Ulysse, épuisé par la guerre de Troie, mais assoiffé du désir de retrouver sa douce Pénélope, embarque et entame dans la précipitation un long et périlleux périple. Sa dulcinée lui est apparu e en rêve...majestueuse...son corps élancée, couleur d’ébène, était paré d’or...des diamants atournaientde manière exquise ses cheveux et son cou... ses pieds baignaient dans un parfum enivrant aux senteurs étranges...
On est en l’an onze du vingt et unième siècle. « L’aube de l’odyssée » s’annonce tumultueuse. Déjouant le courroux de Poséidon, notre héros loue les services d’Harmattan (*), un vent violent et poussiéreux venant des pays des francs. Un souffle dévastateur pousse le nef vers le sud... vers les rivages de la terre natale...Ulysse n’a qu’une idée en tête : pourfendre tous ces prétendants frustes qui s’agglutinent autour de sa Pénélope adorée.
L’histoire est un éternel recommencement... ou du moins c’est ce que prétendent tous ces bonimenteurs qui de tout temps ne font qu’enrober le destin cruel des uns et les desseins malsains des autres dans de belles histoires d’amour et d’héroïsme...
C’est ainsi que l’oncle Sam, travesti en africain, endossant l’accoutrement du fabuleux Ulysse se dirige non vers Ithaque mais vers la Libye. Il faut dire que la noire Afrique, parée de tous ses atours lui a tourné la tête. C’est en Tripolitaine que réside le prétendant le plus coriace, un certain Kadhafi, un indigène rustre et à moitié fou parait-il. Ce dernier, excommunié par ses cousins de la Mecque, jette son dévolu sur la reine noire qu’il comble de présents. Séduite, elle est sur le point de lui céder son coeur et le sceptre de son royaume...
C’est là que s’interrompt cette belle histoire d’amour faute de fabulistes ...
« Odyssey Dawn »... admirons l’expressivité de ce nom de code soigneusement choisi par Obama et le Pentagone pour désigner la guerre que mènent les États Unis et leurs alliés contre la Libye. Toutefois, la polysémie qu’induit cette expression laisse perplexe. Serait-ce tout simplement un fantasme du président étasunien s’identifiant à Ulysse partant à la reconquête de sa terre natale... l’Afrique ? Ou alors cela signifie-t-il une virevolte dans la vision que l’empire se fait du monde ?
On est loin des propos tenus par DonaldRumsfeld, insultant « la vieille Europe ». Le « Nouveau Monde », en intégrant l’antiquité, tient peut-être à souligner son enracinement au sein d’un Occident héritier d’une même histoire et nourri par les mêmes mythes. Plonger dans la mythologie païenne de la Grèce antique permet par ailleurs de dépasser le clivage Islam/Chrétienté si cher à Bush et aux évangélistes sionistes. La démonisation de l’islam servant d’alibi à une stratégie de la recolonisation et de la « démocratisation » forcée du monde arabe a été abandonnée parce que trop coûteuse. Il ne s’agit plus aujourd’hui d’imposer au reste du monde l’AmericanWayofLife. La nouvelle stratégie tend à effacer ce qui reste de la bipolarité Est/Ouest et à élargir le club des nantis en tendant la main à des pays comme la Russie par exemple. Les pays développés oublieront leurs anciennes rivalités et formeront un seul front pour lutter contre le terrorisme, la piraterie et les mouvements migratoires ; ils s’organiseront pour garantir leur approvisionnement en énergie en assurant ensemble la surveillance des voies maritimes. Le Tiers-monde, sera laissé à lui même ( du moins en apparence) tant qu’il fournira à bon marché toutes sortes de matières premières. Des interventions militaires ponctuelles seront nécessaires à chaque fois qu’une source d’énergie est menacée par les autochtones ou que des velleités d’organisation d’un ensemble de pays sous-développés remettent en cause l’hégémonie impérialiste.
Cette nouvelle stratégie qui ne s’intéresse qu’à la sécurisation et à l’approvisionnement des pays du centre, s’interdit d’intervenir dans des pays de la périphérie pour modifier de l’intérieur leur mode de vie ou leur organisation politique. Dans ce contexte, L’évocation de l’Odyssée avec tout ce que cela implique comme présupposés idéologiques nous renvoie au mythe de la modernité héritière directe de la civilisation grecque. Obama semble tout comme les chantres de la modernité triomphante du 19ème siècle vouloir légitimer la domination de son pays en s’appropriant l’héritage hellène et en se présentant comme le légitime défenseur de « La civilisation » face à « la barbarie ». Cependant, il ne s’agit plus comme au bon vieux temps d’aller civiliser tous ces sauvages mais de les contenir chez eux, de les affaiblir en les divisant et de les délester de ce qu’ils possèdent.
Depuis la disparition du Pacte de Varsovie, l’OTAN n’arrête pas de se redéfinir. Cette organisation tend aujourd’hui à intégrer des puissances autres qu’occidentales. Son rôle consistera alors à intervenir contre toute sorte de menaces "terroristes" visant l’un ou l’ensemble des alliés. Théoriquement sa mission se limite à accomplir des opérations de défense mutuelle, mais après le sommet de l’alliance de 1999, on a étendu son champ d’action en y ajoutant les « missions humanitaires », concept assez flou et flexible rendant possible des actions offensives. Washington entend cependant exercer un leadership sur les autres puissances dans la conduite des opérations.
A la différence de la Tunisie et de l’Egypte, ce qui se passe en Libye actuellement ressemble plus à une guerre civile qu’à un soulèvement populaire contre un dictateur. Nous assistons en réalité à la résurgence d’un vieil antagonisme opposant la Cyrénaïque à la Tripolitaine et au Fezzan. C’est sur cette rivalité régionale et tribale que sont venues se greffer les manifestations de Benghazi. Elles ont vite dégénéré en conflit armé. Mais bien que touchant plusieurs villes, à aucun moment l’insurrection ne s’est étendue à l’ensemble du pays. Les rebelles restent minoritaires et ne disposent que de vingt pour cent du territoire national alors que la majorité des grandes tribus du pays restent fidèles au régime en place. Si une solution négociée n’est pas trouvée sous peu, il semble qu’on s’achemine vers une guerre fratricide et sanglante, appelée à durer. Les grands médias occidentaux ainsi que certains médias du Golfe caricaturent à outrance ce conflit en diabolisant le chef d’état libyen et son armée et en dépeignant les insurgés comme s’ils étaient des héros épiques. Les évènements qui ont lieu en Libye sont le début d’une sale guerre faite de sang et de souffrances et non les épisodes d’une série télévisée opposant David à Goliath.
En vérité, des manifestations populaires qui dégénèrent comme par magie en insurrection armée ne peuvent que laisser planer le doute quant à leur spontanéité. En effet et contrairement à ce que prétend la propagande occidentale et ce que suggère le romantisme révolutionnaire d’opérette de Bernard Henry Lévy (**), la révolte de la Cyrénaïque n’a rien de spontanée. Le soulèvement populaire de Benghazi a vite été récupéré par le Conseil national de transition composé essentiellement de ministres dissidents . On sait maintenant que la Dgse, le MI6 et la CIA ne sont pas étrangers à ce coup d’état qui s’est transformé en guerre civile. Depuis octobre 2010 , les Français se sont appuyés sur les renseignements et les contacts de Massoud El-Mesmari, ancien chef du protocole et confident de Kadhafi pour mettre au point un plan permettant la déstabilisation de la Libye.
Il ne s’agit pas ici de défendre le guide de la Jamahiria. La mégalomanie de Kadhafi, les abus commis par ses fils et la répression des opposants sont des faits avérés. Toutefois, pour de multiples raisons... tribales, régionales et politiques, le leader libyen continue à être perçu en tant que chef spirituel par une grande partie des libyens . Sans l’intervention des services de renseignement occidentaux un tel conflit aurait pu être évité. Sarkozy ayant commis la bourde de soutenir Ben Ali face à un vrai soulèvement populaire, le voila qu’il en commet une deuxième en dressant une partie de la population libyenne contre une autre. Mais est-ce vraiment une bourde ou un coup monté qui vise à déstabiliser le pays ? L’occident qui en réalité poursuit d’autres desseins, prend parti en faveur des insurgés sous couvert d’ intervention humanitaire. La vérité est que les bombardements de l’OTAN, au lieu de protéger la population civile ne font qu’augmenter le nombre de morts et de blessés alors que la guerre civile continue à battre son plein. Les seuls avantages apportés par cette intervention atlantiste sont la destruction systématique de l’infrastructure et la contamination des terres par de l’uranium appauvri. Ce qui intrigue dans cette affaire c’est l’attitude pleine d’ambiguïté du Conseil national de transition libyen. A-t-on idée d’accepter ou de choisir comme intercesseur auprès de Sarkozy, un sioniste notoire de l’envergure de Bernard-Henri Lévy ?! Faut-il être aveugle pour appeler à son secours la coalition atlantiste alors que l’exemple de l’Irak et de l’Afghanistan crève les yeux ?! Le dernier des imbéciles se garderait d’appeler à l’aide un pyromane pour éteindre un début d’incendie ! L’armada qui se déploie face aux cotes libyennes n’est certainement pas là pour les beaux yeux des civils libyens, loin s’en faut.
Si l’Occident s’évertue à présenter Kadhafi sous l’aspect d’une caricature grotesque c’est pour le rabaisser et camoufler ainsi le rôle central que joue le leader libyen et les efforts qu’il déploie dans le cadre de l’Union Africaine et dans le rapprochement Sud-Sud avec la tenue du sommet Amérique du Sud / Afrique (ASA) qui a réuni 61 pays des deux continents. La guerre déclenchée contre la Libye n’est que le début d’une croisade atlantiste contre toute velléité d’organisation et de coopération Sud-Sud. Il s’agit pour les puissances impérialistes d’éradiquer au plus vite un mal qui risque de se propager. Ce sont là les vraies raisons de l’agression atlantiste contre la Jamahiria.
Le gel des fonds libyens qu’on peut sans exagération assimiler à un vol à main armée aura un impact particulièrement désastreux en Afrique. En effet, la Libyan Arab African Investment Company a effectué des investissements dans plus de 25 pays, dont 22 en Afrique sub-saharienne, en programmant de les augmenter dans les cinq prochaines années, surtout dans les secteurs minier, manufacturier, touristique et dans celui des télécommunications. Les investissements libyens ont été décisifs dans la réalisation du premier satellite de télécommunications de la Rascom (Regional African Satellite Communications Organization) qui, mis en orbite en août 2010, permet aux pays africains de commencer à se rendre indépendants des réseaux satellitaires étasuniens et européens, en réalisant ainsi une économie annuelle de centaines de millions de dollars. Mais ce qui affole encore plus l’empire ce sont les investissements libyens dans la réalisation des trois organismes financiers lancés par l’Union africaine : la Banque africaine d’investissement, dont le siège est à Tripoli ; le Fond monétaire africain, basé à Yaoundé (Cameroun) ; la Banque centrale africaine, installée à Abuja (Nigeria). Le développement de ces organismes devait permettre aux pays africains d’échapper au contrôle de la Banque mondiale et du Fond monétaire international, tous deux instruments de domination néo-coloniale.Lors du deuxième Sommet ASA, Hugo Chavez rappellera la nécessité de construire un monde multipolaire alors que Le dirigeant libyen critiquera fortement le Conseil de Sécurité de l’ONU et ira même jusqu’à proposer la création d’un OTAN des pays du Sud.
Cette arrogance qui va au-delà des mots a fini par être prise au sérieux. Si les pays du sud continuent sur cette voie, cela risque de mettre à mal la nouvelle stratégie de l’empire. Les puissances occidentales, très affaiblies par des années de guerres, n’ont plus la force d’imposer un nouvel ordre régional en recourant à l’occupation territoriale. Elles préfèrent instaurer le chaos à distance et procéder à la somalisation du monde arabe et de certains pays africains. On est loin du chaos créateur de Condoleezza Rice, il s’agit aujourd’hui du chaos tout court, du chaos pour le chaos. On commence par démanteler les nations susceptibles d’entraver la gestion néo-libérale de la planète en dressant les uns contre les autres, des islamistes et des libéraux, des tribus, des régions...Il suffit ensuite de les maintenir dans un état de guerre larvaire qui perdure. C’est cet état de décomposition qui permettra aux multinationales de faire main basse sur des richesses libres d’accès.Après le démantèlement de la Libye qui ne manquera pas de déstabiliser la Tunisie et l’Egypte, il semble que c’est au tour des civils syriens de bénéficier de la sollicitude de l’OTAN. Un vrai coup de maître qui du coup coupera l’herbe sous les pieds de Hezbollah et isolera l’Iran...en attendant mieux.
Pendant cette longue épopée qui peut concerner tout aussi bien des pays africains comme le Nigéria par exemple, les États Unis auront le beau rôle car leur participation se limitera exclusivement à des interventions aériennes. Quant aux interventions au sol, elles seront sous-traitées par des pays comme la France, le Royaume Uni ou l’Arabie Saoudite. Malheureusement, les pays d’Europeoccidentale ne semblent pas se rendre compte de leur proximité. L’effet dévastateur de cette stratégie suicidaire risque de les entraîner dans un tourbillon de violence aux conséquences inattendues.
Ceux qui ont vu Hillary Clinton déambuler place Attahrir, mêlée aux jeune egyptiens, le sourire aux lèvres, ne peuvent qu’admirer l’art de la funambule qui parvient à se maintenir en équilibre bien que balayée par des vents contraires. Mais les mots du sage Zbigniew BrzeziÅ„ski l’ont vite remise d’aplomb.Confiante, elle sourit de plus belle, buvant les paroles du maître :
« Il ne fait absolument aucun doute à mes yeux qu’un Moyen-Orient plus démocratique sera moins favorable à la politique à laquelle nous sommes restés fidèles »
Cette Odyssée truquée qui n’est qu’à son aube sonnera peut-être le crépuscule de l’humanité. Athéna, lassée, nous a sans doute abandonnés...
Fethi GHARBI
(*) Harmattan : nom de code de l’opération militaire française dirigée contre la Libye.
L’harmattan est un vent (alizé) chaud, sec et poussiéreux d’Afrique de l’Ouest qui souffle vers le sud en provenance du Sahara dans le golfe de Guinée en hiver, entre la fin novembre et le milieu du mois de mars. Chargé de poussières et de sables, il peut obscurcir l’atmosphère durant plusieurs jours et favoriser les épidémies de méningite dans les pays sahéliens...(wikipedia)
(**) « Le sang des insurgés de Benghazi coulera sur le drapeaux français, car c’est lui, le drapeau tricolore, qui est suspendu à la façade du bâtiment qui abrite le Conseil National de Transition, sur la Corniche de Bengahzi. » dixit BHL. Pauvre BHL, il doit s’imaginer dans la peau de Paul Bremer, entrant chaque matin dans sa résidence générale à Tripoli au son de la Marseillaise.