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Mathieu Rigouste : « La domination des surexploités est l’un des piliers de la police »

Dans son livre La Domination policière, une violence industrielle (Éditions la Fabrique, 2012), Mathieu Rigouste analyse les pratiques de la police en banlieue, calquées sur les modèles de gestion coloniaux.

Dans votre livre, vous parlez de « ségrégation endocoloniale » pour définir le contrôle social et policier dont font l’objet les « colonisés de l’intérieur », notamment dans les quartiers populaires. D’où vient et comment procède ce système ?

Mathieu Rigouste. De la même manière que la société capitaliste fonctionne à plusieurs vitesses, il y a différents types de polices, qui contrôlent différentes strates de la population. La strate surexploitée – les immigrés et leurs enfants – fait l’objet d’un contrôle particulier. La domination de ces surexploités est l’un des piliers de la police. Ainsi, le contrôle au faciès n’est pas une dérive, c’est une pratique ancienne et structurelle, un dispositif central. Depuis le début du XXe siècle, un système de ségrégation et de contrôle se déploie pour encadrer la main-d’œuvre issue des colonies que le capitalisme industriel concentre aux abords de ses grands centres d’accumulation de profit. Dans les années 1930, il existait une police des colonisés en métropole. La brigade nord-africaine (BNA) quadrillait les «  quartiers musulmans  » de Paris, y opérait des raids et des rafles, et alimentait des fichiers de surveillance politiques et sociaux. La BNA a été dissoute à la Libération en raison de son caractère explicitement raciste.

Vous établissez une « archéologie » des pratiques de la police dans 
les quartiers populaires, qui remonte au début du siècle dernier. En quoi l’histoire coloniale de la France 
est-elle la matrice de sa police ?

Mathieu Rigouste. À partir de 1953, la préfecture de police de Paris crée une nouvelle unité : la brigade des agressions et violences (BAV). L’accent n’est plus mis sur la «  race  » des colonisés, mais sur leur supposée « criminalité  », et le fonctionnement reste le même. L’objectif est de pénétrer les milieux nord-africains, notamment pour paralyser les actions du FLN. Dans les commissariats de banlieue, certains anciens des BAV participent à la création «  brigades spéciales de nuit  », qui donneront ensuite naissance aux BAC d’aujourd’hui. De la BNA aux BAC, en passant par les BAV, c’est le même schéma de ségrégation raciale qui prévaut. Et le parcours d’un homme comme le commissaire François 
Le Mouel, ancien des brigades spéciales de nuit et théoricien de « l’anticriminalité », résume assez bien le processus de reconversion des répertoires de guerre coloniale dans le contrôle des pauvres et des enfants de colonisés. La guerre d’Algérie a formé les classes dirigeantes et les futurs cadres de la police contemporaine.

Quelles sont les nouveautés dans 
les pratiques modernes des BAC ?

Mathieu Rigouste. L’un des principaux changements, c’est que les BAC sont des unités «  proactives  », régies par la notion de productivité. « Proactives » : c’est-à-dire qu’elles sont capables de créer leur propre marché. Et elles sont très créatives dans ce domaine. Défier les jeunes du regard est l’exemple typique du système proactif. C’est une technique qui est censée permettre de révéler le «  crime caché dans la population  ». Si quelqu’un fuit ou s’esquive quand le policier le fixe, c’est qu’il a quelque chose à se reprocher. Mais, en réalité, cette attitude provoque la rébellion et offre de nouvelles possibilités d’intervention là où il n’en existait pas. On a parfois tendance à considérer qu’il s’agit d’attitudes de policiers particulièrement zélés, racistes ou frustrés, or il s’agit bien d’une technique d’État, une mécanique de police socioraciste et systémique.

Autre nouveauté, le développement de la sécurité privée…

Mathieu Rigouste. Ce secteur est accolé aux forces de police classique. C’est ce que l’on appelle la «  coproduction de sécurité  ». L’histoire des BAC est indissociable de celle des marchés de la coercition et de la sécurisation. Le Flash-Ball, arme de guerre israélienne, a ainsi envahi les banlieues aussi parce que l’armement sublétal, qui permet de frapper quotidiennement en réduisant le risque de tuer, constitue un grand marché économique. Pour le Flash-Ball comme pour le Taser, de grandes campagnes de lobbying accompagnent la dotation des policiers en nouvelles armes. Le contrôle social est devenu un marché lucratif.

Il y a de nombreuses mobilisations populaires dans les quartiers contre la domination policière. Comment ont-elles évolué dernièrement ?

Mathieu Rigouste. Depuis les années 1970, des comités Vérité et justice sont créés dans les quartiers, pour dénoncer telle ou telle bavure policière, obtenir l’égalité de traitement et protéger les générations suivantes. Ces mobilisations sont portées par les familles des victimes et peuvent parfois durer une dizaine d’années. Elles ont, face à elles, la police, la justice, les médias. Et il devient évident pour de plus en plus de gens que ces révoltes sont légitimes.

L’Affaire Ajimi en appel à Aix

Le procès en appel des trois policiers, condamnés en première instance à du sursis pour leur implication dans une interpellation musclée qui avait conduit à la mort d’Abdelhakim Ajimi, à Grasse en 2008, a débuté hier à Aix-en-Provence. Le jeune homme de vingt-deux ans était mort asphyxié le 9 mai 2008, les deux policiers ayant comprimé sa cage thoracique et pratiqué une clé d’étranglement autour de son cou. Le 24 février 2012, deux policiers avaient écopé de dix-huit et vingt-quatre mois avec sursis pour homicide involontaire, un troisième de six mois avec sursis.

Entretien réalisé parMehdi Fikri

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