« Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de la cour vous rendront noir ou blanc. » Jean de La Fontaine. [1]
« Nous émanciper par nous-mêmes et par nos propres efforts. [2] » Fidel Castro.
Face à l’épidémie de coronavirus on voudrait nous faire croire que nous n’aurions aucun choix possible. On nous dit, « nous sommes face à un dilemme : est-il préférable de mourir de maladie ou de récession ? » [3], ou encore « Nous sommes en guerre ! [4] » Mais de quel dilemme et de quelle guerre s’agit-il ?
En réalité, au temps du coronavirus, la lutte des classes prend une toute autre dimension, il s’agit d’une guerre de classe. Elle s’exaspère et la violence du Capital s’exerce et va s’exercer de plus en plus. Il y aura besoin de résistances plus fortes. La contradiction capital/travail est et sera plus aiguë. Le véritable défi sera de se hisser à la hauteur de ce que les évènements exigent. La pandémie soulève une foule de questions qui touchent à la nature du système dominant dans lequel nous vivons et donc au devenir même de l’humanité. Elles mettent en cause les relations sociales, celles entre les Etats, les institutions, les relations entre les peuples du Nord et ceux du Sud, le mode de production, les rapports de propriété, le rapport à la nature à travers le dérèglement climatique, les valeurs et les croyances. Une chose est certaine, à cette époque d’égoïsme effréné, la pandémie s’ajoute à la barbarie néo libérale.
Mais, ce n’est pas tout car si l’épidémie était maitrisée et disparaissait, elle ne mettrait pas fin au cataclysme économique, financier, monétaire et donc social qui vient vers nous à grande vitesse. Si on n’y résiste pas, la 2e vague sera celle là. Elle s’ajoutera à la précédente, celle du coronavirus et de toutes ses conséquences.
Ceci met en évidence, la faillite du système capitaliste lui-même et la menace qu’il représente pour des milliards d’individus à travers le monde. Face à ce virus de classe, le pire serait l’inaction et la passivité en attendant « le jour d’après ». La meilleure parade c’est de porter un coup fatal à ce système dominateur, arrogant et criminel. Il y a là comme « un défi et une opportunité qu’il serait impardonnable de manquer pour toutes les forces anti capitalistes de la planète » [5]. Il faut en tirer toutes les conséquences. Ce moment historique ne saurait être différé. Cela signifie des responsabilités nouvelles pour chacun et chacune d’entre nous, pour les organisations de travailleurs, au premier rang desquelles : les syndicats.
1-Capitalisme et coronavirus !
Dans ce contexte inédit, la culpabilité du capitalisme est évidente et son bilan est accablant. Il faut dresser partout son réquisitoire, particulièrement sur les lieux de travail. Avec la mondialisation, son système criminel de prédations, de pillages, d’inégalités, de destructions d’épuisement de la nature et de l’environnement, de guerres au service des profits de transnationales et d’une oligarchie s’est imposé depuis des dizaines d’années ! La marchandisation de toutes les activités humaines est devenue un crime contre l’humanité.
Comme on le voit pour la justice sociale, la santé, l’éducation, l’alimentation, la culture, la démocratie, le prix à payer est considérable ! Les tensions internationales, les guerres asymétriques n’ont cessé de croitre et font dorénavant partie de notre quotidien. Les guerres commerciales, elles, paralysent les échanges, la coopération, le développement. Le multilatéralisme est vidé de son contenu. Indifférente et insensible aux intérêts des peuples, la faillite de l’Union européenne est encore plus évidente. Sa logique mortifère est devenue insupportable. Sa Banque centrale est une arme d’oppression.
Comment en sommes nous arrivés, là, particulièrement dans la 6e puissance économique mondiale qui disait-on disposait du meilleur système de santé au monde.
Le bilan est accablant et les perspectives ne le sont pas moins. Peut-on faire comme si tout cela devrait être mis entre parenthèses le temps d’une épidémie mondiale, alors que le capitalisme en est la cause véritable ?
Cette crise systémique du néo libéralisme était prévisible, elle n’est le résultat d’aucune fatalité et encore moins d’une incompétence comme on le suggère trop souvent. Même si les négligences du pouvoir, ses dissimulations, ses défaillances, ses contradictions, ses dysfonctionnements sont innombrables, l’origine est avant tout le résultat de choix politiques, économiques et sociaux, délibérés et assumés. La crise de l’UE et de l’euro, la récession, la dépression, la déflation, les répercussions de la casse des services publics tout particulièrement de notre système de santé encouragés par tous les gouvernements de droite comme de gauche depuis le tournant de la rigueur de 1983, de notre industrie et des secteurs de pointe, de la recherche, les délocalisations d’entreprises, le chômage et l’appauvrissement général n’avaient pas attendus le coronavirus. Ce qui est vrai c’est que depuis des années, on attendait un choc autrement plus important que la crise de 2008. Goldman and Sachs le prévoyait pour mars 2020, le Forum de Davos s’en était fait l’écho !
Faire l’impasse sur les causes de cette « stratégie du choc », sur « ce capitalisme du déasatre » [6] c’est par aveuglement ou naïveté, refuser de voir la responsabilité de ceux qui assument des décisions et des orientations au nom de la logique du système lui-même.
Où en sommes-nous ?
Les prévisions du FMI annoncent pour la France un recul du PIB de 13 à 15%, la croissance devrait reculer de 8%. Au niveau mondial il est prévu un effondrement historique de l’économie mondiale à moins 3%. L’économie européenne sera frappée de plein fouet par une récession de moins 7,5%. Les Etats–Unis connaîtront une chute violente de leur PIB de moins 5,9%. Pour la cheffe économiste du FMI, Gina Gopinath, il s’agit « de la plus grande récession depuis 1929 » [7]. N’oublions jamais que celle-ci avait précédé la montée du fascisme et de la guerre.
Du fait de la pandémie prés de la moitié de la main d’œuvre mondiale risque de perdre ses moyens de subsistance selon l’OIT. La baisse du nombre d’heures travaillées devrait atteindre l’équivalent de 305 millions d’emplois à temps pleins. Près de 1,6 milliard de travailleurs de l’économie informelle ont déjà perdu l’essentiel de leurs moyens de subsistance [8]. Le seul premier mois de la crise a entraîné une perte de 60%
de leurs revenus. Pour des centaines de millions de travailleurs cela veut dire concrètement pour eux et leurs familles plus rien à manger. Pour Guy Ryder directeur général de l’OIT« On continue de perdre des emplois à une vitesse extraordinaire ».
Pour les pays émergents et en développement la situation est catastrophique. Selon la CNUCED, ils doivent faire face à 3400 milliards de dette, 109 d’entre eux ont lancé un appel d’urgence au FMI, ce qui ne fera qu’aggraver les choses comte tenu des conditionnalités qu’on leur imposera. Sans une annulation pure et simple de la dette ils sont menacés à terme d’un effondrement cataclysmique [9].
« Actuellement, la loi du capital décide de qui va vivre et qui va mourir su la planète en appuyant sur des boutons. La bourse tue ! » [10] Il faut y mettre un terme !
Pour faire face à la crise sanitaire, le néolibéralisme qui aime à se faire valoir comme un horizon indépassable en est arrivé à justifier les théories malthusiennes d’élimination naturelle de ceux et celles qui sont devenus « les bouches inutiles » en suggérant une forme « d’euthanasie forcée », particulièrement pour les personnes âgées. On a mis en place par circulaire administrative « le triage organisé » des malades. C’est ce qu’a décidé une directive du 19 mars 2020 de l’Agence Régionale de Santé d’Ile de France, confirmée par le Ministère de la Santé [11]. Elle a entraîné une hécatombe.
Le néolibéralisme théorise également sur l’application de « l’immunité collective » et l’opposition au confinement, aux tests, aux masques. [12]En leur temps les nazis ont appliqué l’eugénisme [13] avec les résultats que l’on sait. Dans une allocution télévisée, le vice-gouverneur du Texas, Dan Patrick a indiqué que « les seniors américains seraient prêt à sacrifier leur vie face au coronavirus pour sauver l’économie américaine ». Donald Trump a appelé à libérer les états qui avaient fait le choix de mesures de protection au « détriment » du maintien en activité des entreprises [14]. Certains groupes extrémistes sont passés aux actes les armes à la main. Au Royaume-Uni ou Boris Johnson au départ s’est refusé à toutes mesures de sécurité face à l’explosion de l’épidémie, on compte plus de 30 000 morts [15], et on se refuse à comptabiliser les décès parmi la population âgée. En France on est loin d’être traité en être humain et sur un pied d’égalité malgré les efforts héroïques des personnels soignants, les 700 000 personnes âgées vivants dans les EHPAD, ont été pour l’essentiel d’entre eux abandonné sans moyens ni protections, résultat : 9733 décès. [16]
On assiste bien à une volonté d’élimination d’une partie de la population mondiale, ce qui a toujours été le rôle des guerres impérialistes. Monique Pinçon-Charlot à raison de parler d’une nouvelle forme d’holocauste [17].
Pourtant, le capitalisme et ses représentants ne sont pas des ennemis invisibles ! Pour les riches et les super riches, ça va très bien, eux font face à l’épidémie ! Jeff Bezos le patron d’Amazon, a su tirer avantage de la situation. Grâce à la crise sanitaire, il verra augmenter ses ventes de 20% en 2020 soit un chiffre d’affaire de 335 milliards de dollars ce qui lui fera gagner 11 000 dollars par seconde [18]. Aux Etats-Unis, l’industrie d’armement recrute à tout va parmi les nouveaux chômeurs. Pour la fabrication de missiles, de satellites, d’armes nucléaires, Lockheed Martin a embauché 2365 employés, Raytheon 2000, Northrop Gruuman envisage de créer 10 000 emplois pendant que Boeing va en supprimer 20 000 .
Aux temps du coronavirus, l’industrie de mort nord américaine se porte bien [19]. Il faut donc s’attendre à de nouvelles confrontations internationales tout particulièrement vis-à-vis de la Chine, et de la Russie ennemis désignés par l’hystérie néo conservatrice qui quelque soit le Président élu en novembre 2020 à des beaux jours devant elle.
Pendant ce temps, les Iles désertes ont vu leurs achats bondir de plus de 30%, les bunkers, les jets privés, l’accès VIP aux urgences, les yachts isolés, permettent d’échapper aux contraintes du confinement. De toutes manières, on nous explique que ces privilégiés de la fortune peuvent recourir aux masques de la marque suédoise Airinum, un masque anti pollution à cinq couches de filtres offrant un « toucher ultra doux et agréable pour la peau » vendu entre 69 et 99 dollars pièce [20]. Bientôt les milliardaires dont le nombre au niveau mondial s’est sensiblement accru pour passer en 2019 à 2159 se feront fabriquer des masques Vuitton et Gucci.
Le proverbe chinois dit « le poisson pourrit toujours par la tête ». Comme Rome en son temps, le capitalisme est bien arrivé à un état de putréfaction et de débilité absolue !
Tout ce que nous venons d’examiner confirme combien, la crise n’est pas pour tout le monde. A Wall Street, l’effondrement n’est pas général, déjà les gagnants apparaissent. Ce sont ceux de la Silicon Valley et les oligopoles riches en cash flow. Pour eux dont l’ex PDG de Google Eric Schmidt il faut réinventer la réalité post Covid 19.
« En mettant l’accent sur l’intégration permanente technologique pour tous les aspects de la vie civique ». L’intelligence artificielle peut dorénavant par une connectivité numérique haut débit être mis prioritairement au service de considérables profits à travers des cabinets médicaux, de l’apprentissage, des écoles et de l’éducation, du télé travail, des livraisons à domicile, de la crypto monnaie avec la fin de la monnaie fiduciaire, de la gestion des prisons, de l’armée, de la police et y compris des salles de sport [21]. On retrouve là, la finalité du programme « Stop Covid ». Pour ces méga projets du futur on retrouve l’implication directe et les milliards de dollars de la Fondation Bill Gates, de Jeff Bezos d’Amazon, d’Eric Schmidt ex PDG de Google, d’Anuja Sonalker de Steer Tech qui déclare « les humains sont des risques biologiques les machines ne le sont pas ».
Wall Street, dit-on est dopée par la « main invisible » du marché, à savoir la Réserve Fédérale et la Banque Centrale. Trump et le Congrès inondent le marché de subventions et de liquidités. L’impression des billets verts fonctionne à tout va ! Pour le capital l’objectif est de retrouver le plus vite possible un niveau de profits acceptables à ses yeux et d’investir sur l’avenir. Ca ne sera pas sans casse, mais ne faut-il pas s’y résoudre nous susurre les médias mainstream. Pour les investisseurs fanatiques, comme pour les intégristes de la finance, le monde de demain sera plus cartellisé, plus globalisé et plus technologique [22] mais par dessus tout plus incertain encore.
Pendant ce temps les USA comptent 80 684 morts [23] on en prévoit près de 150 000 ce qui « serait une victoire » selon Donald Trump. Dans la même période on enregistre aux USA 24 millions de chômeurs de plus auxquels s’ajoutent 11 millions qui n’ont droit qu’au chômage partiel. De ce fait la plupart d’entre eux perdront toute couverture médicale. Ils viendront s’ajouter aux 45 millions d’Etasuniens sans couverture sociale que comptait déjà le pays.
En fait, on nous a présenté le néo libéralisme comme une liberté, on a créer l’illusion des « gagnants » et encouragé la mobilité tout en aggravant les inégalités sociales. A droite comme à « gauche » nombreux sont ceux qui se sont ralliés à cette vision. Pour réussir « il suffit de traverser la rue pour trouver un emploi ». La logique est la même avec l’éducation ou la santé et s’applique donc à la pandémie. Mais, bien sûr si vous n’y arrivez pas, c’est de votre faute. Cette manière de voir est fausse et irresponsable, mais cette croyance hypocrite est aussi d’une incroyable violence car elle n’a servi qu’à enrichir les plus riches, appauvrir et fragiliser ceux qui par millions vivent dans la précarité et la dépendance comme les milliards qui connaissent la malnutrition.
Avec l’épidémie, le néo libéralisme, cette barbarie sanguinaire, devrait-on dire, n’entend pas renoncer, se mettre en question ou faire son autocritique. Tout au contraire il entend s’imposer encore plus brutalement, car il ne peut ignorer les perspectives qui s’annoncent. Sur ce point, au moins son programme est parfaitement clair, le mensonge est devenue une règle, le cynisme, l’arrogance et le mépris ses méthodes de gouvernement. Dans ce contexte, les mots de Fidel Castro résonne avec plus de vigueur quand il appelait le peuple cubain à faire preuve de « désintéressement, d’altruisme, de solidarité et d’héroïsme ». Quel exemple que celui des médecins de cette ile soumise à un blocus immoral et criminel mobilisés contre le coronavirus dans 20 pays, y compris la France, mais dont la présence est restreinte aux Antilles et qu’on ne verra ni à Paris ou en Seine-St-Denis. Cette attitude est à l’inverse de cette société capitaliste faite de vanité et de lâcheté synonyme de corruption, de maffia, d’inégalités croissantes, de gâchis considérables celle de ceux qui décident et ceux qui appliquent ! De quelles valeurs et principes de vie collective parlons-nous ?
Avec le déconfinement, les patrons, le pouvoir, Bruxelles et Washington ont fait le choix de mobiliser le ban et l’arrière-ban des « chiens de garde » à leur dévotion. Ces derniers se surpassent ! Au premier rang, on trouve ces médias qui pour 90% d’entre eux appartiennent à7 milliardaires. Syndicalement on trouve la CFDT, et au niveau de l’Europe la CES. Quant aux entreprises, les recommandations du gouvernement sont carte blanche pour faire ce qu’ils veulent et sans contraintes. Le crédo c’est par dessus tout, faire repartir l’économie, fût-ce à n’importe quel prix.
Contrairement à ce que d’aucuns prétendent, le couple patronat/gouvernement n’est pas dans le domaine de l’improvisation et du tâtonnement. Il cherche à gagner du temps. Son cheval de Troie c’est « l’union sacrée, l’unité nationale ». Cette orientation fonctionne et va fonctionner à plein régime au nom d’un désastre économique annoncé dont nous ne nous relèverons pas disent les « experts » avant 2026 dans le meilleur des cas ou en 2035 dans le pire [24]. L’objectif déclaré, c’est de dynamiter le droit social et pour une très longue période ! « Il va falloir se retrousser les manches, car outre la récession le problème de la France c’est qu’elle est engoncée dans une culture de lutte des classes » nous dit Marc Touati ! Pour lui, le modèle ce sont les dogmes de la rentabilité et de la performance. Poussé à son extrémité, ce n’est rien d’autre que la méthode Amazon qui vient d’être condamné par un tribunal pour non respect de normes de sécurité pour les salariés.
Voici des années, on se souvient de la fameuse déclaration de Denis Kessler, ancien vice président du patronat français : « il s’agit aujourd’hui de sortir de 1945 et de défaire méthodiquement le programme du Conseil National de la Résistance (CNR) », il ajoutait : » La France a besoin d’un traitement de choc ».
C’est le projet de loi « Urgence Coronavirus ». Edouard Philippe l’a dit clairement « ce sera de plus en plus un choc économique, un choc social, les français doivent se préparer à un effort long ».
2- Le déconfinement oui, mais lequel ?
Avant le déconfinement, le confinement a été décidé pour freiner la circulation du virus et faire baisser la pression sur les services hospitaliers, pas pour résoudre l’épidémie. Cette mesure moyenâgeuse a constitué et constitue une atteinte sans précédents aux libertés individuelles et collectives.
Dans l’immédiat, il faut sauver des vies humaines, organiser la solidarité en faveur des plus faibles, c’est la priorité. Au péril de leurs vies les travailleurs et travailleuses de la santé que Macron faisait réprimer et gazer il y a quelques semaines, quand ils et elles dénonçaient le délabrement de l’hôpital public font preuve d’un engagement remarquable. Etre solidaire, beaucoup plus encore que les applaudir c’est agir partout et sous toutes les formes pour que notre système de santé soit doté des moyens de faire face.
Cela ne peut se faire sans une action résolue, sans une politique de prévention et sans anticipation. Il en va ainsi des tests qu’il faut systématiser comme l’a fait la Chine avec les résultats qu’on sait ! Cela suppose de renouer avec l’intérêt général contre le profit et la recherche de la rentabilité.
Entre risques et opportunités nous nous devons d’anticiper ce que sera demain ! Sans résistances, ce qui va suivre s’annonce d’une violence sociale inouïe. Il faut donc se donner la capacité d’affronter et défier avec courage des forces qui n’entendent pas abandonner leur suprématie. Elles se savent menacées, elles ne reculeront devant aucun moyen pour sauver un système qui est condamné.
Les travailleurs et leurs familles font face à des problèmes multiples et nouveaux qui s’additionnent aux précédents, les interrogations sur ce que sera demain sont innombrables, les difficultés matérielles s’accroissent, le recul social menace chacun. Officiellement, la France compte près de 12 millions de travailleurs de plus en chômage partiel soit un salarié du privé sur deux, des entreprises ont déjà fermé ou vont fermer, les licenciements se multiplier, les conditions de vie et de travail ne pourront que se détériorer.
Pour tous, l’appauvrissement et la misère vont rendre plus difficiles encore les problèmes liés à la vie quotidienne, les loyers, les impôts, les transports surchargés, les services publics éloignés et dégradés, les charges, l’approvisionnement, l’alimentation en particulier celle des enfants, les impayés. Pour les personnes âgées le sentiment d’isolement ne pourra que s’aggraver. Dans le seul département de la Seine-St-Denis plus de 30 000 personnes connaissent déjà la pénurie alimentaire. Tout va se cumuler ! Verra-t-on réapparaitre les tickets de rationnement ? Déjà on assiste en France à une chute historique de la consommation des ménages [25].
Les conditions de la rentrée scolaire sont catastrophiques ! Contrairement à Macron, le Conseil Scientifique qu’il avait pourtant lui-même mis en place a recommandé une réouverture des écoles et des universités en septembre ! Le délabrement du système scolaire en particulier dans les zones d’éducation prioritaires et les quartiers populaires rend impossible l’accueil des élèves. On transforme les écoles en garderies pour s’assurer que les parents vont au travail ! On prend délibérément le risque de connaître le pire !
On vit dans l’angoisse, l’incertitude domine, le déconfinement s’annonce socialement et sanitairement explosif. Le pouvoir le sait, mais il a décidé de passer en force. La défense fanatique de la remise en marche de l’économie et la défense religieuse de l’euro doivent primer sur tout.
Une chose est certaine, la sécurité de ceux qui travailleront, celle de leurs proches, de leurs familles sera en danger. Pour ceux confrontés au chômage, aux petits boulots et la précarité, ce sera en plus l’angoisse du paiement des indemnités, de l’assurance chômage déjà conditionnés par de multiples mesures d’exclusion.
Pour permettre l’enrichissement des uns ce ne sera pas le 15 du mois, qu’on connaitra les fins de mois difficiles, mais bien avant !
Avec les personnels hospitaliers et du commerce de grande distribution ce sont les ouvriers, en particulier ceux rivés aux ateliers en flux continu, aux chaines de productions, aux travaux de voiries, les sapeurs pompiers, qui vont servir de fantassins. Ce sont eux que l’on va envoyer en première ligne, certains y sont déjà depuis plusieurs semaines. Ce déconfinement devient une affaire de vie ou de mort. Les travailleurs sont en état de légitime défense.
3- Patronat, gouvernement, Macron et coronavirus main dans la main !
Si l’épidémie est un révélateur, elle est aussi un prétexte qui doit servir à un vaste « coup de torchon » social.
Macron fait pleuvoir les milliards pas pour la santé mais pour les entreprises et la finance. Ainsi près avoir annoncé une aide de 45 milliards aux patrons, Bercy a annoncé qu’elle passerait à 100. A cela s’ajoute 300 milliards de garantie par l’état pour assurer les prêts bancaires, des délais de paiement des échéances sociales, des remises d’impôts, des pénalités non appliqués, etc. [26]. Qui a dit qu’en France en 2019, 49,2 milliards d’euros ont été versé aux actionnaires soit 15% de plus qu’en 2018 ? Qu’attend-t-on pour les mettre à contribution ?
Mais, pour le MEDEF, insatisfait, ça ne fait pas le compte. Il n’a pas tardé à donner le ton et Geoffroy Roux de Bezieu son président a cru bon de préciser d’emblée : « Il faudra bien se poser la question tôt ou tard du temps de travail, des jours fériés, et des congés payés pour accompagner la reprise » [27] ! Le « dialogue social » si cher aux syndicats réformistes y pourvoira sans doute !
Réagissant au quart de tour, le gouvernement a immédiatement fixé le cadre de ses recommandations. C’est la copie conforme des désidératas du patronat.
Il a décidé une nouvelle réforme du code du travail et une application dans le temps sans aucune date limite. Elle concernera un droit du travail qui sera aménagé, la remise en cause des congés payés, des 35h pouvant aller jusqu’à 60 heures de travail hebdomadaire, une redéfinition des droits des chômeurs et une restriction importante des libertés individuelles comme collectives. Pour lui faciliter la tâche, il humilie le parlement en décidant de fonctionner par ordonnances
et directives. Cette constitution est devenue le fondement même d’un régime autoritaire et anti-démocratique.
Le gouvernement a décidé la prise en charge conditionnelle du chômage partiel mais en fait c’est également une aide supplémentaire apportée aux entreprises. On connait par ailleurs les multiples pressions avec l’aide de la Ministre du Travail qui sont et seront exercées pour imposer le travail à domicile, le télé travail, [28] . On admet les « dérogations » mais pas qu’elles soient « exorbitantes ». Pour s’en assurer les inspecteurs du travail voient leurs moyens d’interventions réduits au strict minimum, certains sont sanctionnés pour avoir eu recours à leurs prérogatives [29]
Mais, ce n’est pas tout ! Craignant sans doute de nouvelles jacqueries ou la colère des gueux, Macron, et son gouvernement, anticipent et veulent museler toute contestation par avance. Il est vrai qu’il y aura des comptes à régler ! Là, nous rentrons dorénavant dans l’ère du cyber contrôle et de l’omni-surveillance ! On veut maintenant passer à un état d’exception permanent.
Avec Macron, la violence policière a atteint des sommets jamais vus en France depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Depuis le début du confinement, près de 480 000 contraventions ont été dressées sur 8,2 millions de contrôles (au 6 avril) [30]. Les provocations du Préfet de police de Paris, la violence policière raciste et anti jeune dans les banlieues ont donné un avant gout de ce que l’on opposera à toutes volontés de désobéissance.
D’autant qu’avec le projet « stop covid » on passe à une autre étape. Il permettra par la collecte d’informations personnelles de placer toute la population sous bracelet électronique et potentiellement à les rendre suspects.
Cette vaste mise en fiche des citoyens par le traçage numérique se fait avec l’aide de Bill Gates et Microsoft auquel Macron a déjà confié le stockage des données de santé, initiative qui met un terme au secret médical, ce dont s’inquiète la CNIL. [31] Comme nombreux s’en alertent et le disent nous sommes bien face à un totalitarisme, une fascisation rampante de la société. Même si il est difficile de le prévoir, ira t’on dans les mois ou les années qui viennent jusqu’à un coup d’état ? « Les vrais catastrophes historiques surviennent lorsqu’on n’a pas été capable d’imaginer le pire » [32]
Pour le déconfinement les choses sont très claires, Il n’y aura aucune obligation, ni masques, ni tests, ni gants. Le gouvernement a précisé que le salarié devra arriver au travail après avoir pris sa température chez lui. La Ministre considère avec un sens élevé des réalités que pour une surface de 160m2 on pourra faire évoluer 40 salariés. Sans rire, elle ajoute qu’il faudra éviter les goulots d’étranglements. Mettra-t-on en cause l’usage pour chaque travailleur du « droit de retrait » ? C’est ce que laisse entendre le Ministère de la Fonction Publique qui menace de révocation tout usage inconsidéré de ce principe.
Acte significatif, la veille du 1erMai, le MEDEF, la CFDT et la CFTC ont signé une déclaration commune pour « se féliciter de l’action du gouvernement [33]. Comme le fait remarquer l’historien Stéphane Sirot dans un commentaire : « Les entreprises devront prendre des mesures à propos de l’environnement de travail, en « concertation avec les salariés et leurs représentants quand ils existent » (sic) ». Autrement dit sans garde-fou ni contraintes. La déclaration est d’ailleurs truffée d’expressions impliquant l’absence d’obligations réellement contraignantes pour les patrons : « le cas échéant », « il est recommandé », « il peut », « les entreprises peuvent », « si elles le souhaitent », « si possible », « il peut être envisagé », « dans la mesure du possible ». Tout cela est destiné à être contrôlé de manière parfaitement « neutre ». Elle recommande en effet la mise en place dans les entreprises d’une « cellule de crise » ou d’un « correspondant COVID19, placé sous l’autorité de la direction ou du « management » de l’entreprise » [34].
On est donc fixé ! Comment s’étonner alors qu’au mécontentement sur la gestion de l’épidémie s’ajoute la colère, l’exaspération à l’annonce d’une régression sociale d’une telle ampleur ! Consciemment ou confusément, comment ces sentiments ne se manifesteraient-ils pas et ces questions ne se poseraient-elles pas pour des millions de gens, pour leurs familles, leurs proches.
C’est ce qu’exprime la perte continue de confiance et de crédibilité, la défiance dans le gouvernement et les institutions. Elle est devenue massive. C’est ce dont témoignent tous les sondages d’opinion. [35] Elle soulève d’évidentes questions politiques quant à la continuité d’un pouvoir faisant l’objet d’un tel rejet. Il en va également de l’Union européenne et donc fort logiquement du système capitaliste lui-même ? On est donc face à un problème plus large qui touche une légitimité ou plutôt à une illégitimité des centres de pouvoir. Ils deviennent insupportables pour le plus grand nombre. Nous sommes bien entrés dans une période de clarifications et d’enjeux inédits. Il faut dès à présent les confronter ! « Il existe pour la révolution une règle absolue : ne jamais s’arrêter une fois le premier pas accompli, ne jamais tomber dans l’inaction et la passivité ». [36]
Il est intéressant de noter que ces sentiments ont une valeur encore plus globale à l’échelle internationale. Le rapport 2020 du Laboratoire Edelman sur l’opinion mondiale révèle que 74% de la population des cinq continents considère le capitalisme comme un système injuste, 56% qu’il fait plus de mal que de bien, 73% qu’il faut changer de système [37]. Ces opinions sont au cœur de débats en France, en Europe et ailleurs. 75% des Français pensent que le gouvernent ne dit pas la vérité face à la crise, 74% qu’il n’a pas pris les bonne décisions, 76% qu’il n’a rien fait pour équiper les hôpitaux [38]. Il faut maintenant passer du débat à l’action en faveur d’un changement radical de société.
4- Sainte famille syndicale et coronavirus
Si cette conviction devrait être au cœur de l’action de chaque force sociale et politique, cela devrait être le cas pour le syndicalisme lui-même ! Or, on est très loin du compte ! Sous le parapluie des institutions nationales et européennes s’est constitué avec la CES et la CFDT une sainte famille syndicale.
Par ailleurs, il est saisissant de constater une forme d’atonie générale des syndicats. Ainsi, les confédérations quand elles ne collaborent pas aux côtés du patronat, du gouvernement ou de l’UE pour les unes, semblent clouées sur place, et sourdes à la colère qui gronde pour les autres. Pour les « partenaires inconditionnels du dialogue social », le choix imperturbable est de persister dans la complaisance à l’égard du Capital et de ses mandataires en France au niveau européen ou international. Pour la CFDT, la CFTC, ensemble avec le MEDEF, « Il s’agit de manière commune de concevoir une société qui produit et dans laquelle on s’épanouit » C’est comme si les causes de l’épidémie étaient « invisibles, sans odeurs, ni saveurs ».
Plus généralement en France, le syndicalisme a exprimé ce sentiment à partir d’une position commune. Elle a été adopté avec le patronat et les 5 confédérations dont la direction de la CGT en faveur du « rôle essentiel du dialogue social ». [39]. De nombreuses organisations de la CGT ont refusé avec dignité et fermeté ce ralliement en forme de capitulation avant la bataille.
Cette déclaration commune qui n’était pas la première a précédé celle de la CES avec le patronat européen exprimant un soutien sans réserves à l’action de la Commission de Bruxelles et celle de la Banque Centrale Européenne (BCE) [40]. Elle a anticipé l’Appel de 300 organisations de l’auto proclamée « société civile » aux cotés des Syndicats européens pour appeler à se saisir de la crise sanitaire comme d’une opportunité en faveur d’une plus grande intégration européenne [41]. « Last but not least », le 14 avril 2020, 180 personnalités ont lancé un appel vibrant en faveur d’une « Alliance européenne pour une relance verte ». Comme dans un poème à la Prévert on y a trouvé pêle-mêle des entreprises comme Microsoft, Coca Cola, l’Oréal et d’autres, des parlementaires de droite, sociaux démocrates, verts, des ministres, des associations et ONG, des syndicalistes dont le secrétaire général de la CES et celui de la CFDT Laurent Berger. [42] Ces initiatives diverses entre partenaires économiques, politiques, syndicaux et institutionnels visent en fait à soutenir le « Pacte Européen de la Finance Verte » voulu par la Commission de Bruxelles. En quelque sorte un capitalisme vert à visage humain. On renonce à s’attaquer aux causes véritables de la pandémie et il n’est plus question d’actions pour les salaires, les conditions de travail, la protection sociale. Les revendications de manière plus générale ne sont plus de mises. L’union sacrée doit s’imposer à tous. Ainsi la CES ne combat pas le covid 19, elle s’adapte et réclame qu’il soit considéré comme maladie professionnelle comme d’autres revendiquent une prime pour compenser le risque de perdre sa vie ou celle des siens en allant travailler sans protections ni sécurité.
Comme elle l’avaient fait pour la « réforme » des retraites, la CFDT, la CFTC, l’UNSA se sont alignés immédiatement et ont apporté un soutien sans faille à Macron. Laurent Berger a même déclaré qu’il n’était « pas contre à priori une semaine de 60 heures, si cela doit se faire temporairement » ! [43] Puis, il a fait aussi dans l’ignominie en prenant à partie le syndicat CGT de Renault Sandouville accusé d’irresponsabilité parce qu’il soutenait une décision de justice qui considère que l’entreprise ne garantit aucune sécurité pour les travailleurs [44]. Complice avec la direction Renault et le gouvernement, Berger a été suivi par FO. Voilà où conduit la logique du « dialogue social ». Berger préfère la santé des patrons à celle des travailleurs et pour cela refuse l’application d’une décision de justice.
Alors que la circulation du virus est toujours active, que chaque jour les hospitalisations et les décès se comptent par centaines, aucune des autres confédérations ne récusent a priori la reprise du travail. La seule condition c’est qu’elle se négocie. Mais, même avec une décision de justice la CFDT propose de passer outre. Les syndicats devraient méditer l’exemple de l’Allemagne ou plusieurs Landers dont celui de Rhénanie du Nord- Westphalie viennent de décider de reconfiner [45] après un nouveau pic de contamination. Il a succédé au déconfinement décidé au nom « du sauvetage de l’économie » par Angela Merkel.
On n’en est pas encore tirage au sort pour décider qui des travailleurs envoyer au front ? « Nous avons peur, mais nous proposons des solutions » a déclaré Philippe Martinez [46]. On pourrait répondre que si « La peur n’évite pas le danger, le courage non plus. Mais la peur rend faible, et le courage rend fort » [47]
Malgré les critiques et les protestations au sein de son organisation, la direction de la CGT pour sa part s’est livrée « courageusement » à une description consensuelle du plan Macron. Elle s’interroge (sic), et attend (resic) de vraies mesures de protection sociale » [48]. Par ailleurs affiliation oblige, elle se livre à une description angélique des politiques européennes et des initiatives de la CES [49].
L’accord national entre patronat et syndicats trouve sa déclinaison au niveau des régions après l’avoir été au niveau européen. [50] Comme quoi ce n’était pas un accord qui engageait à rien comme cela avait été suggéré par Philippe Martinez lui-même.
Le MEDEF, pour sa part, ne saurait renoncer à une opportunité lui permettant de restructurer en profondeur la société française, fixer unilatéralement de nouvelles règles, dérèglementer, développer la précarité, encourager la concurrence, imposer un chômage de masse et de nouvelles formes « de travail à domicile », du « télé travail », à la « gig économie », celle des salariés du ’clic’, des ’micro taches’ et des « nouveaux tacherons’ afin de passer vite à « une société de pauvres avec emplois », disponibles et corvéables sans limites sur le modèle nord- américain.
Pour le capital, il faut en effet réorienter les systèmes productifs, en prenant en compte une redéfinition des besoins des populations qui seront réduites au minimum. Mais de ça, il n’est sûr de rien ! Il veut tirer avantage de la situation, tant qu’il le peut et tant que l’opinion est mobilisée vers d’autres priorités.
5- Coronavirus, Europe et CES
Devant cette avalanche de bonnes intentions syndicales, les dirigeants européens de Paris comme de Bruxelles ont du voir là, un retour sur investissement de leurs efforts financiers en faveur d’un syndicalisme de services et de « propositions » [51].
Pour le syndicalisme en Europe dont la CGT, la réaction des institutions serait caractérisée par une « réponse tardive et fluctuante face à la pandémie » [52]. Qu’en est-il ?
En fait, l’ Union Européenne a imposé partout des coupes drastiques dans les budgets de santé au nom de la défense aveugle de l’euro. Elle entend poursuivre cette politique et même l’aggraver. Pour Ursula Von Der Leyen [53] il faut sauver à n’importe quel prix la concurrence libre et non faussée gravée dans le marbre du Traité de Maastricht. Non seulement l’UE n’est pas une protection contre les excès du néolibéralisme mais elle en est une des déclinaisons les plus brutales au détriment des peuples et des travailleurs en général et de ceux de la santé en particulier.
Les gouvernements qui se sont succédés en France qu’ils soient de gauche comme de droite se sont appliqués à respecter les directives comminatoires de Bruxelles. Ils l’ont fait sans état d’âme ! La crise des hôpitaux et de la santé ne « dure pas depuis quelques mois » mais depuis des décennies. Elle remonte au tournant de la rigueur de 1983, aux ordonnances Juppé, et à toutes les lois : Bachelot, Touraine et Buzyn ! [54] Il va s’en dire que l’on veut poursuivre dans cette voie. « Il faut remettre en question le statut public/privé, le statut et les règles de gestion des établissements publics, devenus incompatibles avec la souplesse nécessaire ». [55]
Si, les luttes sociales ont permis de limiter certaines conséquences, le bilan est là, et la volonté ne l’est pas moins de poursuivre en l’aggravant la même politique !
Dans le mépris et l’indifférence la plus totale de Bruxelles, le cas de l’Italie est éloquent ! En Lombardie épicentre de l’épidémie un nombre spectaculaire de personnes affectées par le Covid 19 ont été purement et simplement massacrées. L’attitude de la Commission de Bruxelles a consisté courageusement à regarder ailleurs ! Cette région est un exemple tragique [56] elle compte pour plus de 70% des malades de toute l’Italie, mais on estime qu’en réalité le chiffre pourrait être 10 fois supérieur. Parmi eux 20 00 agents hospitaliers ont été contaminés, 150 médecins sont décédés.
Dans cette province la plus développée industriellement, et avec l’appui de l’UE la « Cofindustria » qui est le syndicat patronal a publiquement mené campagne contre le confinement et le maintien en activité des entreprises au nom de « Milan ne doit pas s’arrêter ». Il est aussi de notoriété et comme ce fût le cas avec la crise de 2008, combien cette détermination patronale n’a fait que favoriser la criminalité toujours à l’affut des bonnes affaires.
L’objectif de Bruxelles est ailleurs, elle ne s’occupe pas de questions aussi triviales que la santé des gens. Pour elle, la santé est un coût. Son choix est de soutenir le Capital pour sauver l’euro. C’est ce qui a été fait immédiatement à hauteur de 750 milliards offerts somptueusement par la BCE. Après le patronat et les gouvernements, la CES s’en est félicité.
Comme on le voit à l’égard de l’Italie, de l’Espagne, de la Grèce, l’UE démontre si il le fallait qu’elle n’existe pas pour la solidarité et la coopération. La Finlande a déjà fait savoir qu’elle ne paierait pas et quitterait l’UE au cas où les bénéfices qu’elle tire de l’euro seraient inférieurs aux coûts de la solidarité. Dans cette situation, il est ironique de voir plusieurs pays européens faire le choix de recourir à l’aide conséquente de la Chine, de Cuba, de la Russie et du Venezuela. Mais, que dit la CES, soudainement muette ?
Comme la croissance est en berne, les restrictions budgétaires devront être supportées par les peuples. Il est donc parfaitement illusoire de vouloir faire croire que l’on pourrait par le dialogue social en Europe et dans chaque Etat favoriser des politiques sociales en particulier dans le domaine de la santé publique, quand ce n’est évidemment pas l’objectif recherché ni par l’UE ni par les entreprises, ni par les gouvernements. Que dit la CES ?
Les syndicats dont la CGT [57] aiment à parler d’évasion fiscale. Il faudrait disent-ils remettre à plat la politique européenne ce qui sous entend que les politiques sur ce plan seraient trop timorées. En réalité les choix en France, en Europe et dans le monde encouragent et protègent la criminalité fiscale. En France près de 100 milliards par an, sans parler des avantages divers accordés aux entreprises, sans parler de la suppression de l’ISF. Macron, amuse la galerie en faisant croire que cette fois on fera quelque chose quand en réalité on fait le choix politique de l’immobilisme. Pas plus à Paris qu’à Bruxelles, on ne fera rien sur les sièges sociaux dans les paradis fiscaux. On continuera à « relocalisé » les comptes en banque des particuliers. Comme chacun sait les plus fortunés sont les moins imposés. Que dit la CES ?
L’UE est un outil au service du capital mondialisé dominé par l’oligarchie US. Le néo libéralisme n’envisage pas de commettre un « hara kiri » mais au contraire de poursuivre et d’accélérer les aspects les plus négatifs de ses politiques. Un exemple significatif est la relance économique verte. La preuve en est la décision de la Commission européenne de nommer officiellement comme expert pour l’environnement le PDG américain de BlackRock. Comme on le sait bien il s’agit du plus important groupe de placements financiers au monde spécialisé dans l’industrie pétrolière. Il gère un grand nombre des fonds de pensions et a comme on le sait largement inspiré la réforme Macron des retraites [58]. Que dit la CES signataire de l’Appel pour la relance de l’économie verte ?
Suivant à la lettre les rodomontades et les fanfaronnades de la CES, la CGT reprend sans vergogne le jargon, et le ’narratif’ du ’cruel manque de solidarité, voire d’un renforcement de marques de défiance entre les différents pays’. Avec les syndicalistes Matamore de Bruxelles, le Capital peur dormir tranquille il ne risque rien.
Comme il faut bien faire quelques chose pour démontrer que l’on existe, la CES, la CSI et la CGT pensent qu’une initiative genre grande conférence internationale pourrait permettre d’offrir un cadre permettant des mesures urgentes à la crise pandémique. On à l’habitude de dire que quand on veut enterrer un problème on créer une commission ou une conférence internationale. On connaît l’efficacité de ces initiatives lorsqu’il s’agit non pas d’adopter mais de mettre en œuvre des résolutions. En fait, une fois encore on va encourager l’éléphant à accoucher d’une souris. Les justifications morales sont très sympathiques, mais ne changent rien quant au fond des choses. Le capital mondialisé se moque des résolutions et des conventions de l’OIT ou par ailleurs le rapport des forces est très largement en son avantage. Le « tripartisme » fondement de l’institution étant devenu une illusion. Sans compter le fait que le groupe travailleur au BIT contrôlé par la CSI nie le pluralisme syndical.
En fait cette proposition illustre l’impuissance et l’impasse dans lesquelles se trouve le mouvement syndical réformiste, les illusions qu’ils cherchent à entretenir dans le monde du travail sur la vertu de propositions négociées avec des gouvernements, des institutions et un patronat totalement acquis à la mise en oeuvre du libéralisme.
En fait et comme le dit Georges Mavrikos de la FSM, « Le capitalisme c’est l’anachronisme, c’est la barbarie, il ne peut pas être humanisé. Ces réformistes qui prônent la modernisation du système d’exploitation deviennent les serviteurs de l’exploitation sociale. Il n’y a pas, il n’y aura pas de vaccin qui humanise le capitalisme » [59].
6- Coronavirus, lutte de classes et perspectives.
Il ne s’agit pas de dresser un tableau apocalyptique mais de faire preuve de lucidité. Sans une opposition résolue, voilà ce que le Capital entend mettre en œuvre. Profitant de la pandémie, il a pris déjà quelques longueurs d’avance, il faut en avoir conscience. Dans l’immédiat la réponse ne saurait être l’union sacrée ou l’attentisme que le pouvoir et ses complices veulent imposer à marche forcée.
Dans les syndicats il faut reprendre partout et faire débattre de « l’Appel national à l’unité d’action des travailleurs et du peuple pour de nouvelles conquêtes et changer de société ». Il est à l’initiative de militants de la CGT de différentes corporations et régions. « Nous devons redevenir résistants », disent-ils, « nous devons décider de notre avenir et nous devons nous-mêmes le mettre en place » [60].
Cette conception doit se forger dans les combats quotidiens contre le Capital, depuis chaque lieu de travail, en assumant collectivement les responsabilités et les choix décidés par la démocratie ouvrière.
La seule réponse possible est donc d’appeler partout à la désobéissance, à l’insoumission et à l’auto organisation sociale sous toutes les formes ! Il faut refuser de se soumettre et de céder aux pressions de toutes sortes, appeler à la grève pour sauver des vies, poursuivre le blocage de la machine à profits, autant que pour construire ce qui doit succéder au capitalisme. Enfin il faut s’émanciper de la dictature patronale. L’entreprise pour cela est décisive car c’est là que se nouent les contradictions de classe.
Nul ne saurait faire des pronostics, car nous sommes dans l’urgence. Mais une chose est certaine le « jour d’après », ne sera pas le « jour d’avant » ! Nous sommes au tout début d’une crise économique et monétaire qui ne peut être comparée à nul autre. La catastrophe boursière s’annonce [61]. Pour l’instant on fait marcher la planche à billets et on gère au jour le jour, mais chacun sait que tout cela n’est pas sans limites. Car tout va se cumuler ! Nous n’en sommes pas encore au moment de l’explosion mais nous nous en approchons ! D’ailleurs de nombreux économistes la prévoient pour la fin 2020 début 2021 [62].
Toute la question est donc de savoir comment l’on va se situer quant aux évènements à venir ? Que restera t’il de l’UE et de l’euro non pas dans les années qui viennent mais dans les mois ? Où en sommes nous du capitalisme triomphant, quand celui-ci nous conduit tout droit à l’abime ? Où en sont aujourd’hui ceux qui trouvaient nos arguments « binaires » ? Que reste- t-il de leur 3e voie possible, des solutions moyennes, cette « Europe autrement » qu’il « faut refonder », celle du « dialogue social » et du reste ? Toutes ces prétentions fumeuses s’effondrent comme un château de cartes.
C’est maintenant qu’il faut choisir et se situer clairement dans le débat et l’action. On en revient toujours à la pertinence de la barricade et de ses deux côtés. Ce qui importe de discuter ce n’est pas le choix de société réduit à une formule ou un slogan mais son contenu concret en termes de pouvoir des travailleurs. Poser le problème en ces termes suppose une rupture
Comme l’ont montré les mobilisations le 1ermai en France et dans le monde, le pire serait l’attentisme ou considérer que tout cela est un mauvais moment à passer. Tout au long de la période qui vient de s’écouler on a assisté à une foule d’initiatives de solidarités, de prises en charge par les gens eux-mêmes et pour eux-mêmes, souvent malgré la répression.
Ne faut-il pas généraliser ce que nous avions déjà constaté avec les gilets jaunes en renouant avec les traditions et valeurs du mouvement ouvrier. Ne faut-il pas rechercher à systématiser l’organisation d’initiatives populaires dans les quartiers et les entreprises associant étroitement syndicats et organisations agricoles pour répondre aux besoins alimentaires de la population ou pour les services. Ne faut il pas s’inspirer des actions Robin des bois des travailleurs d’EDF pour rétablir l’électricité dans les foyers ou cela a été interrompu pour impayés ? Ne faut-il pas tirer les leçons d’expériences comme celle de la « période spéciale » à Cuba dans les années 90 où chaque entreprise et syndicat organisaient la coopération et le travail volontaire pour faire face à la situation de crise. Ne faut-il pas s’inspirer de l’expérience argentine des « piqueteros » à la fin des années 1990, celle de l’autogestion née de la récupération d’entreprises.
De fait, dans les usines, les entrepôts, les hôpitaux, les travailleurs, des médecins aux femmes de ménage, des ouvriers ou employés ont dans un esprit collectif et coopératif au cours du confinement profité de l’absence de personnel administratif et de l’éloignement des cadres des ministères partis en confinement pour gérer par eux-mêmes la crise sans attendre des consignes déconnectées des réalités qui leur parvenaient par « télétravail ». Ils sont ainsi démontré qu’ils étaient capable de gérer la crise avec abnégation et efficacité et donc qu’ils ont les moyens de devenir les maîtres de leur entreprise et donc devenir les maîtres du pays. La question est donc de faire prendre conscience les travailleurs de cette réalité
Ce qui est impératif c’est de placer les travailleurs et le peuple aux postes de décisions. Ainsi, il ne saurait y avoir de véritable nationalisation sans un contrôle et une direction placée sous la responsabilité des travailleurs eux-mêmes. C’est ce qu’exprime très concrètement l’action des travailleurs et de la population du Morbihan avec la CGT, la FSU et Solidaires. L’objectif c’est le redemmarage d’une usine de fabrication de masques à Plaintel près de St Brieux qui ne soit pas sous le contrôle de la finance qui avait fait fermer le site il y a quelques années. Aujourd’hui les affairistes se mettent sur les rangs pour profiter de l’aide du gouvernement à l’investissement lui permettant de dégager de nouveau d’énormes profits [63]. Les travailleurs, la population s’y opposent.
Les actions sous toutes leurs formes possibles sont nécessaires pour prévenir tout à la fois les mauvais coups et encourager à prendre le contrôle des lieux de travail. Rien ne peut se faire sans les travailleurs. On a pas besoin des actionnaires ce sont eux qui ne peuvent vivre sans nous. Le moment n’est-il pas venu enfin de dire : assez, voilà ce que nous voulons et voilà comment nous allons passer du dire au faire ?
Ce que nous devons viser c’est une autre manière de faire de la politique au-delà de la traditionnelle conception. Cela correspond précisément au besoin de nouvelles formes d’organisation au sens large que Gramsci donnait à cette vision, Cela ne peut se faire sans renouer avec la tradition vivante des luttes populaires.
Ce patrimoine de combats et d’intelligence collective existe, il est un point d’appui, un facteur de confiance. Depuis les luttes sur le code du travail, les gilets jaunes et plus récemment le mouvement sur les retraites, cette mobilisation sociale ininterrompue depuis plusieurs années est riche d’enseignements. Nous en sommes comptables, nous ne partons pas de rien ! Soyons logique, tirons les leçons de cette période, de l’expérience, des avancées comme des reculs.
Il sera inévitablement nécessaire de s’organiser de manière autonome, sous des formes originales, dans les entreprises, mais aussi les quartiers, les villages, autour des questions de salaires, de conditions de travail et de vie, autour des problèmes de l’habitat, de l’école, de la santé, des transports, de l’environnement, etc, pour définir et défendre les revendications d’abord, pour préparer ensuite l’avènement d’une souveraineté populaire des lieux de travail jusqu’au niveau de l’Etat. Un véritable pouvoir des travailleurs a exercé sur l’appareil économique comme pour tout ce qui touche au fonctionnement de la société.
Nous avons besoin de nouvelles formes de pouvoir politique, d’autogestion, de contrôle ouvrier à tous les niveaux. Avec des représentants révocables à tous moments et n’abusant plus de la délégation de pouvoir de manière discrétionnaire Il ne peut y avoir de processus de transformation sans une vaste expérimentation sociale et politique, aussi bien avant qu’après le changement. Il faut redonner du sens à ces principes « de chacun selon ses moyens à chacun selon ses besoins » [64], « socialisation des moyens de production et d’échange »sans lesquels il ne peut y avoir de véritable rupture avec le capitalisme. C’est bien le socialisme qui est à l’ordre du jour !
Ce que nous devons viser ce n’est pas un nouvel ordre mondial fondé sur le Capital, mais un nouvel ordre sans Capital.
Nous sommes entrés dans une nouvelle époque ou justice et barbarie, guerre ou paix seront les choix qui détermineront le futur de l’humanité. Car pour sauver le système et lutter contre la baisse tendancielle des taux de profit, les dirigeants n’ont pas d’autres choix que de se lancer dans une fuite en avant des répressions et des guerres sans fin de tous contre tous, en se servant de bouc émissaires pour cacher leur incapacité et leur refus à proposer un système cohérent et équilibré ouvrant des perspectives réelles de développement pour la majorité.
Voilà pourquoi il s’agit de construire et de multiplier les réseaux, les contrepouvoirs face aux institutions supranationales, aux institutions économiques et financières, aux puissances hégémoniques pour imposer les rapports de force dont le mouvement populaire, les travailleurs ont besoin.
Ne faut il pas se donner les moyens d’un vaste débat à tenir comme en agissant, tout autant sur la stratégie que sur les contours qui devraient être ceux d’une société capable de mettre l’ensemble des ressources productives du monde au service des besoins légitimes, des aspirations des travailleurs et donc des habitants de la planète en faveur de la paix, du progrès social, de la solidarité et de la coopération, par un internationalisme de notre temps.
En d’autres termes, « comment souder le présent à l’avenir, tout en satisfaisant aux urgentes nécessités du présent et en travaillant utilement pour créer et devancer l’avenir ». [65]
Jean-Pierre Page
12 mai 2020