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Ne vous laissez pas berner par l’annonce d’un divorce entre al-Qaida et al-Nusra (The Independent)

Voilà que Cheikh Tamim Ben Hamad Al Thani remet ça. Le souverain du Qatar tente une fois de plus de faire retirer Jabhat al-Nusra de la fameuse liste américaine des organisations terroristes – tout en calculant que la mémoire collective des médias est celle d’un poisson rouge. Et il a raison.

L’année dernière, la chaîne satellitaire de Tamim, Al Jazeera, a produit un fastidieux interview en deux parties de Mohamed al-Julani, dirigeant d’al-Nusra, dans lequel le pauvre homme se vantait de n’avoir absolument rien contre les Chrétiens, les Alaouites ou les Américains. Il a déclaré à tous ceux qui voulaient bien l’entendre qu’il voulait juste se débarrasser de ce satané Assad et de ses amis Russkoffs. Les chrétiens syriens au Liban et les alaouites syriens à la tombe ? Pas du tout. Ce n’était que du baratin colporté par l’infecte et horrible Etat Islamique, dont les Saoudiens sont tellement épris.

Puis, en mai de cette année, le bon vieux Ayman al-Zawahiri, le successeur malheureux d’Oussama ben Laden, a déclaré à Mohamed al-Julani qu’il pouvait se séparer de l’Al-Qaïda original. Bingo. Le divorce était dans l’air. Les ennemis de l’Amérique étaient en train de se briser. Al-Nusra serait les nouveaux "modérés", dignes de l’appui de l’Amérique, et certainement de la Grande-Bretagne - dont le Premier ministre à l’époque, David Cameron, avait inventé 70.000 rebelles syriens « modérés » que le monde pouvait soutenir contre Assad.

Et maintenant, pour la nième fois, voilà que l’on nous ressert le même vieux cocktail. En prétendant présenter son premier message jamais enregistré – une idiotie évidente puisque al-Julani nous avait ennuyé toute l’année dernière sur le même thème - la BBC a dit à son auditoire que « al-Nusra en Syrie annonce une scission avec al-Qaïda ». Et encore une fois, on nous a servi un al-Julani prenant ses distances avec al-Qaida et nous racontant qu’al-Nusra changeait de nom pour devenir Jabhat Fateh al-Sham (Front pour la Libération du Levant).

Al-Julani a quand même – bien que cela soit passé inaperçu auprès des « experts » médiatiques – fait une allusion en passant à Ben Laden, en accordant la bénédiction de l’ancien chef assassiné d’Al-Qaïda à ce divorce car ce dernier avait déclaré un jour que les intérêts de la patrie musulmane « primaient sur tout état ». Ainsi, la rupture avec al-Qaïda était d’un commun accord et ce dans l’intérêt du peuple syrien souffrant, etc, etc... Washington a rejeté l’histoire comme un exercice de « marketing » - sans donner la moindre indication que toute cette histoire avait un air de déjà vu. Les Algériens ont une bonne expression pour cela : faire bouillir de vieilles pierres dans une casserole.

Allons donc jeter un coup d’oeil dans la casserole. Il s’agit de la puissance militaire croissante d’al-Nusra - ou « Fateh » ou « Sham » ou toute autre désignation absurde qu’ils nous auront inventée - et du fait que cette organisation est désormais de loin supérieur en matière de techniques de combat, d’hommes et d’armement que la prétendument apocalyptique Etat Islamique. Cette organisation est peut-être en mesure de massacrer des citoyens français, syriens, belges et irakiens à tour de bras, mais sur le terrain - en Syrie, là où ça compte – elle n’est plus que l’ombre d’elle-même. Demandez aux soldats impitoyables de l’armée d’Assad et ils vous diront qu’al-Nusra est devenue beaucoup plus importante que l’EI.

Encore plus à propos, cependant, est la nouvelle politique au Qatar du cheikh Tamim qui comporte une version plus « soft » d’al-Nusra. Son père, l’ancien émir Cheikh Hamad, a versé des armes, de l’argent et des ressources à al-Nusra. Et il s’est retrouvé dans des eaux très dangereuses avec les Saoudiens (qui ont un goût immodéré pour l’EI), les autres pays du Golfe, l’Amérique, l’UE, l’OTAN et à peu près toutes les entités dans le monde qui pensent mener une « guerre contre le terrorisme » .

Alors, lorsque le nouvel émir Sheikh Tamim a succédé à son père avec l’aide de sa mère Sheikha Moza, il a choisi une nouvelle politique. Tout en continuant à fournir des médicaments et de l’aide « soft » à Nusra, ils allaient mettre fin aux livraisons d’armes. Comme disaient les détectives dans les années 1950, c’est plausible. Mais Tamim n’en a pas démordu et sa chaîne Al Jazeera a déroulé l’année dernière de longs entretiens avec l’amoureux des chrétiens, l’adorateur de l’Amérique, al-Julani - puis a ensuite accordé à ce même al-Julani encore plus de temps d’antenne cette semaine pour prétendre qu’il n’était plus associé à al-Qaïda.

C’est devenu un feuilleton qui pourrait s’intituler « Blanchir Al-Nusra ». Transformez-la en une armée respectable de « modérés », donnez-lui un nouveau nom qui claque, et ensuite les Américains et les Russes cesseront de l’écraser sous les bombes et la milice fidèle du Qatar pourra détruire le régime d’Assad et ... eh bien, si cela se produisait, le Qatar contrôlerait l’avenir de la Syrie, un empire territorial beaucoup plus influent que la décrépite Al Jazeera.

Le père de Tamim Hamad était beaucoup plus franc sur ces questions. Il n’a pas hésité à soutenir al-Nusra, avec armes et tout. L’émirat du Qatar est, après tout, une institution sunnite Wahhabite et l’émir à l’époque, Cheikh Hamad, a reçu l’aide de son Premier ministre, Sheikh Hamad (oui, hélas, le même prénom mais un parent éloigné) bin Jassem. Lorsque Tamim a pris le pouvoir dans ce que l’économiste libanais Marwan Iskandar a qualifié de « coup d’état blanc », Hamad bin Jassem a perdu son poste.

Mais tandis que Tamim tentait de laver Nusra de ses péchés et qu’al-Qaïda avait prétendument ouvert la voie à une scission, le magazine Foreign Policy (propriétaire : Graham Holdings Company, The Washington Post) a publié un article tendancieux sur comment al-Qaïda tentait de s’intégrer à Nusra et d’éclipser l’EI pour faire partie de l ’ « opposition mainstream ». Selon l’auteur de l’article de politique étrangère, Charles Lister, al-Qaïda a essayé donc de prendre le contrôle d’al-Nusra - et la meilleure façon de contrecarrer les ambitions d’Al-Qaïda était « d’augmenter de manière spectaculaire l’aide aux éléments militaires et civils aguerris [sic] de l’opposition traditionnelle à l’intérieur de la Syrie ». Ces « éléments », a clairement fait comprendre Lister, étaient des « modérés » - probablement les mêmes anciens garçons de course qu’on appelait avant l’Armée Syrienne Libre et qu’on appelle maintenant le Front Démocratique Syrien ou la Nouvelle Armée Syrienne ou de ce qu’il reste des 70,000 guerriers mythiques de la légion de David Cameron.

En d’autres termes, Lister a démoli l’idée d’un "divorce" entre al-Nusra et al-Qaïda. En fait, il a dit aux lecteurs que quatre hauts dirigeants d’Al-Qaïda étaient récemment entrés en Syrie pour mettre en place un autre « émirat » dans la province d’Idlib. L’opposition syrienne – c’est-à-dire l’opposition pro-américaine « modérée » et présentable - avait besoin d’un « accroissement considérable d’aide militaire, politique et financière », selon un « commandant » de l’Armée Libre Syrienne, cité par et avec l’approbation de Lister. Voilà donc les efforts de Tamim pour nettoyer al-Nusra.

Mais attendez un instant. Parmi les emplois de Lister, il y celui de « consultant senior » dans le « Sheikh Group’s Track II Syria Initiative ». Le Sheikh en question est Salman Sheikh, directeur du Brookings Doha Centre au Qatar et son collègue au Centre for Middle East Policy. Et le Brookings Doha Centre appartient à l’Institut Brookings et son co-président est - vous l’avez deviné - nul autre que le cheikh Hamad bin Jassem, l’ancien premier ministre de l’ex-dirigeant du Qatar Cheikh Hamad, dont le fils - le nouvel émir Sheikh Tamim – tente maintenant de présenter al-Nusra comme une petite armée de guérilla bien propre sur elle pour la rendre acceptable par le reste du monde comme une véritable opposition à Assad.

L’ancien Premier ministre du père de Tamim semble maintenant être du point de vue opposé. En d’autres termes, il y a comme un bras de fer en cours au Qatar. Oserait-on parler d’une lutte de pouvoir ? Car c’est bien à Doha, et pas dans les plaines de la province d’Idlib en Syrie, que l’avenir de la Syrie se décide. Quant au Front de Libération du Levant, je suppose qu’il faudra l’appeler FLL ou le désigner par son acronyme arabe JFS. Mais par pitié, assez des « divorces » au sein d’al-Nusra.

Robert Fisk

Traduction "un p’tit coup de rouge à lèvres, une perruque et hop ! C’est pas du bon boulot, ça ?" par Viktor Dedaj pour le Grand Soir avec probablement toutes les fautes et coquilles habituelles.

»» http://www.independent.co.uk/voices...
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