire à épingler venant d’un homme de droite.

Des consultations ont été organisées dans le cadre de plusieurs réunions
informelles du type « green room. » A la veille de la réunion du 15
décembre, on peut dresser le constat suivant :

 sur le dossier agricole, des pressions considérables ont été exercées par
le FMI et la Banque Mondiale sur un certain nombre de pays en développement
afin qu’ils manifestent plus de flexibilité. Aucune pression n’a été exercée
par ces institutions sur l’Union européenne et les Etats-Unis afin qu’ils
fassent de même. Le texte en discussion demeure la transposition de l’accord
UE-USA. Le G20, qui s’était créé avant Cancun pour présenter une alternative
à ce texte demeure uni et déterminé. Il représente plus de 52% de la
population mondiale. Si l’approche tactique mérite d’être soutenue, les
propositions avancées ne prennent pas suffisamment en compte les problèmes
de la petite paysannerie pourtant très largement majoritaire. Une date
précise est réclamée par le G 20 pour le terme du processus d’élimination
des subventions à l’exportation. Ce que refusent l’UE et les USA. Il n’y a
donc pas de convergence de vues sur l’essentiel.

 sur la réduction des tarifs sur les produits non agricoles, les
divergences entre pays industrialisés et pays en développement sont
demeurées telles qu’elles se sont exprimées avant et pendant Cancun.

 sur les matières de Singapour, certains pays seraient disposés à négocier
sur la facilitation des échanges voire aussi sur les marchés publics. Mais
la plupart des pays en développement maintiennent leur opposition à toute
négociation sur les quatre matières.Plusieurs pays rejettent dès à présent
des négociations, au sein de l’OMC, qui ne concerneraient que certains Etats
membres de celle-ci (proposition européenne). La présidence du Conseil
général propose de commencer les négociations sur les marchés publics et la
facilitation des échanges et de confier les deux autres matières à des
consultations devant éventuellement déboucher sur des négociations
plurilatérales (entre pays qui le souhaitent).

Le 9 décembre, le président du Conseil général de l’OMC, au terme d’une
réunion des chefs de missions diplomatiques auprès de l’OMC, annonce qu’il
va suggérer, le 15 décembre, que sur l’agriculture et les produits non
agricoles les futures négociations se basent sur le texte du 13 septembre et
que sur les autres sujets, les consultations se poursuivent. En tout état de
cause, il reconnaît que les divergences profondes qui ont conduit à l’échec
de Cancun demeurent. Il forme le souhait que les travaux sur le programme de
Doha, au siège de l’OMC, interrompus depuis Cancun, puissent reprendre après
la réunion du Conseil général qui se tiendra les 11-12 février 2004.

Que faire ?

Une lecture juridique et politique de ce qui précède amène à considérer que
nous, qui voulons pour l’Europe comme pour le reste du monde d’autres
rapports humains et d’autres rapports sociaux que ceux basés sur l’argent,
sommes confrontés à deux textes de toute première importance contre lesquels
une action est possible et dès lors nécessaire : le mandat conféré à la
Commission européenne pour les négociations à l’OMC et le projet de
Constitution.

a) le mandat. C’est le 9 octobre 1999 que le Conseil des ministres européens
a donné son feu vert aux propositions de la Commission qui définissent le
mandat pour les négociations à l’OMC du négociateur unique au nom des Etats
de l’Union européenne. Ce mandat est extrêmement large et donne à la
Commission un feu vert pour proposer et négocier des réformes ultralibérales
qui renforcent la globalisation et non pas qui l’encadreraient ou la
maîtriseraient, comme si souvent affirmé. Ce mandat, adopté en vue de la
conférence ministérielle de Seattle (1999), a été confirmé à la virgule près
pour celles de Doha (2001) et de Cancun (2003). Il est impératif de revoir
ce mandat et de définir une nouvelle philosophie du libre-échange
respectueuse des doits fondamentaux individuels et collectifs.

b) Le projet de Constitution : pour ce qui concerne le champ très vaste des
matières traitées par l’OMC, le projet de Constitution livre les peuples d’
Europe à la toute puissance de cette organisation, contrairement à ce qu’
affirment les libéraux de droite et de gauche. Le projet aggrave les
dispositions contenues dans le Traité de Nice en étendant et renforçant,
dans ces matières, les pouvoirs de la Commission. Les matières de l’OMC
deviennent, sans exception, des compétences exclusives de l’Union
européenne. Le projet supprime la capacité de contrôle des parlements
nationaux en supprimant l’obligation de faire ratifier les accords
commerciaux internationaux par les parlements des Etats membres sans que ce
démantèlement du contrôle démocratique soit compensé par un véritable
pouvoir de contrôle du Parlement européen sur le contenu de ces politiques.
Il est donc nécessaire de rejeter ce très dangereux projet de Constitution
qui traduit durablement une vision individualiste et mercantile de l’Europe.

Le 13 juin 2004, dans 6 mois, nous serons amenés à choisir les futurs
membres du Parlement européen. Il dépend de nous, dès à présent, de
transformer la préparation de ces élections en une campagne de
sensibilisation et d’interpellation afin d’exiger la révision du mandat
néolibéral de la Commission pour les négociations à l’OMC et d’exprimer un
rejet radical du projet ultralibéral de Constitution européenne.

AUX POLITIQUES LIBERALES DE DROITE ET DE GAUCHE, IL FAUT OPPOSER L’
ALTERNATIVE CITOYENNE.

Raoul Marc JENNAR
Chercheur auprès d’Oxfam Solidarité(Belgique)
et de l’URFIG (France)

Nouvelles coordonnées de l’URFIG :
7, El Placal
66500 MOSSET (France)
Tél. : 04 68 05 84 25 ; Email : rmj@urfig.org.ns et raoul.jennar@wanadoo.fr.ns

Site Internet : www.urfig.org

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Raoul Marc JENNAR
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En 2001, on nous a dit que la guerre en Afghanistan était une opération féministe. Les soldats US libéraient les femmes afghanes des talibans. Peut-on réellement faire entrer le féminisme dans un pays à coups de bombes ?

Arundhati Roy

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