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LOI PERBEN : FIN DE L’ETAT DE DROIT EN FRANCE par Jean-Claude PAYE.

La loi Perben, du nom du ministre français de la Justice, vient d’être définitivement adoptée le 5 février. L’objectif affiché est de s’attaquer aux mafias et à la traite des êtres humains, mais la liste des délits concrets, susceptibles d’être identifiés sous la notion de criminalité organisée ne comprend aucunement les infractions économiques ou financières. Par contre, elle inclut de nouveaux délits tels la "dégradation de biens" ou "l’aide au séjour irrégulier", commis en "bande organisée". Ainsi, les infractions financières n’auraient pas de rapport avec la criminalité organisée ; par contre, cette définition pourrait s’appliquer à des actions sociales, telle l’aide aux "sans papiers".

Cette notion, qui peut s’appliquer à une association de deux personnes, permet de justifier des procédures dérogatoires au niveau de l’enquête et du jugement.

L’enquête préliminaire

Une recherche préliminaire peut être organisée, sans que la personne concernée en ait connaissance. Il s’agit d’une procédure secrète, non contradictoire et d’une durée illimitée. En opposition avec les procédures habituelles, les policiers pourront mettre en oeuvre des techniques spéciales de recherches, telles que la mise sous écoute, l’infiltration, la surveillance rapprochée par le placement de micros et de caméras dans des lieux privés. Les policiers pourront, en l’absence des personnes suspectées, procéder à des perquisitions la nuit et saisir des pièces à conviction.

Les personnes interpellées pourraient être placées pendant 96 heures en garde à vue, au lieu des 48 heures prévues.

Une réorganisation au niveau du jugement

D’une manière générale, la loi met en avant une procédure de "plaider coupable", baptisée "comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité". Aux USA, ce système est devenu très commun. Il est devenu pour l’accusé la voie la moins risquée. Il s’agit d’obtenir une réduction des chefs d’accusation par une requalification des faits ou une recommandation de clémence pour le juge de fond, en échange d’un aveu de culpabilité. Ce procédé renforce considérablement la domination de la procédure sur la loi Elle instaure une espèce de contrat entre les deux parties qui s’oppose au principe de légalité.

La promotion du « plaider coupable » se double d’une autre procédure installée en 1999 : la "composition pénale". L’auteur du délit peut échapper aux poursuites, en échange de l’indemnisation de la victime ou de travaux d’intérêt général. Réservée au départ à des délits dont la peine maximale d’emprisonnement est inférieure à 3 ans, la loi Perben porte le seuil à 5 ans. Ce qui a pour effet d’inclure des délits tels que l’escroquerie, le trafic d’influence ou l’abus de biens sociaux. Ces infractions, liées à la criminalité financière, pourront être l’objet d’une négociation qui permettrait à l’auteur des faits d’échapper au jugement.

L’intention de s’attaquer à ce qui reste de la loi de présomption d’innocence se traduit ainsi par une justice à géométrie variable, d’une part une présomption de culpabilité pour ceux qui seront présentés comme tel par l’appareil policier et d’autre part, la possibilité d’échapper à la justice pour les auteurs de délits économiques et financiers.

Ce privilège est inscrit juridiquement. Il fait partie de l’ordre de droit.

Le choix des poursuites sera effectué par un procureur instrumentalisé par le pouvoir exécutif. Sa stricte dépendance est assurée grâce au contrôle de procureurs généraux nommés en Conseil des ministres. Il sera aussi possible de juger une personne sur le seul témoignage anonyme d’un officier de la police judiciaire.

Affaiblissement du juge d’instruction

Les rapports de forces au sein de l’appareil judiciaire sont profondément modifiés. Le rôle des procureurs est formellement renforcé. Ils dirigent légalement les enquêtes préliminaires de la police. Les prérogatives du juge d’instruction sont réduites au profit du procureur de la république, magistrat hiérarchiquement soumis au Ministre de la Justice, et, dans les faits, en faveur des forces de police. Le procureur n’a, en effet, pas les moyens de contrôler étroitement les techniques particulières de recherches mises en oeuvre dans le cadre de cette procédure. La plupart de ces mesures prises dans le cadre de l’enquête préliminaire seront placées sous la surveillance du "juge des libertés et de la détention". Les syndicats de magistrats se sont opposés à ces dispositions. Pour Dominique Barella, président de l’USM, "on vide le juge d’instruction de sa substance en chargeant un juge alibi, le juge des libertés et de la détention, de contrôler le travail de la police"

Un alignement sur l’Europe

L’affaiblissement du juge d’instruction en France s’inscrit dans un contexte européen qui renforce les pouvoirs de la police. En Belgique, la mise en place de la " mini instruction" par le " petit Franchimont" retarde le moment où une instruction peut commencer et, avec elle, le moment où peuvent s’exercer les droits de la défense. Des pays, comme l’Italie ou l’Allemagne, ont poussé les choses encore plus loin, puisque le juge d’instruction a disparu au profit du "juge de l’instruction".

Ce magistrat n’a plus de compétence d’enquête et a pour mission de produire un certain nombre d’actes tels le mandat d’arrêt et les mesures de surveillance et de perquisition. Il a un rôle de gardien de la légalité des procédures. Quant à l’Angleterre, le problème est réduit à sa plus simple expression, la police a tout simplement le monopole de l’enquête judiciaire.

Jean-Claude PAYE est sociologue. Février 2004

 Photo : Stop Pub 6 février 2004 ( Indy Paris )


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