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Missiles et « bouclier » sur l’Europe (Il manifesto)

La nouvelle, donnée par la quotidien allemand Bild [1], selon laquelle la Russie aurait installé des missiles Iskander à capacité nucléaire dans son enclave de Kaliningrad comme réponse au « bouclier antimissile », tombe dans un vide d’information qui la rend incompréhensible au plus grand nombre. Si elle est vraie, pourquoi ce « coup agressif de Poutine » ? Pourquoi la Russie ne veut-elle pas que les États-Unis protègent leurs alliés européens avec leur « bouclier » ? Et puis Obama n’a-t-il pas renoncé au « bouclier » projeté par Bush ?

À Washington, on insiste à dire que le « bouclier » en Europe n’est pas dirigé contre la Russie, mais contre la menace des missiles iraniens. À Moscou, on le considère au contraire comme une tentative d’acquérir un avantage stratégique décisif sur la Russie : les États-Unis pourraient ainsi lancer une “ première frappe ” nucléaire, en se fiant à la capacité du « bouclier » de neutraliser les effets des représailles. Obama a lancé un nouveau plan, qui prévoit un nombre supérieur de missiles adossés contre le territoire russe. Comme ce sont les États-Unis qui les contrôlent, personne ne peut savoir si ce sont des intercepteurs ou des missiles nucléaires. Et, avec les nouveaux radars en position rapprochée, le Pentagone peut mieux surveiller le territoire russe.

Washington, une fois refusée la proposition de cogérer ensemble avec la Russie le radar Qabala dans l’Azerbaïdjan, a accéléré la réalisation du « bouclier ».

En mars dernier il a été confirmé que les États-Unis étaient en train de procéder au déploiement de 24 missiles SM-3 en Pologne et autant en Roumanie, plus un nombre non précisé de missiles Aegis à bord des frégates en Méditerranée, intégrés par un radar super-puissant installé en Turquie et par des radars mobiles qui peuvent être rapidement déployés en « position avancée ». En même temps, la Pologne a annoncé qu’elle dépenserait 33,6 milliards d’euros pour réaliser (avec des technologies étasuniennes) son propre « bouclier » à intégrer dans celui des États-Unis/OTAN.

En mai la société Lockheed Martin a annoncé avoir effectué en une année quatre tests réussis du missile Aegis de seconde génération et que les 27 navires de guerre dotés de ce système de missiles augmenteront à 32 en 2014. En octobre ont été inaugurés, dans la base aérienne Deveselu en Roumanie, les travaux pour une installation terrestre de missiles Aegis, financée par le Pentagone avec 100 millions d’euros, qui sera opérationnelle en 2015 : la base restera formellement sous commandement roumain, mais l’installation de missiles sera gérée par 500 militaires étasuniens.

En novembre ont commencé les tests finaux du Meads (Système de défense aérienne de moyenne extension), réalisé conjointement par les États-Unis, l’Italie et l’Allemagne : une sorte de « tortue » [2] qui, par un système de missiles sophistiqué, protège les forces qui attaquent un territoire ennemi. Les États-Unis, après avoir dépensé 2 milliards de dollars dans le programme, s’en retirent pour se concentrer sur d’autres systèmes, mais l’Italie et l’Allemagne (qui ont pris à leur charge respectivement 15% et 25% du coût) acquerront le Meads, en embarquant probablement la Pologne pour partager la dépense augmentée. Le Meads renforcera le « bouclier », que les États-Unis et leurs alliés européens entendent développer en dépensant des dizaines de milliards de dollars dans les prochaines décennies.

Toujours en novembre, le Pentagone a confirmé que les centaines de bombes nucléaires B61-11, que les États-Unis conservent en Europe (Italie comprise), sont transformées en B61-12, utilisables aussi comme bombes anti-bunker. Officiellement elles sont classées comme armes nucléaires « tactiques » mais, étant déployées en Europe et donc facilement approchables du territoire russe, elles sont de fait stratégiques (catégorie qui comprend les armes de portée supérieure aux 5500 Kms) : elles s’ajoutent aux 2150 têtes nucléaires stratégiques étasuniennes et aux plus de 500 françaises et britanniques prêtes au lancement, contre les 1800 russes. Immédiatement après, Lockheed Martin a complété le test en orbite du second satellite Muos (lancé en juillet), qui est « confié pour l’utilisation opérationnelle au Commandement stratégique », lequel réunit le commandement des forces nucléaires à celui des opérations spatiales.

Dès lors, on ne s’étonnera pas que Poutine ait effacé le groupe de travail, institué en 2011, pour trouver des formes de collaboration avec l’OTAN dans le secteur de la défense par missiles. Il a été en même temps annoncé que d’autres unités russes seront armées de missiles Iskander et de missiles balistiques intercontinentaux mobiles Yars de nouvelle génération, qui peuvent transporter jusqu’à 10 têtes nucléaires.

L’Europe est maintenant, grâce aux États-Unis, « plus sûre ».

Manlio Dinucci, édition du mardi 17 décembre 2013 de il manifesto

Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio

»» http://ilmanifesto.it/missili-e-scudo-usa-addosso-alleuropa/

[1« Putin stationiert Raketen für Atomsprengköpfe », par Franz Solms-Laubach, Bild, 14 décembre 2013. Voir aussi : http://www.voltairenet.org/article181515.html (Notes de la traductrice pour la version française).

[2Formation défensive de l’armée romaine : les boucliers au-dessus de la tête et sur tous les côtés, évoquant une carapace de tortue.


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Michael PARENTI
Analyste politique progressiste de tout premier plan aux États-Unis, Michael PARENTI, docteur en Sciences Politiques de l’Université de Yale, est un auteur et conférencier de renommée internationale. Il a publié plus de 250 articles et 17 livres. Ses écrits sont diffusés dans des périodiques populaires aussi bien que dans des revues savantes, et ses textes engagés l’ont été dans des journaux tels que le New York Times et le Los Angeles Times. Ses livres et ses conférences, informatives et (…)
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