Il manifesto, dimanche 15 octobre 2006.
Les forces de l’Unifil II au Liban méridional, n’en déplaise à leur présumé rôle d’interposition, non seulement auront droit, pour la première fois, à l’ « autodéfense préventive » contre des attaques possibles mais pourront aussi « faire usage de la force, même létale, pour empêcher ou éliminer des activités hostiles, y compris trafic illégal d’armes, munitions et explosifs dans leur zone de responsabilité (entre le fleuve Litani et la frontière d’Israël) ».Ce n’est pas tout. L’Unifil II mettra sur pied, à cette fin, des postes de contrôle le long des routes et réquisitionnera directement les armes de la résistance dans le cas où l’armée libanaise ne serait pas capable ou ne voudrait pas le faire. Voilà les tâches de l’Unifil II au Liban - qui ouvrent la voie à un affrontement direct avec le Hezbollah et représentent une violation grave de la souveraineté libanaise - qui émergent du « Manuale de Area » élaboré par les services militaires espagnols et distribué ces jours derniers aux soldats de Madrid envoyés au Liban, et dont le contenu a été diffusé il y a deux jours par le quotidien « El Pais ».
Selon ce qui est rapporté par le journal, habituellement bien informé, ces règles d’engagement, les plus dures jamais appliquées dans une mission des « casques bleus », auraient été approuvées au cours de longues tractations, en août dernier, au palais de verre, entre les responsables des Nations Unies et les gouvernements français, italien et espagnol. Les « règles d’engagement » prévoient que l’ « autodéfense préventive » pourra s’appliquer non seulement contre d’éventuels attaquants mais aussi contre des groupes et des personnes prêts à accomplir des actions hostiles - même si dans ce cas les troupes Onu devront se baser sur des « informations dignes de foi » - contre ceux qui seraient en train de projeter un enlèvement ou qui menacent les autorités libanaises, les opérateurs humanitaires ou des civils non mieux précisés.
Et encore. La « force létale » pourra aussi être utilisée par les troupes de l’Unifil - et ceci est un aspect particulièrement préoccupant - « pour réaliser leurs tâches » : en particulier contre quiconque voudrait limiter la liberté de mouvement des forces onusiennes, contre qui voudrait forcer un check point et plus généralement pour empêcher et réprimer les approvisionnements en armes à la résistance libanaise au sud du fleuve Litani. Jusqu’à aujourd’hui, l’Unifil, mais notre gouvernement aussi, avaient affirmé que la tâche de désarmer le Hezbollah (qui serait de toutes façons une violation de la souveraineté libanaise et du droit de tout pays à libérer par tous moyens qui lui semblent opportuns ses propres territoires occupés par des forces étrangères), en particulier au sud du fleuve Litani, reviendrait uniquement à l’armée libanaise. Une réassurance qui a amené aussi une partie de la gauche pacifiste et radicale à soutenir l’envoi de nos troupes au Liban bien que la résolution 1701 sur le cessez le feu se donne - même si c’est avec une certaine ambiguïté - l’objectif de bloquer les activités du Hezbollah dans le sud sans qu’Israël n’ait accepté de se retirer des territoires libanais occupés.
Maintenant par contre, à moins de penser que les « règles d’engagement » espagnoles soient différentes des italiennes, nous avons des éléments suffisants pour dire que l’Unifil accomplira directement la tâche de réprimer la résistance libanaise en établissant des postes de contrôle, en réquisitionnant des armes et en « désarmant des groupes ou des individus armés » même en l’absence de l’armée libanaise. Armée qui, par les déclarations de ses états-majors, citées sur son site Internet, a affirmé plus d’une fois, de son côté, vouloir défendre le pays des agressions israéliennes et ne pas du tout vouloir désarmer le Hezbollah. Il en résulte l’inconfortable vérité que l’Unifil II n’aura pas du tout un rôle d’ « interposition » mais essaiera plutôt d’empêcher directement les activités de la résistance libanaise contre l’occupation et les agressions israéliennes. Avec toutes les conséquences qui en dérivent aussi pour notre contingent.
Stefano Chiarini
– Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio
« Règles d’engagement d’occupants »
Il manifesto, 18 octobre 2006.
L’annonce faite il y a quelques jours de règles d’engagement « renforcées » de l’Unifil qui, selon un manuel distribué par les services espagnols à leur contingent au Liban, pourra intervenir directement contre la résistance libanaise au sud du fleuve Litani, et non plus se limiter à soutenir l’armée de Beyrouth, risque de mettre fin à la lune de miel entre les troupes onusiennes, la population chiite du sud, la résistance et l’armée libanaise.
A quelques heures d’une première prise de position, dure, contre les troupes multinationales, de l’ayatollah Hussein Fadlallah - le plus influent représentant chiite religieux, considéré auparavant comme le guide spirituel du Hezbollah - selon lequel les forces de l’Unifil II auraient été envoyées au sud du Liban pour protéger Israël, c’est le général (à la retraite) Amin Hoteit qui est intervenu hier dans une conférence de presse : représentant non officiel des secteurs « nationaux » et « patriotiques », en grande partie chiites, mais pas seulement, et majoritaires dans les forces armées de la république des cèdres. L’influent représentant de l’establishment politico-militaire libanais - chargé en 2000 de surveiller le retrait israélien et de négocier avec l’Onu la ligne de frontière entre le Liban et Israël - a confirmé que les règles d’engagement annoncées par l’Unifil, au-delà de la volonté politique de chaque gouvernement, transformeront avec le temps les contingents multinationaux au Liban du sud en troupes d’occupation et que cela « fera de nouveau exploser la situation ».
Au cours de la conférence de presse, il a en outre été communiqué un mémorandum envoyé au Secrétaire général de l’Onu, dans lequel on demande à l’Unifil de s’en tenir à la lettre de la résolution 1701 sur le « cessez le feu » et de ne pas proposer des projets - tels que le contrôle des eaux territoriales, de la frontière avec la Syrie, des aéroports, de l’espace aérien - qui mettraient le Liban sous une sorte de nouveau mandat colonial international. En particulier, a déclaré le général Hoteit, alors que la résolution 1701 établit que la mission Unifil a le devoir de soutenir l’armée libanaise et de surveiller le cessez le feu, les règles d’engagement sembleraient au contraire autoriser les contingents multinationaux à utiliser directement la force, dans le cas où l’armée libanaise ne pourrait pas ou ne voudrait pas le faire, pour empêcher que n’adviennent dans le sud du Liban des « activités hostiles ».
Selon Hoteit, la référence à la nécessité de réprimer tout « acte hostile » laisserait trop de marge de décision et donnerait le feu vert à la dispersion de réunions, à des perquisitions de bureaux et de véhicules et, en cas de refus ou de résistance, à arrêter des personnes et à ouvrir le feu. Si cela devait advenir - a prévenu le général - non seulement le sud du Liban mais tout le pays pourrait exploser. Le premier ministre italien Prodi a répondu hier indirectement au général Hoteit et à Hussein Fadlallah, dans une interview exclusive au quotidien progressiste « As Safir », mais sans entrer dans le vif du sujet des règles d’engagement : « les forces de l’Unifil sont au Liban, a déclaré Prodi, pour maintenir la paix et certainement pas pour s’immiscer dans les affaires politiques libanaises compliquées ». Le premier ministre italien n’a pas exclu que « des incidents isolés pourront se produire » mais il a répété en essayant de convaincre ses interlocuteurs sceptiques, que « la mission de nos troupes est une mission de paix ».
Stefano Chiarini
– Source : il manifesto www.ilmanifesto.it
– Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio
Guerre du Liban : Le navire en perdition des desseins impériaux états-uniens, par Gilbert Achcar.
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Liban : La salutaire leçon des barbares du 21ème siècle, par Sadek Hadjerès.