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Leur propagande vient de loin, et nous le savons

Exploitant les moindres recoins de l’espace habité, le colonialisme européen a longtemps plié la majorité de l’humanité aux exigences de conquérants sans scrupules qui ont arrosé d’eau bénite leurs violences et leurs rapines.

Ces empires coloniaux comme entités historiques ont fini par s’effondrer, mais le colonialisme comme système leur a survécu.

Lorsque le G7 inflige des sanctions à la Russie en 2022, il ne réunit pas seulement les nations qui ont le PIB le plus élevé du monde occidental et apparenté. Il rassemble des pays qui ont jadis pris part à l’aventure coloniale et sont hantés par le déclin de leur suprématie : les États-Unis, l’Allemagne, la France, le Royaume-Uni, l’Italie, le Canada et le Japon.

Cette continuité entre deux formes historiques de domination est une donnée qu’il faut avoir en mémoire : l’impérialisme d’aujourd’hui est l’héritier du colonialisme d’hier.

Faisons d’abord un petit retour en arrière. Le propre du discours colonial, c’est qu’il déshumanisait le colonisé.

« Comme pour illustrer le caractère totalitaire de l’exploitation coloniale, le colon fait du colonisé une sorte de quintessence du mal. La société colonisée n’est pas seulement décrite comme une société sans valeurs. Il ne suffit pas au colon d’affirmer que les valeurs ont déserté, ou mieux n’ont jamais habité le monde colonisé. L’indigène est déclaré imperméable à l’éthique, absence de valeurs, mais aussi négation des valeurs. En ce sens, il est le mal absolu. Élément corrosif, détruisant tout ce qui l’approche, élément déformant, défigurant tout ce qui a trait à l’esthétique ou à la morale, dépositaire de force maléfiques, instrument inconscient et irrécupérable de forces aveugles, écrit Frantz Fanon ».

On imagine les conséquences. Guerre du Bien contre le Mal, la colonisation n’est pas tant une entreprise civilisatrice qu’une mesure prophylactique destinée à neutraliser les miasmes d’une bestialité latente.

« Parfois ce manichéisme va jusqu’au bout de sa logique et déshumanise le colonisé. A proprement parler, il l’animalise. Et, de fait, le langage du colon, quand il parle du colonisé, est un langage zoologique. On fait allusion aux mouvements de reptation du jaune, aux émanations de la ville indigène, aux hordes, à la puanteur, au pullulement, aux gesticulations ».

L’impérialisme d’aujourd’hui a-t-il changé de registre ? L’appétit de richesse a beau revêtir les oripeaux des « droits de l’homme », il charrie la même violence symbolique. Comme le colonialisme, l’impérialisme déshumanise à tour de bras. Il transforme la guerre juste en guerre sainte, il en fait en prophylaxie de masse où le nombre ahurissant des victimes immolées sur l’autel de la démocratie est le résultat de leur incorrigible bestialité.

Tout est justifié, du moment que c’est pour sauver l’Empire du Bien.

On citera quelques exemples célèbres.

 C’est le bombardement de Bagdad qu’un pilote de l’US Air Force trouve beau comme « un sapin de Noël ».

 C’est l’ignoble massacre de ces milliers de civils et de militaires irakiens en fuite sur « l’autoroute de la mort ».

 C’est ce soldat des forces d’occupation déclarant à la presse que sa mission est de « tuer les méchants ».

 C’est Madeleine Albright justifiant l’agonie de 500 000 enfants irakiens assassinés par l’embargo.

 Ce sont ces prisonniers dénudés, humiliés et torturés dans les geôles d’Abou Ghraib.

 C’est l’incroyable mensonge du 11 septembre, prétexte à une « war on terror » qui fera 900 000 morts.

 C’est Condoleeza Rice voyant dans le bombardement du Liban les douleurs de « l’enfantement d’un nouvel ordre mondial ».

 C’est Barack Obama le sourire aux lèvres, avec sa « kill list » et sa sanglante guerre des drones.

 C’est l’acharnement mortifère contre Cuba au nom des « droits de l’homme ».

 C’est Hillary Clinton piaffant et gloussant de joie pour célébrer l’assassinat d’un chef d’État arabe.

 C’est l’Afghanistan mis à feu et à sang pour « libérer la femme afghane ».

 C’est la Syrie souveraine traînée dans la boue lorsqu’elle ose résister au terrorisme sponsorisé par la CIA.

 C’est le Venezuela dont les enfants meurent faute de médicaments à cause d’un embargo pour la « démocratie ».

 C’est la propagande insensée contre la Chine, accusée de génocide par des génocidaires après avoir subi la terreur importée.

 C’est la diabolisation de la Russie, avec son prétendu despotisme sans foi ni loi et ses ambitions criminelles.

Voilà. La messe est dite par les grands-prêtres du monde libre. Les États-Unis d’Amérique étant l’incarnation du Bien, ses ennemis sont des forces maléfiques sur lesquelles s’abat toujours un bras vengeur.

Comme les peuples colonisés de jadis, les nations récalcitrantes seront dressées à coups de trique pour le triomphe du Bien et le rayonnement de la civilisation.

Ainsi un imaginaire en relaie un autre sans que les structures aient radicalement changé. Pour justifier le forfait colonial, il fallait extraire les indigènes du monde civilisé. Pour justifier la guerre hybride contre la Russie, il faut qu’elle joue le rôle que la propagande adverse lui assigne : celui de la brute épaisse, imperméable aux impératifs de la morale ordinaire.

Comme l’armée syrienne de Bachar Al-Assad, son armée ne peut être qu’une bande de violeurs et de tortionnaires, de même que l’Etat chinois ne peut être que génocidaire.

Cette propagande est hallucinante, mais il faut bien voir qu’elle l’a toujours été. L’essentiel est de savoir pourquoi. Et nous le savons.

Bruno GUIGUE

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