Le Courrier, samedi 24 Février 2007
Reportage - Désertification croissante, démographie galopante : le Niger semble réunir tous les ingrédients le condamnant à des disettes à répétition. Pourtant, plus qu’un problème de ressources, c’est souvent leur répartition et leur mise en valeur qui sont en cause. D’où la susceptibilité des autorités lorsqu’on évoque le terme de famine...
La terre rouge et sablonneuse s’étend à perte de vue. De rares arbres s’accrochent à un paysage lunaire, décharné. Issoufou Aboubacar soupire : « Il y a quinze ans à peine, tout ici était verdoyant. Regardez ce que sont devenus nos champs. »
L’homme préside une ONG locale qui travaille à la réhabilitation des sols dans la commune d’Harikanassou, à une centaine de kilomètres à l’est de la capitale, Niamey. Mais le combat est titanesque. En proie à une désertification croissante, les sols nigériens sont parallèlement soumis à une contribution toujours plus lourde par une démographie galopante : avec près de 8 enfants par femme en âge de procréer, ce pays sahélien bat le record mondial du taux de fécondité. La moindre défaillance pluviométrique a ainsi des conséquences très lourdes, sans parler des invasions de sauterelles. « D’habitude, ma parcelle produit 160 bottes de mil, raconte Issoufou Aboubacar. En 2004, je n’ai récolté que 9 bottes. »
Les mauvaises récoltes de 2004 et la famine de 2005, dernière en date des disettes qui touchent régulièrement le pays, sont encore dans toutes les mémoires. La famine, pourtant, reste un terme tabou en haut lieu. « Nous préférons parler de crise alimentaire, indiquent ainsi les responsables suisses de la DDC [1] à Niamey, il n’est pas efficace de parler famine aux pouvoirs publics. De toute manière, l’année 2005 n’était pas si exceptionnelle : le Niger est en état de famine larvée constante... »
Sujet tabou
Le cynisme des uns fait écho à la grande susceptibilité des autres. Début 2005, lorsque certains médias ont commencé à montrer la famine sévissant dans certaines régions du pays, le gouvernement a piqué la mouche. Une journaliste de la TV nationale a été suspendue d’antenne, une équipe de la BBC expulsée. Il a fallu attendre que, vide estival aidant, les médias se fassent de plus en plus insistants sur la famine menaçant le peuple nigérien pour que la communauté internationale prenne conscience du drame. Et que, sous pression du Programme alimentaire mondial, les autorités se résolvent à accepter une aide alimentaire.
Il faut dire que l’obstination du gouvernement ne manquait pas d’alliés. La Banque mondiale et l’Union européenne ont elles aussi fait de la résistance à une aide susceptible de venir dérégler les marchés. Gouvernement comme partenaires commerciaux avaient d’ailleurs beau jeu de démentir toute famine : les étals restaient pleins sur de nombreux marchés. Le seul problème étant que la population n’avait pas les moyens d’acheter des denrées dont les coûts avaient explosé... Après avoir souvent vendu leurs récoltes à vil prix l’automne précédent.
Lois du marché
« En niant la famine de 2005, le gouvernement est resté dans la logique du concept de sécurité alimentaire qui fait le jeu des politiques criminelles auxquelles nous soumettent la Banque mondiale et l’Union européenne, dénonce Moussa Tchangari, directeur d’Alternative, une radio libre et une ONG qui sont le fer de lance du combat altermondialiste au Niger. Les premières mesures d’ajustement auxquelles a été soumis le pays, dans les années 80, visaient précisément l’agriculture, notamment le démantèlement de notre Banque de crédit agricole. Tout le système a été mis à terre. Plutôt que de chercher à nourrir les gens, on a préféré investir dans l’extraction d’uranium ou du pétrole. Cela rapporte plus. Mais pas aux Nigériens... »
Au-delà de cet étranglement du pays, c’est l’aberration d’une politique commerciale qui voit un pays exporter ses denrées alimentaires en pleine disette que dénoncent les voix critiques. « En préférant des ventes à prix modérés à des distributions gratuites, le gouvernement a fait alliance avec les spéculateurs, poursuit Moussa Tchangari. On a ainsi vu des commerçants acheter à 6000 francs CFA [2] le sac de mil, pour le revendre quelques mois plus tard à 18000 francs CFA au gouvernement, qui le cédait pour 10000 francs CFA à ceux-là mêmes qui l’avaient produit... »
Plutôt que de sacrifier à cette très aléatoire sécurité alimentaire, de plus en plus de voix appellent à instaurer le principe d’une réelle souveraineté alimentaire. Un concept clé au Niger, où les personnes qui manquent le plus souvent et le plus cruellement de vivres vivent dans les campagnes où ils sont produits. L’organisation non gouvernementale Swissaid a ainsi décidé de concentrer ses interventions dans les communautés rurales, en encourageant celles-ci à développer une meilleure maîtrise de leurs productions agricoles comme de leur commercialisation. Le soutien à des groupements féminins qui se sont lancés dans la culture maraîchère a ainsi apporté à la population de nombreux villages des compléments alimentaires souvent vitaux, comme des revenus supplémentaires bienvenus. La création de banques céréalières, en permettant aux communautés qui en disposent de constituer des stocks au meilleur prix plutôt que de rester la proie des spéculateurs, s’inscrit elle aussi dans ce regain de souveraineté.
Une aide subversive ?
Mais avec un budget d’un million de francs suisses par année pour ses programmes au Niger, Swissaid n’apporte qu’un peu d’eau à un long fleuve de besoins. « Nous sommes relativement seuls à opérer de la sorte, souligne par ailleurs Almoustapha Moumouni, coordinateur de Swissaid au Niger. La coopération bilatérale, et même les principales ONG internationales, continuent à travailler en respectant le cadre officiel. Et même si nous ne subissons pas de pression, on sent bien que les autorités ne prisent que modérément notre collaboration très étroite avec la société civile. » L’un des partenaires locaux de Swissaid sur le terrain, tout en se félicitant de l’émulation que suscitent dans les villages alentour les premiers projets de son ONG, nourrit quelques craintes pour le futur. « Ceux qui cherchent à créer de nouvelles ONG pour nous imiter rencontrent tous les obstacles administratifs possibles et imaginables. On a de plus en plus tendance à nous regarder comme des vilains communistes... »
Didier Estoppey
La coopération suisse marche sur des oeufs.
Mais les villageois devront encore patienter quelques jours. « Nous devons encore lancer un appel d’offres », explique le représentant du Ministère de l’hydraulique venu accueillir les visiteurs. Un gérant privé doit en effet veiller à la distribution d’eau aux différents points... et encaisser la taxe. « Nous avons désormais pour politique d’éviter une gestion communautaire souvent problématique », explique le fonctionnaire de Niamey.
Directrice de la DDC à Niamey, Ursula Funk commence par s’étonner. « J’ignorais la chose. J’imagine que cette gestion privée résulte d’un choix de la communauté. » Avant, renseignements pris, de se raviser : « Le Ministère de l’hydraulique a effectivement émis de nouvelles directives. La gestion par des groupements locaux s’est trop souvent avérée peu efficace. » C’est que les « partenariats public-privé » sont très à la mode au Niger : à l’instigation de la Banque mondiale, le gouvernement est en passe de conclure un contrat avec Vivendi pour l’approvisionnement en eau dans les villes.
Les hésitations de sa responsable sont peut-être à l’image des tâtonnements de la DDC au Niger. Malgré un budget plutôt faible en comparaison internationale (12, 5 millions de francs suisses par année pour ses projets dans le pays), la coopération suisse a su se tailler une bonne réputation au Niger. Elle est l’une des rares à avoir maintenu une présence entre 1996 et 1999, sous un régime militaire avec lequel l’aide internationale avait préféré marquer ses distances. La DDC, soucieuse de ne pas frayer trop étroitement elle non plus avec les militaires, avait alors multiplié les partenariats avec la société civile.
Des temps désormais révolus : plusieurs ONG nigériennes déplorent un revirement de la politique de la DDC et du responsable de ses programmes au Niger entre 2002 et 2006, qui ont rompu nombre de ces partenariats pour travailler plus étroitement avec les autorités. « Depuis quelques années, la vocation première de la DDC semble être devenue de fermer des projets », ironise ainsi Ali Sékou Maïna, secrétaire permanent de Démocratie 2000, une des ONG touchées par cette nouvelle donne. En regrettant que l’accent de la coopération suisse ne soit pas suffisamment mis sur la formation d’élites locales susceptibles de prendre la relève des projets abandonnés.
Ursula Funk met quant à elle au compte de problèmes de gestion interne à l’ONG la rupture des contrats avec Démocratie 2000. Mais son adjoint, Philippe Besson, confirme la fermeture de plusieurs projets, liée à une nouvelle approche de la DDC. « Sous la pression des bailleurs internationaux, le Niger a fini par se donner une politique de décentralisation. Des élections communales ont eu lieu : nous devons donc jouer le jeu et collaborer avec les autorités locales. Ce qui permet aussi de compenser une politique qui a donné de gros pouvoirs aux communes sans les doter de moyens. En outre, une collaboration au niveau local s’avère plus efficace qu’au niveau national. Mais nous nous devons de passer par les canaux officiels, nous ne voulons pas opter pour une stratégie ouvertement conflictuelle ».
Didier Estoppey
– Source : Le Courrier www.lecourrier.ch
L’insécurité alimentaire s’aggrave en Afrique, par Barry Mason.
Mali & Niger : la mondialisation néolibérale contre les plus pauvres, par Jean Nanga.
A qui profite l’aide alimentaire ? par Matt Mellen.
Famine et marchandisation de la charité au Niger, par Jean Nanga.<BR>
Des villageois réduits à manger des feuilles.
Plus de 860 millions de personnes souffrent de faim. 30 millions de personnes en meurent - Nieleny 2007, Forum Mondial pour la Souveraineté Alimentaire.