CounterPunch, 31 août 2006.
Dans un pays fondé sur un mythe fondateur - selon lequel la population indigène palestinienne serait partie de son plein gré et n’aurait nullement été la victime d’une épuration ethnique - et dans un pays, aussi, qui entend trouver sa légitimité en recourant à une foultitude d’autres bobards, consistant par exemple à affirmer que l’occupation de la Cisjordanie serait "bon enfant" et que celle de Gaza "aurait pris fin", la tromperie est en passe de devenir un mode de vie.
Il en va ainsi dans ce "calme relatif" qui fait suite au pilonnage du Liban, un mois durant, par Israël - un calme dans lequel des Israéliens ne meurent peut-être plus, mais où des Libanais continuent hélas très certainement à le faire, tandis que les explosions des sous-munitions des armes à fragmentation de fabrication états-unienne continuent à "accueillir" les réfugiés qui retournent chez eux dans le Sud dévasté, et que les habitants de la bande de Gaza continuent à périr par dizaines semaine après semaine sous les frappes incessantes et aveugles de l’aviation israélienne, tandis que les autres meurent d’inanition à petit feu dans leur prison à ciel ouvert.
Beaucoup des bobards de guerre d’Israël ont d’ores et déjà été profondément ancrés dans les consciences occidentales par les médias :
- c’est le Hezbollah qui aurait "provoqué" la guerre en capturant deux militaires israéliens, et non pas Israël qui pourtant maintenait une attitude hostile et provocatrice depuis six ans, en envoyant quotidiennement ses avions de guerre et ses drones espions dans l’espace aérien libanais ;
- c’est le Hezbollah qui aurait perpétré une agression en tirant des roquettes sur Israël, même si ces roquettes n’ont commencé à être tirées QU’APRES les bombardements massifs par Israël de régions exclusivement civiles au Liban et afin d’y REPLIQUER ;
- c’est le Hezbollah, qui, contrairement à Israël, aurait utilisé la population locale comme boucliers humains, même si l’espionnage aérien généralisé et continuel du Sud Liban par les avions et les drones israéliens n’a pas été en mesure d’en apporter le moindre commencement de preuve ;
- c’est le Hezbollah qui aurait pris pour cibles des civils, et non Israël, en dépit du bilan des morts qui indique exactement le contraire ;
- de plus, ce Hezbollah, armé par l’Iran, serait totalement illégitime, même si ces armes ont été utilisées pour défendre le Liban contre une agression israélienne préparée de longue date, alors qu’Israël aurait un droit absolu et incontestable de recevoir son arsenal des Etats-Unis, quand bien même ces armements ont été utilisés de manière offensive, la plupart du temps contre les populations civiles libanaise et palestinienne...
Ce sont des bobards de cet acabit qui ont été répandus, après les combats.
Ainsi, par exemple, il semble aujourd’hui chose admise que les attaques du Hezbollah par roquettes contre Israël auraient fait d’un million d’Israéliens des réfugiés.
Le commentateur le plus respecté du quotidien israélien Haaretz, Yoel Marcus, a dit exactement cela, voici quelques jours, dans une tribune publiée par le quotidien britannique Guardian, quand il a fait la remarque que "ce sont environ un million de réfugiés israéliens" qui ont été contraints de partir du Nord d’Israël.
Ce Marcus semble décidément se faire une représentation extraordinairement élastique de la signification du mot "environ"...
En réalité, il est totalement impossible qu’un million d’Israéliens aient ainsi été transformés en réfugiés, comme le démontrera un rapide calcul.
Il y a environ 1,2 millions d’Israéliens qui vivent dans le Nord d’Israël, et cette population se répartit environ par moitiés entre citoyens juifs et citoyens arabes.
Pratiquement aucun Arabe israélien n’a quitté le Nord durant toute la durée des bombardements par roquettes du Hezbollah, soit en raison d’une crainte résiduelle bien compréhensible que l’Etat n’en profite pour leur confisquer leur maison, comme cela est arrivé aux Palestiniens qui avaient fui, ou qui avaient été terrorisés pour qu’ils s’enfuient, durant la guerre de 1948, soit tout simplement parce qu’ils n’avaient strictement aucun autre endroit où aller.
La plupart d’entre eux ont supposé - probablement à très juste titre - que la population juive du centre d’Israël n’était pas particulièrement encline à les recevoir à bras ouverts, en tant que réfugiés...
On fait aussi souvent état, dans les médias, du "fait" que 300 000 Israéliens auraient dû rester dans des abris. De tels abris n’ont été construits que dans le Nord d’Israël, et ils n’en existe aucun dans les régions exclusivement arabes.
Par conséquent, les gens qui ont utilisé ces abris sont nécessairement des citoyens juifs du Nord d’Israël. Ceci signifie que si 300 000 juifs sur les 600 000 qui vivent dans le Nord d’Israël étaient dans les abris, alors il a dû y avoir tout au plus 300 000 réfugiés [en supposant que tous les autres Israéliens qui ne sont pas descendus dans les abris soient partis...]
Pourquoi Marcus tient-il donc tellement à donner à accroire qu’un million d’Israéliens auraient été chassés de chez eux ?
C’est tout simple : cela permet à Israël de représenter la menace du Hezbollah sous une lumière plus terrifiante, et cela rend plus convaincante l’assertion selon laquelle les Israéliens auraient souffert autant que les Libanais, dont un million, pour le coup, ont véritablement dû partir pour tenter de se réfugier ailleurs.
Cela présente par ailleurs l’avantage de recouvrir d’un vernis avantageux la réalité peu reluisante, qui est que plus des 300.000 "réfugiés" [au grand maximum] israéliens étaient chez des parents ou des amis à une centaine de kilomètres plus au Sud, dans des chambres d’hôtes et à l’abri de tout danger.
Ils n’étaient pas, comme les Libanais, en train de fuir pour tenter de sauver leur peau - leurs convois étant pris pour cibles par les avions de guerre israéliens - et, à la différence des Libanais, ils ne devaient pas vivre dehors, sans abri, sans nourriture et sans eau potable, et toujours à la merci des bombardements et des tirs de missiles...
Dans les faubourgs de Kiryat Shmona, ville très proche de la frontière libanaise, la quasi totalité des "réfugiés" israéliens sont revenus dans leurs maisons intactes, alors que des dizaines de milliers de réfugiés libanais ont trouvé leurs maisons transformées en tas de ruines, avec, au milieu des gravois, des bombes à fragmentation qui continuent jusqu’à aujourd’hui, et encore pour longtemps, à menacer de les tuer et de les mutiler.
Mais, là encore, ce n’est pas ce que le gouvernement israélien veut nous faire croire... C’est la raison pour laquelle il a publié un rapport, cette semaine, affirmant que 12 000 bâtiments auraient été endommagés par les tirs de roquettes du Hezbollah.
Cela semble un chiffre étrangement élevé, dès lors que l’armée israélienne elle-même affirme que "pas plus" de 4 000 roquettes ont été tirées sur le territoire israélien et qu’un nombre non négligeable desdites roquettes auraient atterri en pleine nature... Le même rapport n’affirme-t-il pas d’ailleurs, quelques pages plus loin, que plus de 400 incendies de broussailles ont été déclenchés par ces roquettes... ?
Alors comment - et surtout, pourquoi - le gouvernement israélien parvient-il au chiffre de 12 000 immeubles "endommagés" ? Cela voudrait dire que chaque roquette ayant atteint une structure aurait endommagé au minimum trois autres bâtiments !
Quiconque a vu les destructions provoquées par une roquette Katyusha [arme principale utilisée par le Hezbollah] sait bien que cela ne provoque guère plus qu’un trou dans la surface touchée.
La dispersion de shrapnels, toutefois, cause des dommages mineurs aux structures environnantes (et des dégâts bien plus considérables, hélas, aux êtres humains), comme des trous dans les enduits des murs ou des fenêtres brisées.
Autrement dit, la plupart de ces fameuses 12 000 "structures" - et, comme par hasard, personne ne sait au juste ce que les officiels israéliens incluent dans la catégorie "structures" (appartement individuel, garage, cabane de jardin, niche de Médor ?) - ont subi des dégâts mineurs, qui ont pu être réparés en une après-midi...
Alors, pourquoi ce besoin de faire la promotion de ce nombre gonflé ?
Tout simplement, parce que le Hezbollah fait état de la destruction de 15 000 immeubles, au Liban : là , en l’occurrence, il s’agit d’immeubles rendus irrécupérables par les bombes et les missiles israéliens.
Comme il est de tradition dans la société arabe, beaucoup de ces immeubles de plusieurs étages abritaient plusieurs familles, ce qui signifie qu’un nombre d’appartements familiaux probablement bien plus important que les 15 000 immeubles détruits cités ont disparu.
Certaines sources libanaises estiment que plus de 100 000 domiciles ont ainsi été totalement détruits. Mais l’objectif d’Israël est de donner à voir que son peuple aurait souffert autant que le peuple libanais.
De manière frappante, l’estimation des dommages économiques infligés au Liban par l’agression israélienne s’établit à 5 milliards de dollars... Or, là encore, Israël affirme que ce chiffre correspond à sa propre estimation de ses propres pertes économiques...
A croire qu’à chaque fois qu’une de ces bombes fournies par les Etats-Unis a été larguée, elle ait fait autant de mal au budget militaire israélien qu’à l’endroit et aux gens sur lesquels elle est tombée !
L’important étant sans doute que quand, un jour, l’estimation des réparations de guerre sera réglée (s’il en est jamais question, un jour...), alors n’en doutons pas : Israël affirmera que ses propres pertes annulent celles du Liban !...
Beaucoup de manips israéliennes sont également utilisées sur le plan intérieur afin de déterminer qui bénéficiera - et qui sera exclu - des largesses du gouvernement et de ses plans de "reconstruction" du Nord. En ce qui concerne le sens dans lequel souffle le vent, il n’y a pas de surprise...
Ainsi, des ministres ont affirmé, après la guerre, que des dirigeants municipaux arabes - et non juifs - avaient abandonné leurs administrés afin de se mettre à l’abri des tirs de roquettes.
Ainsi, après une tournée dans le Nord, le ministre de l’Intérieur, Ronnie Bar-On, a prétendu que l’incapacité de certaines villes et de certains villages de faire face à la situation découlait du fait que les dirigeants locaux "avaient pris la poudre d’escampette et, ce, au plus haut niveau..."
Interrogé quant au nom des maires et conseillers municipaux qui se seraient enfuis, Bar-On n’a rien trouvé à dire d’autre que ceci : "Tout ce que je peux vous dire, au sujet des gens auxquels j’ai fait allusion, c’est que je n’ai pas aperçu de synagogue dans leur ville..."
Pourquoi ces assertions, alors que tout indique que les populations arabes du Nord sont restées sur place avec beaucoup de sang-froid durant toute la durée du conflit, tandis qu’au contraire, comme nous l’avons vu, nombre de citoyens juifs se sont enfuis ?
Il y a, à cela, deux raisons :
- Tout d’abord, le gouvernement est embarrassé des informations selon lesquelles près de la moitié des citoyens israéliens tués par les roquettes étaient des Arabes, ainsi que par la suggestion que la cause de cet état de fait est la négligence ne datant pas d’hier du gouvernement à protéger les communautés arabes en construisant des abris publics, en équipant les localités de sirènes d’alarme et en faisant diffuser des consignes de sécurité en arabe par la sécurité civile. Alors, n’est-ce pas, il vaut mieux accuser les élus arabes...
- Ensuite, le gouvernement amasse des sommes énormes en faveur de l’effort de reconstruction envoyées par des associations juives en Europe et en Amérique, et il cherche une excuse lui permettant de ne pas financer la reconstruction dans les localités arabes. Un autre homme politique éminent, Effi Eitam, chef du Parti National Religieux, a accusé les autorités arabes de "faire semblant d’être lésées".
Les Arabes du Nord d’Israël seront vraisemblablement privés de goûter à la galette de la reconstruction. Il ne sera très certainement nullement question de construire des abris publics dans les villes arabes d’Israël, même si très peu de gens, en Israël, pensent que le cessez-le-feu conclu avec le Hezbollah va tenir longtemps.
De même, le ministre de l’Environnement, Gideon Ezra, a déclaré que les communes arabes du Nord ne doivent pas recevoir d’argent pour réhabiliter leur système éducatif ségrégué et manifestement étique, au motif que durant la guerre "les habitants de ces localités se sont comportés comme d’habitude, comme si rien ne s’était passé" - à croire que si les citoyens arabes sont pénalisés, c’est parce qu’ils n’ont pas pris la fuite !
Son raisonnement semble populaire, tant dans l’opinion publique qu’au sein du gouvernement, étant donné que les citoyens arabes sont généralement opposés aux guerres d’Israël.
Une tromperie afférente, promue par le gouvernement, consiste à faire croire qu’il se serait engagé à accorder des dédommagements aux travailleurs et aux entreprises du Nord qui ont souffert d’un manque à gagner durant la guerre.
Mais la liste des cantons éligibles à compensations dressées par le ministère des Finances montre que toutes les communes arabes en ont été exclues, excepté quatre villages druzes (les Druzes font leur service militaire et ils sont traités par Israël comme un groupe national séparé du reste de la population arabe...).
La plus grande partie des fonds, qui atteignent des millions de dollars, est rendue accessible aux seuls citoyens juifs, bien que les Arabes constituent la moitié de la population du Nord d’Israël.
Quel contraste avec la politique non-discriminatoire du Hezbollah, consistant à défrayer tous les Libanais sinistrés ou atteints dans leur chair par la guerre, qu’ils appartiennent à sa propre communauté, chiite, ou qu’ils soient chrétiens, druzes ou musulmans sunnites !...
(Je mentionne en passant que, d’après Haaretz, dans un procès intenté par un ingénieur arabe du village de Fassouta, lequel, contrairement à ses collègues juifs, se voit dénier toute compensation pour ses pertes de revenus durant la guerre, il a été consigné qu’il n’avait pas été en mesure de quitter son domicile parce que l’armée israélienne avait installé des batteries d’artillerie juste en bordure de son village. Voilà qui règle son sort à l’argument israélien, que le représentant des Nations unies, Jan Egeland, a fait sien, selon lequel seul le Hezbollah aurait utilisé des civils en guise de boucliers humains !)
Les bobards israéliens d’après-guerre concernent aussi, bien entendu, les Palestiniens vivant sous occupation.
Yuval Diskin, chef de la police secrète Shin Bet, affirme qu’inspirés par les succès du Hezbollah, des Palestiniens de la bande de Gaza seraient en train de faire de Rafah "le jardin d’Eden des trafiquants d’armes".
Apparemment, Israël serait au courant de 15 000 fusils, 4 millions de balles, 38 roquettes, de 10 à 15 roquettes Katyusha et des dizaines de missiles anti-tanks auraient été introduits clandestinement dans la bande de Gaza via le point de passage de Rafah, seulement au cours de l’année écoulée.
Israël voudrait faire croire qu’il passe pratiquement de tout, à travers la très courte frontière avec l’Egypte qu’il contrôle d’ailleurs toujours, sauf peut-être (tout de même) les tanks et les avions de guerre...
D’ici quelques années, affirme Diskin, Israël sera confronté à Gaza à la même situation qu’au Sud Liban. Il ne nous reste plus qu’à le prendre au mot...
Mais il y a un problème. En effet, depuis novembre 2005, disent des associations de défense des droits de l’homme, le point frontière de Rafah a été presque tout le temps fermé. Toutes ces armes ont dû être passées en contrebande fissa, durant les deux ou trois jours où ce point de passage était ouvert !
Un doute supplémentaire est apporté aux déclarations de Diskin par un article publié cette semaine par Haaretz, qui indique que la fermeture perpétuelle du point de passage de Rafah perdure depuis qu’un soldat israélien a été capturé par des combattants palestiniens, voici deux mois de cela [il s’agit du brave soldat Ryan (oups : Gilad) Shalit, ndt].
La raison de la fermeture de ce passage, recommandée par le Shin Bet, est également citée dans l’article de Haaretz - et cela n’a strictement rien à voir avec une quelconque contrebande d’armes.
Le blocus a été imposé afin de mettre la pression sur les Palestiniens pour les contraindre à relâcher Shalit ; ce qui constitue une forme de punition collective tombant sous le coup du droit international.
La comparaison établie par Diskin entre les événements à Gaza et le Sud Liban est à tout le moins capilotractée.
Comment les combattants de la résistance palestinienne, dans la bande de Gaza, pourraient-ils construire des centaines de bunkers souterrains dans le terrain plat et sablonneux de ce territoire, à l’insu d’Israël dont les avions et les tanks passent en toute liberté la région au peigne fin, tandis que le renseignement militaire israélien fait jouer à plein son réseau d’indicateurs ?
Nous attendons, pleins de curiosité, que Diskin nous l’explique.
Mais les conclusions de Diskin n’en serviront sans doute pas moins à justifier les agressions continuelles d’Israël contre la population civile de la bande de Gaza. Et n’en doutons pas, sera même invoqué l’argument qu’elles se « justifient » d’autant mieux qu’elles éviteront d’être pris par surprise comme ce fut le cas au Liban !
Le pire bobard de tous, toutefois, a trait aux raisons invoquées par le Premier ministre Ehud Olmert, voici quelques jours, pour rejeter la création d’une commission d’enquête indépendante, présidée par un juge, qui aurait eu toute latitude pour enquêter sur tous les aspects de la guerre.
En lieu et place, Olmert a mis sur pied deux commissions internes d’enquête séparées, une examinera le processus de décision gouvernemental, et l’autre enquêtera sur le comportement de l’armée. [Un troisième organisme de surveillance, supervisé par le contrôleur d’Etat du gouvernement, sera supposé examiner les défaillances en matière de défense civile].
Beaucoup d’Israéliens sont mécontents au sujet de ce qu’un commentateur a qualifié de "commission de non-enquête" d’Olmert.
Des enquêtes séparées, voilà qui signifie que les compétences de chacune de ces commissions seront très étroites, qu’elles devront s’en ternir à des questions et à des défaillances techniques, et qu’elles seront incapables d’avoir une vision plus large des choses.
Les membres de la commission chargée d’enquêter sur Olmert ont été sélectionnés par... Olmert !
Tous les juges approchés afin de les solliciter pour présider la commission ont décliné la proposition, comme l’a fait le plus éminent constitutionnaliste du pays, Amnon Rubinstein, apparemment conscient du fait que prêter la main à un blanchiment ternirait définitivement sa réputation.
Cette commission, aux dernières nouvelles, sera présidée par un ancien chef du Mossad, l’agence d’espionnage international d’Israël. Des observateurs ont d’ores et déjà prédit que l’espace ouvert aux critiques de Nahum Admoni [âgé de soixante-dix-sept ans] sera extrêmement étroit, étant donné qu’il s’est fait lui-même remonter les bretelles par la commission d’enquête Kahan, chargée d’enquêter en 1982 sur le massacre de civils palestiniens perpétré dans les camps de réfugiés de Sabra et Chatila, au Liban.
Admoni avait failli, ne "donnant pas un avertissement non équivoque au sujet des dangers inhérents à l’entrée des Phalangistes [libanais] dans ces camps", pénétration qui se traduisit par le massacre de plus de mille civils palestiniens.
Le Mossad entretenait des relations empressées avec les Phalanges "chrétiennes" libanaises, qu’il s’efforçait d’installer au pouvoir, afin de disposer d’un régime de pantins [dont Israël aurait tiré les ficelles].
Toutefois, Kahan ne prit aucune mesure contre Admoni, car - comme, aujourd’hui, Olmert - celui-ci venait tout juste de prendre ses fonctions. Il sera bien difficile, pour Admoni, de traiter Olmert plus durement que Kahan ne l’a traité lui-même, voici une vingtaine d’années...
Pour quelle raison Olmert peut-il bien vouloir une commission discréditée de la sorte, plutôt qu’une véritable commission d’enquête, d’autant que, comme il le clame, l’argument en défaveur de cette dernière serait qu’il lui faudrait des années avant de livrer ses conclusions ?
D’ici là , il pourrait être garé des voitures, et il n’aurait peut-être jamais à affronter les retombées... La raison officielle, selon Olmert soi-même, serait qu’un tel délai aurait pour effet de paralyser l’armée.
Toutefois, la plupart des commissions d’enquête, en Israël, ont publié des rapports provisoires, faisant des recommandations en vue de certaines réformes, au bout de seulement quelques mois. Après quoi, elles ont pris le temps nécessaire pour produire leur rapport définitif...
D’autres facteurs sont en jeu, qui ont trait tant au passé qu’à l’avenir. Il en est un d’évident : une commission dotée de réels pouvoirs d’investigation enquêterait certainement sur les six années de préparation de la guerre, débutant dès le retrait de l’armée israélienne du Sud Liban...
Il y a aussi un réel danger que ses investigations n’eussent jeté une lumière crue sur les mobiles des survols continuels du territoire libanais par les avions de guerre israéliens ; sur son refus de remettre les cartes indiquant la localisation des mines qu’Israël a plantées au Sud Liban durant ses vingt années d’occupation ; sur son refus de libérer les derniers prisonniers libanais détenus dans ses prisons, qui ne peut que perpétuer un état d’hostilité ; et enfin, sur son refus de négocier avec le Liban et avec la Syrie, au sujet de la fin de son occupation du plateau du Golan et d’obtenir une résolution du statut disputé du corridor connu sous le nom de Fermes de Shebaa, que le Liban revendique.
Mais la création d’une véritable commission d’enquête représenterait un danger encore plus grave : elle risquerait d’exhumer la preuve que la guerre contre le Liban était préparée et planifiée depuis longtemps, qu’elle n’avait strictement rien à voir avec la capture de deux soldats israéliens à la frontière, qu’elle était planifiée en coordination avec les Etats-Unis et que son but ultime était une attaque contre l’Iran.
Olmert, ainsi que les dirigeants politiques et militaires d’Israël, n’ont nul besoin d’une nouvelle Commission Kahan - ni d’autres emmerdes comparables à ses constatations concernant l’implication d’Israël dans les massacres de Sabra et Shatila.
Israël a besoin d’avoir les mains libres pour frapper sans être critiqué quand la nouvelle phase de la guerre contre le terrorisme prendra forme.
Olmert l’a reconnu carrément, dans sa remarque codée selon laquelle une commission d’enquête risquerait de ["nous"] distraire de l’objectif fondamental : "nous concentrer sur l’avenir et sur la menace iranienne".
Un indice de ce vers quoi Israël pourrait s’orienter désormais a fait surface, cette semaine, quand le ministre plénipotentiaire d’Olmert, qui a toute sa confiance, a "révélé" que l’Iran serait en train d’essayer de transférer son savoir-faire nucléaire à des organisations terroristes.
Pérès n’a pas cité le Hezbollah, mais l’établissement du lien et d’un nouveau casus belli n’est sans doute qu’une question de temps...
Jonathan Cook
Jonathan Cook, écrivain et journaliste, vit à Nazareth, en Israël. Il est l’auteur de l’ouvrage (à paraître, en anglais) « Blood and Religion : The Unmasking of the Jewish and Democratic State » (Sang et religion : Bas les masques sur l’Etat juif et « démocratique » !), (aux éditions Pluto Press) (cet ouvrage sera disponible aux Etats-Unis auprès de University of Michigan Press. Son site ouèbe est à l’URL suivante : www.jkcook.net .
– Publié sur CounterPunch
www.counterpunch.org/cook08312006.html
– Traduction : Marcel Charbonnier, membre de Tlaxcala, le réseau de traducteurs pour la diversité linguistique (www.tlaxcala.es). Cette traduction est en Copyleft : elle est libre de reproduction, à condition d’en respecter l’intégrité et d’en mentionner sources et auteurs.
– Source : ISM www.ism-france.org
Israël a utilisé des armes chimiques au Liban et dans la bande de Gaza, par Jean Shaoul.
Liban : La salutaire leçon des barbares du 21ème siècle, par Sadek Hadjerès.
Israël : Brèche dans la mythologie sioniste et interrogations sur l’identité, par Cinzia Nachira.