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Leur petite entreprise ne connaît pas la crise, Thomas Lemahieu.








L’ Humanité, 19 décembre 2007.


Dans les petits papiers du patronat (3/5).



Grâce à la planche à billets de l’UIMM, Georges Albertini recycle les têtes brûlées de l’extrême droite et, avec ses équipes de bras cassés, tente de torpiller la gauche dans les années 1970.

« C’était un haut responsable patronal, qui avait une compréhension aiguë des dangers du communisme pour le pays. Il sentait la nécessité éminente d’une confédération syndicale comme Force ouvrière. Et non moins vivement la nécessité d’une publication consacrée à l’ensemble des problèmes du communisme. » En mars 1959, dans sa feuille de « contre-propagande », Georges Albertini salue la mémoire de son fidèle donateur, Étienne Villey, un personnage clé du Groupe des industries métallurgiques (GIM). Dans une note personnelle datée du 19 septembre 1957 et citée par François Denord (dans Néolibéralisme, version française, paru aux Éditions Demopolis), il se montre à la fois précis et inquiet : Albertini estime les sommes versées annuellement par Villey à 880 000 francs de l’époque, soit l’équivalent de 15 000 euros d’aujourd’hui.

Mais qui est donc ce Georges Albertini pour lequel, dès la fin des années 1940, le patronat fait chauffer la planche à billets ? Secrétaire général du Rassemblement national populaire de Marcel Déat de 1942 à 1944, puis directeur de son cabinet ministériel, auteur de nombreux papiers dans la presse collaborationniste, il est condamné en décembre 1944 pour « intelligence avec l’ennemi » à cinq ans de travaux forcés, l’indignité nationale et la confiscation des biens. Gracié dès 1948, recruté à la banque Worms par un de ses camarades dans les geôles (Hippolyte Worms), il se jette, dès sa sortie de prison - avec le concours de celui qui était son bras droit sous l’occupation et qui le restera pour toujours : Claude Harmel - dans la propagande anticommuniste et dans le fichage policier des militants : création de « bulletins » comme Est-Ouest et implantation de « centres d’archives et de documentation ». Au prix d’une justification particulièrement audacieuse, voire carrément indigne - aux yeux de ce collabo c’est en effet « l’absence d’anticommunisme qui a fait le lit du fascisme » -, Albertini réussit, au début des années 1950 à convaincre Boris Souvarine, au retour de son exil aux États-Unis, de donner sa caution à des « travaux » aux informations souvent rigoureusement fantaisistes. Jusqu’en 1978, bénéficiant du crédit de plus en plus érodé de Souvarine, Albertini sera le trésorier de l’Institut d’histoire sociale... Un véritable creuset qui, arrosé par la corne d’abondance de la banque Worms et de l’UIMM, a abrité bien peu de grands esprits - malgré ses prétentions d’« institut », ça n’était pas sa vocation -, mais beaucoup de gros bras et petites frappes dérivant alors entre extrême droite et droite extrême.

L’argent secret du patronat circule bien dans ces tuyaux-là et, sous la IVe République, le « Barbie de l’esprit » - selon la saillie de Jean Lévy dans le Dossier Georges Albertini, une intelligence avec l’ennemi, aux Éditions L’Harmattan - se vante d’avoir l’oreille de tous les présidents du Conseil et des ministres importants. Mais c’est dans les années 1970 que les réseaux Albertini vont donner toute leur mesure : avec, d’un côté, des jeunes recrues comme Alain Madelin, Xavier Raufer ou encore Hervé Novelli, « formés » dans les groupuscules fascisants Occident ou, plus tard, Ordre Nouveau, et, de l’autre, les « vénérables » patrons, intellectuels et sociétaires du Mont-Pélerin fédérés, depuis 1967, dans l’Association pour la liberté économique et le progrès social (ALEPS), ils lancent une série d’opérations abracadabrantesques à l’occasion des élections législatives en 1973, et de la présidentielle en 1974. Une pluie de papier-journal imprimé à l’encre antipathique s’abat sur la France : Lip la Lune, qui traîne dans la boue les horlogers autogestionnaires, Spécial banlieue, qui promène le minois d’Alain Madelin dans les villes « rouges » au-delà du périphérique, une « Lettre confidentielle des cadres supérieurs », un « spécial enseignants » de la revue Liberté économique et progrès social, et des centaines de milliers d’exemplaires d’un torchon au ton apocalyptique et anti-Mitterrand, baptisé France-Matin, qui, après un habile détournement, finiront, en partie, dans les eaux du canal Saint-Martin à Paris...

Sur la plupart de ces « journaux », les numéros de commission paritaire renvoient, parfois indirectement, à une seule adresse (199, boulevard Saint-Germain) et à la même personne : Claude Harmel, le fidèle bras droit d’Albertini, officiant tantôt pour l’Institut d’histoire sociale, l’Institut supérieur du travail (la filiale mise sur pied pour ramasser les fonds de la formation professionnelle, au début des années 1970) ou l’ALEPS. Une fois de plus, le patronat ne mégote pas sur les moyens et ne s’en cache pas : dans un courrier envoyé le 24 avril 1974, Maurice H. Fouquet, délégué général de l’Union patronale de la région parisienne, parle sans forfanterie « des actions de l’ALEPS » auxquelles « nous avons participé depuis 1970 ». Dans un document confidentiel « mis à jour en septembre 1975 », le « groupe de travail d’information politique pour la défense des libertés » de l’UIMM explique platement qu’il « n’a ni la prétention ni la maladresse de vouloir tout faire lui-même ». « Il existe déjà des centres qui élaborent du matériel d’information de bonne qualité », observent les barbouzes de la métallurgie, avant de désigner les réseaux Albertini et l’ALEPS... Merci, patrons ?

Thomas Lemahieu


D’Albertini aux « néo-cons ».
Dans la dernière livraison du Meilleur des mondes, le chic organe central des néoconservateurs français (ils préfèrent « antitotalitaires » ou « anti-utopistes », mais on n’est pas obligés de les suivre), Ilios Yannakakis offre, sur sept pages, un tombeau pour Boris Souvarine. Dans son article, il expédie en quelques lignes la question de ses liens avec l’officine qui a couvé plusieurs générations de militants de droite et d’extrême droite. « Albertini est un personnage controversé, écrit Ilios Yannakakis. Socialiste, pacifiste convaincu avant la guerre, il avait adhéré en 1941 au Rassemblement national populaire de Marcel Déat où il occupait d’importantes fonctions. A la Libération, il avait été arrêté. » Qu’en termes délicats, ces choses-là sont dites... En creux, cela ressemblerait presque à un hommage : Albertini a ensuite assuré la reconversion de bon nombre de pétainistes en professionnels honorables de l’anticommunisme primaire... Et leur conversion à l’atlantisme et au néolibéralisme, qui correspondent si bien à la philosophie sociale du Meilleur des mondes...


 Source : L’ Humanité www.humanite.fr




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